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Bataille entre anciens et modernes sur la Croisette

Netflix a fait la promotion de son film 'Okja' sur la Croisette

Netflix a fait la promotion de son film 'Okja' sur la Croisette - BFM Business

Pour la première fois, deux films produits pour Netflix ont été sélectionnés à Cannes. Un choix qui a divisé toute la filière.

Au Festival de Cannes, on adore les polémiques. Cette 70ème édition n'a pas échappé à la règle, avec une querelle homérique sur la présence en compétition de deux films produits pour Netflix, Okja et The Meyerowitz stories

La polémique a même divisé le jury. Le président du jury, le réalisateur espagnol Pedro Almodovar, a exclu d'accorder un prix à un film "qui ne pourrait pas être vu sur grand écran". Mais l'acteur américain Will Smith, membre du jury, a estimé que Netflix était complémentaire de la salle, et avait permis à ses enfants de "voir des films qu'ils n'auraient pas vus autrement".

Porno et Perrier

Le site américain a aussi été violemment attaqué par plusieurs réalisateurs français, comme Xavier Beauvois: "Netflix c'est le type qui se branle devant un porno, boit un Perrier et dit "Ah les femmes et le champagne!" .

Ou par Radu Mihaileanu, qui a déploré, lors d'un débat organisé samedi 20 mai par la SACD, que Netflix soit réservé "aux riches qui peuvent s'abonner". Une déclaration qui lui a valu d'être la risée de la twittosphère, qui lui a rappelé le prix d'une place de cinéma ou d'un abonnement à Canal Plus...

Prison à vie?

Autre argument de Radu Mihaileanu: un film acheté par Netflix a un public plus réduit, car il reste réservé "à vie" aux abonnés du service californien. Ce qui est là encore inexact: le californien accepte de revendre les droits de ses oeuvres à d'autres diffuseurs (comme la chaîne Numéro 23 qui diffuse en ce moment la série Orange is the new black).

Surtout, d'autres créateurs pensent au contraire que leur film sera plus vu sur Netflix (fort de 100 millions d'abonnés) qu'en salles. Telle Houda Benyamina, réalisatrice du film Divines acheté il y a un an par le californien: "Être sur Netflix, ça veut dire voir son film disponible sur une longue durée. [En salles], même si le film cartonne, au bout de six semaines, il est enlevé des salles", déclarait-elle fin 2016.

Mieux: certains créateurs se tournent vers ces nouveaux acteurs car c'est devenu leur seule solution. Ainsi, Bong Joon-ho, réalisateur de Okja, a expliqué que tous les studios hollywoodiens avaient refusé de financer son film, dont le budget est estimé à 50 millions de dollars. "Ceux à qui j’ai présenté le scénario n’en ont pas voulu. Netflix l’a accepté et m’a offert un soutien total", a expliqué le réalisateur coréen. "J'ai aimé travailler avec Netflix. Ils m'ont donné une liberté totale, ils ne m'ont pas mis la pression. C'était une expérience merveilleuse", a-t-il ajouté

La France seule au monde

Autre inexactitude de Radu Mihaileanu: Netflix accepte que ses films sortent en salles, mais à condition que ce soit en même temps que leur mise en ligne, ce qu'on appelle le day and date. Okja sortira ainsi en salles dans certains pays, comme la Corée du sud. "Nous ne sommes pas contre les salles, mais nous sommes contre une fenêtre réservée aux salles. Nous sommes tout à fait ouverts si les salles sont prêtes à distribuer le film au moment où nous le mettons sur le site", a expliqué Robert Roy, vice-président de Netflix chargé de l'achat de contenus.

Mais en France, la réglementation interdit les sorties simultanées de ce type. Dès qu'un film sort en salles, s'applique la chronologie des médias, qui interdit de proposer avant 3 ans le film sur un site de vidéo-à-la-demande illimitée (SVoD) de type Netflix. "La France est le seul pays au monde où il y a ce type de restriction", a déploré Ted Sarandos, le directeur des contenus de Netflix, ajoutant que la présence de films Netflix n'avait pas posé de problèmes dans d'autres festivals comme Venise ou Toronto... 

"Notre chronologie des médias est un repoussoir"

La réglementation française parait aussi intenable aux yeux de Pascal Rogard, directeur général de la société d'auteurs SACD. "Le cinéma est en train de voir passer le train de l'économie numérique sans réagir intelligemment. [Les nouveaux acteurs du web] n'auraient même pas la possibilité d'investir en France, même s'ils le voulaient. Il faut rendre la France attractive. Il n'y a pas de raison de les repousser à trois ans dans la chronologie. En l'état, notre chronologie des médias est un repoussoir. Tous les professionnels disent, et ils ont raison, qu'elle est dépassée", a-t-il déclaré au Film français.

Frédérique Bredin, présidente du CNC (Centre national du cinéma), a expliqué lors du débat organisé par la SACD: "Les plates-formes internet investissent beaucoup, c'est une vraie opportunité. L'enjeu est d'intégrer ces nouveaux acteurs sans notre modèle. Ils doivent prendre le relais au moment où Canal Plus et les chaîne de télévision historique connaissent quelques difficultés". 

En pratique, le CNC propose d'offrir des films plus frais aux services "vertueux" qui s'installeraient en France, et accepteraient de financer la filière, notamment de payer une taxe au CNC. Toutefois, "les plate-formes n'ont pas toute la même attitude, a relevé Frédérique Bredin. Netflix n'accepte pas de payer la taxe, a fait un recours contre une taxe similaire en Allemagne, bref, ne montre pas de signes positifs pour devenir vertueux, et refuse de prendre en considération l'exception culturelle; tandis qu'Amazon est établi en France et accepte de payer la taxe. Et que Google comprend qu'il y a une exception culturelle et souhaite participer au financement de la création".

Jamal Henni, à Cannes