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Audiovisuel public: quelques annonces et beaucoup de non dits

La ministre de la Culture Françoise Nyssen a annoncé ce lundi que, dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public, la chaîne France 4, actuellement diffusée sur le canal 14, ne serait plus distribuée sur la TNT.

"J'ai la volonté ferme de faire une révolution dans l'audiovisuel public", avait promis Emmanuel Macron aux députés en décembre. Mais la révolution n'est visiblement pas pour aujourd'hui, à en croire les annonces faites lundi 4 juin par la ministre de la Culture Françoise Nyssen. Même si elles ont été habillées de grands mots: "une transformation ambitieuse" pour Françoise Nyssen, "une refonte radicale du modèle" pour Delphine Ernotte. 

Les deux sujets les plus sensibles, le budget et la nomination des dirigeants, ne sont toujours pas tranchés et ont été renvoyés à plus tard. La nomination des dirigeants sera au menu de la future loi sur l'audiovisuel, promise jusqu'à présent pour fin 2018, mais qui est reportée à "courant 2019". En attendant, Françoise Nyssen a publiquement conforté Delphine Ernotte, assurant que la patronne de France Télévisions a eu raison de dénoncer "une télévision d'hommes blancs de plus de 50 ans"...

La ministre a annoncé essentiellement des synergies dans les programmes, parfois floues. Mais il n'a pas été possible d'obtenir des précisions, la ministre quittant sa conférence de presse après son discours sans répondre aux questions des journalistes. Quant au maigre dossier de presse distribué à l'occasion, il est aux deux tiers consacré à un état des lieux actuel de l'audiovisuel public... 

Moins de chaînes hertziennes

La question du nombre de chaînes publiques sur la TNT (télévision numérique terrestre) n'a même pas été tranchée. Certes, la fin de la diffusion hertzienne de la chaîne jeunesse France 4 a été annoncé, suscitant la fureur des producteurs de dessins animés. Mais la question reste ouverte sur la chaîne ultra-marine France Ô. "Il faudra interroger nos concitoyens d’Outre-Mer et leurs élus pour déterminer si l’avenir est au maintien de France Ô sur le canal hertzien, ou au contraire au renforcement de la présence ultramarine sur les chaînes généralistes", a dit Françoise Nyssen.

Cette question sera étudiée par une mission lancée ce lundi et qui doit rendre ses premières conclusions "d'ici le 15 juillet". Sous la direction de Catherine Smadja (ex-BBC), la mission est composée de Isabelle Giordano, Frédéric Lenica, Claire Leproust et Marc Tessier. La mission mènera aussi une consultation du grand public, et se penchera sur deux autres points: l'audiovisuel extérieur, et les synergies en région de France Télévisions et Radio France. Comme annoncé, France 3 et France Bleu diffuseront une matinale commune (avec à l'automne des expérimentations dans deux villes), une émission politique hebdomadaire, des concerts... Cela permettra d'augmenter le volume de programmes régionaux sur la Trois, qui "à terme" passera de 2 à 6 heures par jour. 

Offres communes sur le web

Plusieurs offres communes vont aussi être lancées sur le web, comme Françoise Nyssen l'avait déjà annoncé:

-une offre pour les 13-30 ans avec "des programmes courts, de la comédie, de la musique, des webséries, des documentaires immersifs, des écritures interactives...", à partir des offres existantes (Mouv', Slash, Mashable, Studio 4), lancée début 2019
-une offre d'éducation grand public, "en lien avec l'Education nationale", lancée en 2019
-une offre de "décryptage de l'information et de lutte contre les fake news", hébergé par le site france info, et lancée dès ce mercredi 6 juin
-une offre culturelle, avec "des captations, des webséries, des podcast", lancée fin juin

Redéploiement

Au final, tous ces nouveaux projets coûteront pas mal d'argent. "Les entreprises investiront 150 millions d'euros supplémentaires dans le numérique d'ici 2022", a promis la ministre, soit un doublement par rapport au budget actuel. Françoise Nyssen a aussi promis de ne pas toucher aux 560 millions d'euros annuels investis dans la création (films, séries, documentaires...). Tout ceci rend donc fort improbable une réduction drastique des dépenses... Delphine Ernotte a expliqué que ces "investissements massifs" se feront uniquement "par ré-allocations internes": "la collectivité n'a plus les moyens d'accompagner les dynamiques budgétaires de l'audiovisuel public. Nos ressources vont diminuer et il faudra trouver en nous-mêmes nos marges de manoeuvre à travers des gains d'efficacité". 

Timides critiques

Lundi, Françoise Nyssen s'est livrée à une timide critique de l'audiovisuel public, bien moins violente qu'Emmanuel Macron:

"Il n’y a pas d’échec. Le constat des insuffisances, des atermoiements, de l’impasse de la course à l’audience, de l’absence, surtout, de prise de risque."

Le dossier de presse du ministère de la Culture développe ces critiques:

"L’arrêt de la publicité le soir et autour des programmes pour les enfants ne s’est pas traduit par la prise de risque et la créativité attendues. Le service public n’est pas assez distinctif, ne propose pas des programmes assez différents de ceux du privé: 63% des Français ne pensent pas que l’offre de France Télévisions est de meilleure qualité que celle des chaînes privées (source : sondage JDD-IFOP janvier 2018)
Dans leur positionnement, les chaînes publiques peuvent se concurrencer (Arte/France 5, France 2/ France 3) au lieu de se compléter. Les chaînes les plus récentes (France 4, France Ô) peinent à trouver leur identité propre et leur audience cumulée atteint 2,7 % en 2017.
La stratégie numérique est beaucoup trop timide. Le budget dédié au numérique ne représente que 3% du budget de France Télévisions; à titre de comparaison, il représente 7% de celui de la BBC, et 11% de celui de Radio Canada.
Le service public ne s’adresse pas suffisamment aux 15-34 ans qui représentent 30% de la population
Les coopérations entre les sociétés de l’audiovisuel public restent l’exception au lieu d’être la règle. À l’exception de Franceinfo, les collaborations entre les sociétés du service public sont quasiment inexistantes. La faiblesse de ces coopérations empêche l’émergence d’un champion industriel".
Jamal Henni