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Award du Manager BFM - Bernard Arnault: "Je suis au cœur d'un groupe d'entrepreneurs et de pionniers…"

Bernard Arnault, Président-directeur général de LVMH.

Bernard Arnault, Président-directeur général de LVMH. - -

Les secrets de la formidable réussite de LVMH, numéro un mondial du luxe, Bernard Arnault, Manager BFM 2013 nous les révèle dans cet entretien avec l'équipe de BFM Business: un mélange d’esprit d’entreprise et de création. "Je suis, dit-il, au cœur d’un groupe d’entrepreneurs et de pionniers...". La suite de l’aventure? La pérennité familiale, gage d’une vision stratégique à long terme.

Ce prix, l'Award du Manager BFM, récompense le manager de LVMH. Vous avez écrit que le management du groupe valorisait "la créativité, la qualité et l’esprit d’entreprise"; comment définiriez-vous votre style de management?

Entrepreneurial créatif. Je suis convaincu que, dans les métiers du groupe, la création, l’innovation, l’audace sont à la base de nos succès. La haute couture, l’horlogerie, la joaillerie, le travail du cuir, les parfums trouvent leur source et leur magie dans la création et l’innovation.

Dans le même temps nous avons besoin de managers qui ont l’esprit d’entreprise, le sens de la bonne gestion, qui sont capables de comprendre l’esprit des créateurs et d’avoir le sens de l’innovation. C’est cet équilibre qui est la clé du succès du groupe LVMH.

C’est cet équilibre entre le rationnel et l’irrationnel, entre le goût de l’organisation et un certain désordre inhérent à la créativité, cette capacité à gérer efficacement l’inventivité et à la transformer en produits au succès planétaire qui nous caractérisent le mieux.

Sur la durée, les performances du groupe sont exceptionnelles. Ces derniers mois, toutefois, les investisseurs ont pu s’inquiéter du ralentissement de certaines marques phares comme Vuitton… La croissance passe-t-elle par de nouvelles marques, de nouveaux créateurs?

La croissance passe d’abord par le succès de nos marques qui doivent créer le désir auprès de nos clients. Le mot clé dans notre métier est le désir. La croissance pour la croissance n’est pas notre but.

Prenez Louis Vuitton qui est la première marque de luxe au monde, et est aussi la plus désirable. L’important, c’est que dans quinze ans Vuitton soit encore aussi désirable qu’aujourd’hui. Notre stratégie est orientée vers ce seul objectif ; la croissance et la rentabilité n’en sont que des conséquences, certes appréciables, mais ce n’est pas notre première préoccupation.

Bien sûr, la croissance du groupe passe aussi par le développement de nos autres marques, comme par exemple Céline ou Marc Jacobs qui rencontrent de très grands succès. Et lorsque nous avons des opportunités exceptionnelles, nous n’hésitons pas à acquérir des marques uniques dans leur métier, comme Bulgari, un des joailliers les plus prestigieux, ou Loro Piana, une marque au savoir-faire incomparable, leader du cachemire.

La créativité, la haute qualité, la dimension artistique de vos marques, de vos produits, de votre travail sont des notions au cœur du discours de LVMH. Auriez-vous pu diriger avec le même enthousiasme une entreprise dans un secteur n’ayant rien à voir avec le luxe? Et si oui, lequel?

Je ne sais pas. Ce qui est vrai, c’est que je suis à l’aise avec ce mélange d’esprit d’entreprise et de création, qui fait appel autant au cerveau droit qu’au gauche, et qui caractérise les valeurs du groupe LVMH. Je dirige ce groupe avec passion et un plaisir renouvelé chaque jour. Je suis au cœur d’un groupe d’entrepreneurs et de pionniers.

Vous contrôlez LVMH, en êtes le PDG, et deux de vos enfants occupent des postes importants dans le groupe. Vivez-vous cette aventure comme celle d’une entreprise familiale? Et en quoi cela influe-t-il sur votre façon de diriger?

LVMH est effectivement un groupe familial puisque je le contrôle et dans lequel travaillent plusieurs membres de ma famille. Mais il est géré de manière professionnelle. Les responsabilités se gagnent par les compétences, et par aucun autre critère.

Ceci dit, la plupart des maisons composant le groupe sont d’origine familiale elles aussi. Et il est important que l’esprit des familles fondatrices soit toujours présent, comme c’est le cas dans nombre de nos maisons, que ce soit Guerlain, Louis Vuitton, Bulgari, Moët & Chandon, Hennessy, notamment.

Le côté familial d’un grand groupe comme LVMH est un atout majeur, car il lui donne une grande stabilité, et il permet d’avoir une vision stratégique à long terme. Notre horizon pour nos décisions importantes est une génération, et cela nous est possible grâce à cette pérennité familiale.

Vos autres enfants ont-ils vocation eux aussi à intégrer l'entreprise?

Mes plus jeunes enfants poursuivent leurs études, d’ailleurs brillamment. Mais laissons leur le temps!

L’Asie est aujourd’hui votre premier marché. Dans quelle mesure ces marchés émergents au développement formidable restent-ils encore des territoires de conquête et de croissance pour LVMH?

Lorsque Louis Vuitton a ouvert son premier magasin en Chine, en 1992, les professionnels du secteur étaient plus que dubitatifs. Vous connaissez la suite. Nous avons toujours été et continuerons à être pionniers, lorsque nous considérons qu’un pays constitue un marché prometteur.

Ainsi, Vuitton a été la première marque de luxe à ouvrir en Mongolie, au Vietnam… Lorsque l’on pense que le Vietnam a autant d’habitants que l’Allemagne, je vous laisse imaginer le potentiel de croissance à moyen terme. Ce qui est remarquable dans le développement des pays émergents, c’est que les frontières sont repoussées année après année. Prenez le Moyen-Orient, ou l’Amérique du Sud. Ce sont autant de relais de croissance.

Ce qui me rend confiant également, c’est que cette croissance des émergents s’accompagne d’un développement, certes moins rapide mais extrêmement qualitatif, des pays développés. Les États-Unis constituent, par exemple, depuis dix-huit mois, un marché en pleine santé pour l’ensemble de nos marques.

Votre dernière grosse acquisition, l’italien Loro Piana, a été annoncée en juillet 2013. Quel premier bilan tirez-vous de ces premiers mois?

Il est trop tôt pour parler de bilan, car nous attendons encore toutes les autorisations pour réaliser le "closing" d’ici la fin de l’année. Loro Piana possède un savoir-faire unique au monde dans le traitement des fibres exceptionnelles comme le cachemire, la vigogne ou la fleur de lotus. C’est d’ailleurs le premier transformateur de cachemire de la planète.

Et depuis une quinzaine d’années Loro Piana a développé des vêtements extraordinaires à partir de son savoir-faire industriel incomparable; ils sont présentés au public dans un excellent réseau de boutiques. C’est sans nul doute un symbole mondial de savoir-faire et de qualité hors du commun. Son potentiel est très grand.

Revenons à la France. LVMH réalise presque 90 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, de nombreux cadres dirigeants sont étrangers, vos dernières acquisitions sont des marques qui ont leurs racines hors de l’Hexagone… En quoi le groupe est-il encore une entreprise française ?

Notre siège est en France et le cœur de nos savoir-faire également. Nous y possédons nos ateliers de haute couture, de maroquinerie, de joaillerie, nos vignobles, nos centres de fabrication de parfums et je viens d’inaugurer, aujourd’hui, notre centre de recherche de Parfums et Cosmétiques ultramoderne à Saint-Jean-de-Braye près d’Orléans où trois cents de nos chercheurs vont travailler en liaison avec les universités de la région.

Le groupe LVMH créée, chaque année, près de 3.000 emplois en France, y paie près de 1 milliard d’euros d’impôt sur les sociétés, et nous faisons travailler des centaines d’entreprises dans le pays. Mais cela ne nous empêche nullement d’acquérir des marques de montres en Suisse ou de mode en Italie, à condition que leur savoir-faire nous corresponde. Il faut garder l’esprit ouvert et nous souhaitons nous concentrer sur les maisons qui possèdent les artisanats les plus exceptionnels.

Nous développons aussi très activement nos marques à l’international. Sephora, qui était uniquement présent en France quand LVMH l’a repris en 1998, est aujourd’hui un des leaders de la distribution de cosmétiques aux États-Unis et est implanté sur toute la planète.

Vous voyagez énormément, rencontrez des clients et des partenaires dans le monde entier, quelle image ont-ils de la France?

Le groupe LVMH et ses marques sont sans doute l’un des meilleurs ambassadeurs de la qualité et de l’art de vivre français. La France est connue pour son histoire, son raffinement, sa créativité, ses artistes. Elle est très appréciée dans le monde. Elle reste un des symboles phares de la civilisation occidentale, ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la France est l’un des pays les plus visités au monde.

Et vous-même, quel regard le chef d’entreprise à la réussite formidable que vous êtes, porte-t-il sur son pays, son climat économique morose et ses possibilités de rebond?

Chacun sait que la situation économique est difficile en France, et je pense que le redressement passe par la réussite de ses entreprises et la motivation de ses entrepreneurs. Même s’il y a une volonté de lancer des signaux positifs, comme ce fut le cas récemment avec le CICE, il faut encore renforcer toutes les actions pour inciter les entreprises à investir.

Le regard que je porte sur la France, néanmoins, est fondamentalement optimiste. La France a énormément de talents, de belles entreprises dont certaines ont su conquérir le monde, et un tissu de PME performantes. Mais, paradoxalement, en France, l’entreprise et les chefs d’entreprise n’ont pas une bonne image dans l’opinion, alors que ce sont eux qui ont les leviers du redressement en main, eux qui peuvent investir, créer des emplois, exporter le Made in France dans le monde entier. Il n’y a pas de nations fortes sans entreprise prospère.

Je pense que la notion d’entreprise et l’esprit d’entreprise devraient être enseignés beaucoup plus tôt dans les cursus scolaires et universitaires, car il me semble que c’est un devoir pour l’avenir de la France de valoriser l’entreprise et de favoriser l’esprit entrepreneurial.

La justice a ordonné à votre magasin Sephora des Champs-Élysées de fermer ses portes à 21 heures au lieu de minuit. Poursuivrez-vous le combat pour obtenir gain de cause?

Ce sont les salariés de Sephora Champs-Élysées qui se battent, parce qu’ils étaient tous volontaires pour travailler le soir et qu’ils sont victimes d’un recours d’une fédération de syndicats qui ne sont même pas représentés dans le magasin et qui vont à l’encontre du souhait des salariés du magasin Sephora des Champs-Élysées. C’est pour cela que ces derniers ont eux-mêmes fait un recours devant la cour d’appel pour obtenir gain de cause.

Cette situation est absurde, car le travail le soir représente des emplois, du pouvoir d’achat supplémentaire, puisque ceux et celles qui travaillent volontairement le soir chez Sephora sont payés 25 % plus cher. En outre, comment expliquer aux visiteurs du monde entier que les Champs-Élysées le soir seront un trou noir?

Le titre de l'encadré ici

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LVMH mise sur le poil de vigogne!

Loro Piana, né au 19ème siècle, c’est le spécialiste mondial des plus belles fibres naturelles. C’est notamment le leader mondial du poil de vigogne. La vigogne c’est une sorte de petit lama aux yeux de Bambi et surtout au pelage très soyeux.

Ce serait même selon les connaisseurs le plus beau tissu du monde. Un tissu très rare et donc très coûteux. La production est d’environ 8 000 kilos par an contre 10 000 tonnes de cachemire. C’est ce qui explique le chèque de 2 milliards d’euros fait, cet été, par LVMH pour prendre 80% du capital de cette pépite italienne.

Propos recueillis par Guillaume Dubois