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Bolloré dans les médias: un bilan mitigé

Les quotidiens gratuits de Vincent Bolloré ont cumulé 147 millions d'euros de pertes nettes

Les quotidiens gratuits de Vincent Bolloré ont cumulé 147 millions d'euros de pertes nettes - Pierre Verdy AFP

Vincent Bolloré, contesté sur sa reprise en main de Canal Plus, répond qu'il n'est pas "un nouveau" dans le secteur des médias, où il a débarqué il y a dix ans, à la fois dans la presse, la télévision et la publicité.

"La télévision, c'est un métier, contrairement à ce que semble penser M. Bolloré", twittait récemment Robert Namias. "Il ne faut pas qu'un président de groupe veuille faire de la programmation, car cela donne des audiences catastrophiques", a rajouté le 12 novembre le PDG de TF1 Nonce Paolini.

Autant de remarques qui piquent au vif Vincent Bolloré. En effet, le nouveau président du conseil de surveillance de Canal Plus se mêle de près des programmes. C'est lui a qui choisi la nouvelle animatrice du Grand journal, Maïtena Biraben. Selon Le Monde, il se vanterait même d'être "le meilleur programmateur de la télé", et aurait écrit quelques futurs sketches des Guignols... "Si Vincent Bolloré se mêle autant du contenu, c'est qu'il est vraiment persuadé qu'il a de bonnes idées en la matière", confirme un de ses interlocuteurs.

L'intéressé lui-même, lorsqu'il a été convoqué par le gendarme de l'audiovisuel le 24 septembre, a mis en avant son expérience dans les médias, soulignant qu'il n'était "pas nouveau" dans le secteur. C'est en effet exact. Depuis dix ans, l'industriel breton a fait diverses incursions dans les médias, plus ou moins heureuses. Revue de détail.

1-la presse

Vincent Bolloré s'est lancé dans la presse gratuite, mais sans jamais gagner d'argent, cumulant au contraire près de 150 millions d'euros de pertes.

En 2006, il lance d'abord un quotidien du soir, Direct soir, qui sera fermé en 2010, après avoir cumulé 61 millions d'euros de pertes nettes, selon ses comptes sociaux.

En 2007, l'industriel breton lance un quotidien du matin, Matin plus, qui paraît toujours sous le nom de Direct matin. Toujours déficitaire, Direct matin a cumulé 86 millions d'euros de pertes nettes, selon ses comptes sociaux (chiffre qui ne comprend pas le site web et certaines éditions de province, opérés par d'autres sociétés). Selon l'étude Audipresse One, Direct matin est devenu le second quotidien français en audience, derrière 20 minutes, et juste devant feu Metro

Par ailleurs, le groupe a étudié divers rachats (Metro, Le Parisien, La Tribune), et a aussi envisagé le lancement de son propre quotidien payant, mais sans suite. 

2-la télévision

Sur la TNT, Bolloré a lancé Direct 8 et l'a détenue jusqu'en 2011. Sur cette période, la chaîne a toujours perdu de l'argent, et cumulé 222 millions d'euros de pertes nettes, selon ses comptes sociaux. Avant son rachat, Direct 8, avec un coût de grille de 38 millions d'euros, réalisait 2,3% d'audience, ce qui la classait au 4ème rang sur la TNT.

Direct 8 est ensuite revendue à Canal Plus, qui la rebaptise D8 et refond la grille de programmes, faisant notamment venir Cyril Hanouna, Laurence Ferrari, etc. En pratique, tous les programmes de l'ère Bolloré passent alors à la trappe, à quelques exceptions près qui restent diffusées aux heures creuses: Gym direct (en semaine à 6h45), Direct auto (samedi à 18h50), A vos régions (dimanche à 9h), Les animaux de la 8 (dimanche à 10h), Au coeur de l'enquête (dimanche en deuxième partie de soirée), Langue de bois s'abstenir (mercredi vers minuit) et Voyage au bout de la nuit (la nuit).

Les équipes de Canal doublent le coût de grille. Mais le succès est au rendez vous: l'audience grimpe de 50%, faisant de D8 le leader de la TNT. Résultat: les recettes publicitaires doublent, l'équilibre est enfin annoncé au dernier trimestre 2013.

Parallèlement, mi-2010, Bolloré rachète Virgin 17 au groupe Lagardère pour 70 millions d'euros. Le nouveau propriétaire rebaptise Direct Star cette chaîne musicale diffusée sur la TNT, et fait légèrement progresser l'audience. La chaîne est aussi revendue à Canal Plus, qui la rebaptise D17, et fait légèrement progresser l'audience.

Rappelons qu'en septembre 2012, Bolloré a reçu en paiement des deux chaînes 22,4 millions d'actions Vivendi (propriétaire de Canal Plus), qui valaient alors en bourse 351 millions d'euros. La plus-value a été chiffrée à 255 millions d'euros dans les comptes de Bolloré.

Par ailleurs, le groupe Bolloré avait aussi décroché en 2010 des fréquences pour des chaînes locales sur la Côte d'Azur, mais ne les a jamais lancées et a rendu les fréquences. Enfin, il a opéré entre 2004 et 2008 une radio diffusée en ondes moyennes, Radio Nouveaux Talents, qu'il a fini par fermer.

3-la publicité

Le groupe Bolloré détient 60% de l'agence de publicité Havas. Vincent Bolloré est devenu président du conseil d'administration en juin 2005, à l'issue d'une violente bataille avec la direction en place. Dix ans après, les analystes financiers font un bilan globalement positif de l'ère Bolloré.

D'abord, la rentabilité a augmenté: la marge opérationnelle courante est passée de 9,5% en 2006 à 14,1% en 2014. "L’objectif initial lors de la prise de contrôle était d'atteindre cet objectif en 3-4 ans. Au final, l’objectif est presque atteint, mais il aura fallu attendre 10 ans", relève Emmanuel Chevalier, du Crédit Mutuel CIC. "Cette rentabilité reste moins bonne que Publicis ou WPP, qui dépassent 16%, mais une bonne partie du retard a été rattrapée, notamment grâce à la mutualisation des coûts centraux", abonde Jean-Baptiste Sergeant, chez Mainfirst. Toutefois, "la réduction des coûts s'est faite en coupant tous les bonus et plans de stock options, entraînant de nombreux départs, ce qui est dommageable dans un secteur où la valeur repose avant tout sur les hommes", ajoute un autre analyste.

De plus, Havas est aujourd'hui totalement désendetté: "le bilan est aujourd'hui très sain, alors que la situation était très tendue lors de la prise de contrôle par Bolloré", ajoute Emmanuel Chevalier.

Côté croissance organique, le bilan est plus mitigé: "Havas a d'abord connu une période de sous-performance par rapport aux autres acteurs du secteur, mais affiche depuis plus de deux ans un meilleur niveau de croissance", relève Emmanuel Chevalier. Pour Jean-Baptiste Sergeant, cette croissance plus faible est due "au retard dans le numérique, qui, en 2013, ne représentait que 26% de la marge brute, contre 35% chez WPP et 38% chez Publicis".

Cet analyste avance l'explication suivante: "Pendant que les concurrents rachetaient des agences spécialisées dans le numérique, Havas n’a quasiment rien racheté. La politique d’acquisition a été très timide: seulement 15 à 20 millions d’euros dépensés par an, contre 500 millions chez Publicis ou WPP. Havas n’a même pas tenu la promesse faite en 2011 de dépenser en rachats 750 millions d’euros en trois ans. Mais le groupe se met enfin à essayer de rattraper une partie de ce retard, avec le rachat de l’agence numérique Fullsix pour 70 millions d’euros, soit la plus grosse acquisition réalisée sous l’ère Bolloré".

Au final, Havas est restée la 6ème agence de publicité mondiale, sans participer à la course à la taille des autres agences. Pour Emmanuel Chevalier, "cette petite taille reste un handicap dans l’achat d’espace. Ainsi dans le cadre des grands appels d’offre lancés cette année aux États-Unis, Havas n’a pas réussi à remporter de grandes compétitions. Cependant, la société a réussi à trouver son modèle, et est aujourd’hui plus intégrée que la plupart des géants du secteur".

De son côté, Jean-Baptiste Sergeant juge "discutables" certaines décisions, comme le rachat massif d’actions puis leur annulation en 2012: "cela a coûté 267 millions d’euros à Havas, et surtout permis à Bolloré de passer de 33% à 37% du capital d'Havas sans débourser un euro".

Par ailleurs, Bolloré a détenu entre 2005 et 2012 environ un quart du capital du britannique Aegis. L'industriel breton n'est pas parvenu à le marier avec Havas, ni même à entrer au conseil d'administration. Mais il a réussi à revendre cette participation avec une belle plus value (497 millions d'euros bruts).

Les audiences de D8 et D17 (en %)

D8 2007: 0,3 2008: 0,7 2009: 1,4 2010: 2 2011: 2,3 2012: 2,3 (lancement de la nouvelle grille par Canal en octobre) 2013: 3,2 2014: 3,3 Neuf premiers mois de 2015: 3,4

D17
2009: 0,7
2010: 1 (rachat par Bolloré)
2011: 1,2
2012: 1,2 (lancement de la nouvelle grille par Canal en octobre)
2013: 1,2
2014: 1,4
Neuf premiers mois de 2015: 1,2

Source: Médiamétrie

Les recettes publicitaires nettes de D8 et D17 (en millions d'euros)

D8 2007: 3 2008: 13 2009: 27 2010: 45 2011: 54 2012: 56 (lancement de la nouvelle grille par Canal en octobre) 2013: 97

D17
2009: 14
2010: 23 (rachat par Bolloré)
2011: 24
2012: 24 (lancement de la nouvelle grille par Canal en octobre)
2013: 28

source: BFM Business

Jamal Henni