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Bio, circuits-courts: le nationalisme alimentaire n’est pas la solution

Les Français aimeraient consommer plus de bio et des produits français. Notre industrie agroalimentaire est-elle assez solide pour répondre à cette demande? Peut-elle effectuer une transition totale vers le bio? L’analyse de Didier Bruère-Dawson, avocat associé chez Brown Rudnick, en charge de des équipes de restructuration de Brown Rudnick en Europe.

Au cœur d’une crise sanitaire majeure (et confinés), les Français, comme la plupart des Européens, ont privilégié le label bio et les fameux circuits courts entre producteurs et consommateurs qui jouent la carte de l’économie locale.

Depuis la reprise, le pic de consommation pour le bio et les circuits courts a été réduit, notamment car le critère du prix est redevenu majeur avec la peur du chômage. On note tout de même que pendant le confinement, 89% des Français se disaient prêts à payer plus cher pour des circuits courts.

Mais l’évolution est là ! Elle suit une trajectoire commencée il y a quelques années et qui ne s’arrêtera pas après plusieurs scandales sanitaires. En 2019 la distribution en bio a augmenté de 19% en France, ce qui aboutit à la montée en puissance des subventions publiques aux échelles locales et européennes.

Tout miser sur les circuits courts est impossible 

Cette évolution doit-elle pour autant être l’alpha et l’oméga de notre industrie agroalimentaire? Doit-elle représenter une des flammes de la souveraineté alimentaire française ? Comme pour les médicaments, faut-il relocaliser notre industrie agro-alimentaire?

La souveraineté de la France dans le secteur de l’industrie agro-alimentaire est incontestable. Ces nouveaux modes de consommation, bio et circuit courts sont aussi des relais de croissance avec des implications technologiques qui obligent à un travail de fond.

L’industrie agroalimentaire française est déjà souveraine et tout miser sur les circuits courts est impossible et risqué.

La France est une réelle puissance mondiale de l’agroalimentaire, le 6ème exportateur. Cette force de notre industrie est un formidable levier pour accompagner l’évolution vers le bio, avec tout ce que ce label implique de la production à la distribution en passant par la transformation mais aussi le contrôle.

Vers une hausse des prix

Car, si on fait le choix - comme les Polonais et Bulgares l’ont fait pendant la crise - de sortir du circuit mondial, au motif de privilégier, par la loi ou les droits de douane, les circuits courts, il faut s’attendre à une baisse de nos exportations.

Ceux auxquels on veut moins acheter risquent d’être moins disposés à nous acheter nos produits transformés, notre lait ou notre blé. Les prix iront à la hausse, il n’est pas certain que la souveraineté alimentaire française y gagnera et encore moins le consommateur.

En termes clairs, on peut et il faut, dans le cadre des plans alimentaires territoriaux, développer les circuits courts du producteur au consommateur. Ils seront cependant alternatifs et ne peuvent pas remplacer du jour au lendemain les circuits déjà établis pour alimenter les villes, assurer la puissance française à l’international et donc l’équilibre de notre balance et de nos comptes.

Le nationalisme alimentaire bulgare et polonais

On doit donc miser et organiser la coexistence des circuits courts avec les circuits longs. On peut aussi en réduire la longueur en collaborant, de manière équilibrée, avec notre lointain plus proche, le Maroc par exemple, et l’Afrique plus généralement, où sont les terres arables non exploitées. L’Afrique est bien un relais pour nos entreprises, dans un cadre d’échanges.

La Pologne et la Bulgarie ont choisi la voie du nationalisme alimentaire pendant la crise sanitaire, avec même des mises au pilori public de ceux qui achetaient leur lait ou d’autres denrées en dehors de leur pays. Le résultat ne fut pas des plus convaincants, et a conduit à des actions de l’Union européenne. On ne peut d’une main prendre les subventions européennes qui aident à combattre les concurrences américaines, chinoises ou autres pour, de l’autre main, jeter aux orties les règles.

Le bio et les circuits courts répondent en partie aux défis de l’industrie depuis 10 ans, mais ils y sont aussi confrontés. 

Malgré le caractère soudain, imprévu et immense des défis logistiques, humains et sanitaires, l’industrie agroalimentaire française a tenu pendant la crise Covid-19. Les plus touchés sont bien sûr les secteurs événementiels ou de la restauration qui ont beaucoup souffert, et dans lesquels on attend de nombreuses défaillances et restructurations.

Des défaillances dans l'agro-alimentaire qui augmentent

Il y a eu, dans la production et la transformation alimentaire, des solidarités entre les entreprises et assez peu de défauts. Les défaillances spectaculaires observées découlent aussi de difficultés préexistantes au Covid-19. Cela étant, tout ne va pas bien dans l’industrie alimentaire, confrontés à de vastes défis. Le bio et les circuits courts sont parmi les réponses aux difficultés.

Au plan mondial, il y a des défaillances de grandes entreprises de l’agroalimentaire, et ce depuis une dizaine d’année. C’est plus que dans d’autres secteurs et le phénomène est croissant. 

Les entreprises défaillantes représentaient 6,4 milliards de dollars en 2018 pour 20 milliards en 2019 avec une surreprésentation des Etats-Unis et de l’Europe. La France n’est pas en reste avec, depuis 10 ans, des défaillances successives, dans l’industrie de la transformation (les abattoirs par exemple), William Saurin, Madrange, Jean Caby, etc.

4 défis à relever

Par-delà les difficultés conjoncturelles qui expliquent la surreprésentation des entreprises de l’agroalimentaire dans les entreprises en restructuration, il y a 4 défis auxquels le bio et les circuits courts répondent ou sont confrontés :

- Le changement profond des habitudes des consommateurs qui veulent de la santé et de l’éthique et qui veulent de la transparence. 

- La réduction de l’empreinte carbone de la production et de la transformation ainsi que les emballages plastiques. 

- Les tensions commerciales obligent à repenser l’approvisionnement et la vente 

- Les pressions à la hausse des salaires sur la production, la transformation (d’où les défaillances dans les abattoirs depuis 10 ans) et la distribution. 

La France a-t-elle les moyens de se positionner en champion du bio et des circuits courts alternatifs, qui donc sont des demandes et une nécessité durable et croissante ? Oui et il le faut car la concurrence viendra du Maroc et de de l’Espagne ou du Danemark. Pour les circuits courts, les plans alimentaires territoriaux sont un outil essentiel. Il faudra les accompagner d’un travail local sur l’équipement notamment, avec l’aide de la banque des territoires.

Le bio, une longue éducation

Pour le bio, la France a déjà des champions en technologies qui peuvent accompagner le contrôle essentiel de qualité et d’origine. Ils peuvent également assurer la transformation des déchets. La France a aussi fait le choix du bio dès le stade de la production en multipliant les aides à l’agriculture et subventions. L’objectif est d’arriver à 15% des surfaces agricoles en bio d’ici 2022. En 2019, 8,5% de ces surfaces y étaient consacrés.

Cela étant, un rapport du Sénat, vite effacé par la pandémie en février 2020, a mis à jour combien sous les effets d’annonce il y avait un maquis de subventions. Cela relève même de l’effet d’aubaine avec une absence de contrôle et une certaine flexibilité sur les règles. 

Et surtout, conservons à l’esprit que la paysannerie bio c’est toujours la paysannerie française, avec 1/3 à 40% des paysans qui ont plus de 55 ans et qui tenteront de prendre leur retraite d’ici 10 ans.

Enfin, le bio c’est aussi une longue éducation, un comportement et une foi dans les certifications. Il reste à y aider, éventuellement, avec des bons d’achat dans le bio, car les prix restent plus importants, alors que le chômage, lui, monte.

Didier Bruère-Dawson, avocat associé chez Brown Rudnick, en charge de des équipes de restructuration de Brown Rudnick en Europe