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Au Creusot, ArcelorMittal cumule aussi les malfaçons

Des défauts visibles à l'oeil nu

Des défauts visibles à l'oeil nu - PHILIPPE HUGUEN

Depuis 2013, le sidérurgiste a multiplié les défauts de fabrication sur des pièces majeures des centrales nucléaires. EDF a changé de fournisseur, pas Areva.

C’est un nouveau scandale dans le berceau français du nucléaire. Dans son usine du Creusot, l’aciériste ArcelorMittal a connu plusieurs défauts de fabrication sur des pièces essentielles au parc nucléaire français. Une situation qui rappelle celle d’Areva sur son site voisin, même si ses anomalies cachaient même des falsifications. Entre 2013 et 2016, le géant mondial de la sidérurgie a réalisé plusieurs dizaines de tôles en acier pour EDF et Areva qui ont toutes été mal fabriquées.

Tout commence en 2012 quand EDF remarque de l’usure sur des "tubes guide de grappe" de certains sites, dont celui de Paluel, en Normandie. Ces pièces essentielles s’introduisent dans la cuve pour moduler, et donc arrêter en cas d’urgence, la réaction nucléaire. Conscient que ce phénomène se produira sur tous les réacteurs en France, l’électricien anticipe le changement de toutes ces pièces. Il lance une commande de 2000 tubes auprès de deux sous-traitants: Areva et l’américain Westinghouse. Un contrat important d’une centaine de millions d’euros au total.

Des défauts visibles à l'oeil nu

Areva sous-traite la conception et la fabrication de ces pièces auprès de la société d’ingénierie REEL, qui travaille régulièrement pour EDF. De son côté, Westinghouse choisit Alcen, habitué à travailler dans le nucléaire militaire et l’industrie de défense. Alcen commande alors des tôles en acier auprès d’Industeel, la filiale d’ArcelorMittal basée au Creusot.

En 2013, les premiers défauts sont repérés par Alcen: d’importantes traces de fer dans des pièces censées être en acier… Ces anomalies risquent de provoquer l’oxydation et donc la détérioration des tubes. En cause, une erreur de débutants : de simples barres en fer que les ouvriers de l’usine ont laissé "tremper" dans le four. Un an plus tard, ces trois tôles sont réexpédiées à ArcelorMittal qui les renvoient à nouveau au lieu de les détruire! Mais en juin 2015, l’usine livre une deuxième commande de 41 tôles qui présentaient toutes les mêmes défauts. Alcen devait livrer ses premières pièces trois semaines plus tard…

Les inspecteurs d’EDF n’ont pas eu beaucoup de mal à déceler cette nouvelle anomalie. "Elle était visible à l’œil nu" se désole un cadre du groupe qui précise que leur fabrication est très encadrée par la réglementation. Les défauts ont été repérés à temps par EDF et ses sous-traitants pour éviter que les composants ne soient installés dans les centrales nucléaires.

Des erreurs répétées

Dans la foulée, ArcelorMittal a lancé une enquête interne au Creusot. Dans l’audit que BFM Business s’est procuré, l’entreprise reconnait ses malfaçons et surtout que celles de 2013 et 2015 sont "similaires", impliquant de fait que rien n’a été fait pour les corriger pendant deux ans… Pourtant une lettre du service "qualité" du Creusot, datant de 2013, indiquait avoir mis en place une "action corrective".

Contactée à plusieurs reprises, la direction d’ArcelorMittal a reconnu, il y a plusieurs mois, ces faits "isolés". Sauf qu’en 2016, le sidérurgiste a réalisé une nouvelle fabrication de tôles pour les deux sous-traitants d’Areva et Westinghouse. Les mêmes défauts n’ont pas été renouvelés mais d’autres sont apparus… Et cette fois chez REEL, l’autre sous-traitant qu’EDF avait privilégié. Elle aussi se fournissait en acier auprès d’ArcelorMittal. La société d’ingénierie n’a pas souhaité nous répondre mais selon nos informations, d’autres problèmes de qualité, moins graves, ont été repérés par les inspecteurs d’EDF. ArcelorMittal botte en touche et précise que les contrôles d’EDF ne sont pas terminés…

Pertes de compétences

Depuis, REEL a cessé de travailler avec ArcelorMittal, privilégiant des aciéristes étrangers, notamment finlandais. De son côté, Areva-Framatome (racheté l’an passé par EDF) continue à se fournir chez Arcelor. Il est "coincé" depuis qu’il a investi, en 2014, 70 millions d’euros dans l’usine de son fournisseur pour l’aider à se moderniser. En contrepartie de quoi, Areva bénéficie de réserves de commandes jusqu’en… 2024.

Ces anomalies chez ArcelorMittal illustrent les difficultés de l’industrie nucléaire française à se relancer. Ces "tubes", comme beaucoup d’autres composants, n’ont pas été produits en France depuis plus de trente ans. "La perte de compétences pose un vrai problème" explique un dirigeant du secteur. Depuis plusieurs années, EDF et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pointent du doigt les difficultés à trouver des compétences dans certains métiers. Arcelor en est l’exemple criant. Au-delà du savoir-faire, les industriels s’interrogent sur la culture du travail dans les usines du Creusot. Tout comme l’usine d’Areva, celle d’Arcelor appartenait il y a vingt ans à l’ancien fleuron industriel Usinor. Un nouveau coup dur pour l’industrie française.

Matthieu Pechberty