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Bolloré perd son procès en dénigrement contre France 2

L'industriel breton multiplie les procès contre les journalistes

L'industriel breton multiplie les procès contre les journalistes - AFP Eric Piermont

"Le tribunal de commerce de Paris a rejeté la plainte déposée suite à la diffusion d'un portrait dans Complément d'enquête sur France 2 par l'industriel breton, qui réclamait 50 millions d'euros de dommages."

Nouveau revers judiciaire pour Vincent Bolloré. Mardi 12 juin, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la plainte pour "dénigrement" déposée suite à la diffusion le 7 avril 2016 d'un portrait de Vincent Bolloré dans l'émission Complément d'enquête sur France 2. Le groupe Bolloré réclamait à France Télévisions la coquette somme de 50 millions d'euros pour le préjudice subi.

Ce reportage, qui a reçu le prestigieux prix Albert Londres, n'a pas plu à l'industriel, qui l'a aussi attaqué en diffamation, en France comme au Cameroun. Mais il a été débouté le 5 juin par le tribunal correctionnel de Nanterre (il a indiqué qu'il fera appel).

Querelle de juridiction

Le tribunal de commerce s'est déclaré "incompétent", estimant que l'affaire relève du droit de la presse:

"Le dénigrement résulte d'une action visant à jeter le discrédit sur les produits et services d'une entreprise pour en détourner la clientèle.
Le Cour de Cassation précise que la liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne peut être contesté sur les fondements du code civil, sauf dénigrement de produits et services.
Aucune des critiques soulevées par le groupe Bolloré, fut-elle exacte, ne vise l'impact négatif du reportage sur les produits diffusés par le groupe Bolloré, mais seulement l'impact négatif en ayant résulté sur son image.
Dès lors, de telles actions relèvent de la compétence du tribunal de grande instance". 

Le tribunal a ainsi repris l'argument des avocats de France Télévisions, pour qui il s'agissait d'une affaire de diffamation: "Cette plainte n'a aucun fondement juridique sérieux, c'est de la gesticulation pour détourner les esprits du principal. Vincent Bolloré veut contourner la loi de 1881 sur la presse. Il a largement communiqué sur cette plainte pour faire peur. C'est un spécialiste des procédures contre la presse", avait plaidé Me Jean Castelain. Cette plainte est destinée "à bâillonner la presse, à intimider, à marquer les esprits", avait ajouté sa consœur Juliette Felix, rappelant que "Vincent Bolloré poursuit une vingtaine de médias en diffamation".

L'avocat du groupe Bolloré, Didier Malka, avait répondu que le droit de la presse a ses limites: "Je reproche à France 2 ce que France 2 n'a pas dit dans son reportage. Ce que le reportage ne dit pas n'est pas réprimé par la loi sur la presse de 1881. Cette loi n'impose ni l'équité, ni l'impartialité". Toutefois, Me Malka avait été bien en peine de citer d'autres condamnations de médias par le tribunal de commerce. Il avait juste cité la condamnation de Morgan Stanley suite à la publication d'analyses financières trop négatives sur LVMH...

Bolloré fait appel

L'avocat de Bolloré a annoncé à l'AFP qu'il allait faire appel, car "le tribunal a statué sur une question de procédure. Il n'a pas donné un blanc-seing sur les propos tenus".

De son côté, l'auteur du reportage Tristan Waleckx, a déclaré:

"On est clairement dans une stratégie d'intimidation de la presse, mais je suis heureux que la justice reconnaisse que mon reportage n'était ni diffamant, ni dénigrant. Vincent Bolloré s'est enlisé tout seul dans une stratégie d'attaques massives et multiples. J'espère qu'à force de subir ces revers judiciaires à répétition, il va finir par nous laisser tranquilles".

Pas de népotisme

Sur le fond, l'avocat du groupe Bolloré avait reproché au reportage d'avoir omis plusieurs informations. Par exemple, ne pas avoir dit que "le groupe Bolloré ne détient qu'une participation minoritaire de 38,8% dans la Socapalm", qui exploite des plantations en Afrique. Ou ne pas avoir dit que Jacques Dupuydauby, détracteur de Vincent Bolloré, a été condamné par la justice espagnole.

Surtout, l'avocat de Bolloré avait critiqué la présentation de la prise de contrôle d'Havas faite dans le reportage, qui affirmait:

"Les cadres historiques d'Havas sont éjectés. Commence alors chez Havas une purge particulièrement violente. [...]
La purge est finie. Vincent Bolloré peut désormais faire avancer son armée de fidèles. Comme PDG d'Havas, il a fini par placer son propre fils, Yannick. La famille et les copains d'abord..."

L'avocat de Bolloré avait livré une version différente de l'histoire: "d'abord, l'ancien PDG Alain de Pouzilhac a démissionné. Ensuite, Yannick Bolloré n'a pas été mis là parce que c'est le fils de Vincent Bolloré. Yannick Bolloré a le droit d'être son fils et d'être compétent. On n'est pas là pour placer ses enfants. On est là pour que les entreprises se développent. Si on estime que Yannick est le meilleur pour cela, alors on le désigne". Et d'une manière générale, "lorsqu'un nouvel actionnaire arrive, l'ancienne direction s'en va, c'est son droit, il n'y a rien d'anormal".

Explications laborieuses

Enfin, l'avocat de Bolloré avait plus laborieusement défendu la déprogrammation par Canal Plus du documentaire sur le Crédit Mutuel: "le groupe Bolloré a considéré que cela ne convenait pas, que ce n'est pas quelque chose que l'ont fait aux partenaires de la chaîne". Il avait ajouté que tous les médias subissaient des "pressions", y compris Complément d'enquête, qui y a lui aussi cédé, en déprogrammant en 2012 un reportage sur Pierre Sarkozy... Ce à quoi l'avocat de France Télévisions avait rétorqué: "Bolloré nous reproche de dénigrer l'information sur Canal Plus, mais aujourd'hui il n'y a plus d'information sur Canal Plus, Spécial investigation a été supprimé, et il n'y a plus de journaux".

France Télévisions réclamait en retour 100.000 euros pour "procédure abusive", mais n'a rien obtenu.

Jamal Henni