BFM Business
Culture loisirs

Bolloré veut-il vraiment fermer Canal Plus?

Les salariés approuvent certaines mesures prises par Vincent Bolloré

Les salariés approuvent certaines mesures prises par Vincent Bolloré - AFP

"Devant les actionnaires de Vivendi, Vincent Bolloré a menacé jeudi de mettre un terme aux pertes de la chaîne cryptée en arrêtant tout. Une menace que ne prennent au sérieux ni les analystes financiers, ni les salariés."

Stupeur et tremblements dans le PAF. Les propos tenus jeudi 21 avril par Vincent Bolloré ont marqué les esprits. A l'occasion de l'assemblée générale des actionnaires, le président du conseil de surveillance de Vivendi a carrément menacé de fermer les chaînes Canal Plus: "A Dieu ne plaise, on peut tout à fait imaginer l'arrêt des chaînes Canal Plus, ce qui serait très rentable. On peut imaginer, si on arrête Canal Plus, qu'on distribuera ceux qui font du sport à notre place. Si Canal Plus continue à perdre de l'argent, il n'y aura plus de Canal Plus en tant que chaînes, mais il y aura le reste". C'est-à-dire les autres activités du Groupe Canal Plus, essentiellement la commercialisation de chaînes éditées par des tiers (CanalSat).

Bluff ou pas bluff?

"Jamais personne n'avait menacé d'arrêter la chaîne Canal Plus, même l'ancien patron de Vivendi Jean-Marie Messier, qui était pourtant confronté à des pertes importantes", pointe Pascal Rogard, directeur général de la société d'auteurs SACD. Pour lui, "cette menace n'est pas forcément du bluff car la question du futur modèle économique de Canal Plus se pose réellement. Vincent Bolloré doit trouver un moyen d'enrayer la chute du nombre d'abonnés, chute à laquelle il n'est pas forcément étranger, car les changements qu'il a effectués sur les émissions en clair (Guignols, etc...) ont distendu le lien avec les abonnés".

Les analystes financiers qui suivent le secteur, eux, ne croient pas à ce scénario radical. "C'est juste un coup de bluff pour mettre la pression sur l'Autorité de la concurrence qui doit autoriser l'accord entre Canal Plus et beIN Sports", écrit Oddo. "Ce serait une mesure extrême et quasiment impossible à faire en pratique. Cette déclaration doit être regardée dans le contexte des discussions avec l'Autorité de la concurrence", abonde-t-on chez Morgan Stanley.

"Le cinéma se gave sur le dos de Canal"

Les salariés sont tout aussi sceptiques. "C'est du bullshit pour faire peur au gendarme de la concurrence et au cinéma français qui se gave sur le dos de Canal", dit l'un. "C'est un épouvantail. Fermer une chaîne n'est quasiment jamais arrivé", ajoute un autre. "Je n'y crois pas. Ce n'est pas réaliste à court terme. Cela impliquerait un gros plan social. Surtout, si Canal se borne à commercialiser les chaînes des autres, il n'y aura plus aucun contenu premium. Et les bouquets de CanalSat ne pourront donc pas être vendus bien cher. Cela ne marchera pas", abonde un troisième. 

Reste donc à savoir où veut en venir le nouvel homme fort de Vivendi et de sa filiale Canal Plus. Pour Pascal Rogard (SACD), "une telle déclaration ne peut qu'inquiéter fortement les pouvoirs publics et la profession du cinéma, dont Canal est le principal financier. Elle s'ajoute à la réduction de la couverture du festival de Cannes, qui était déjà un mauvais signal adressé au secteur. Ces actes inquiétants contredisent les propos rassurants tenus encore récemment par Vincent Bolloré aux représentants des professionnels du cinéma. Sans compter qu'une telle déclaration accentue certainement l'inquiétude des salariés, et le risque de départs des meilleurs d'entre eux, notamment les talents, essentiels dans toute entreprise artistique". 

Écart entre les paroles et les actes

Initialement, de nombreux salariés avaient pourtant été séduits par le discours du principal actionnaire de Vivendi, qui promettait d'investir et disait soutenir le petit personnel contre la direction. L'industriel breton avait par exemple assuré en septembre, lors de son audition devant le CSA, qu'il n'avait jamais fait de plan de départs portant sur des personnels non cadres.

Mais aujourd'hui, beaucoup de salariés sont déçus. "En septembre, Vincent Bolloré nous avait promis d'investir et ne pas faire de plan d'économies. Aujourd'hui, on se retrouve avec un plan d'économies et pas d'investissement", déplore un salarié d'iTélé. "Le discours de Bolloré donnait envie d'y aller. Mais il y a un écart avec ce qui se passe, et les gens se mettent à chercher du travail ailleurs. Parmi l'équipe dirigeante, il a gardé les plus mauvais. La perte d'abonnés n'a pas commencé avec lui, mais elle s'est accélérée. Et on ne voit pas l'intérêt économique de beaucoup de deals, comme celui avec beIN Sports ou celui avec Mediaset", pointe un salarié de Canal. "La stratégie appliquée est mécanique, trop froide, sans finesse éditoriale, et sans tenir compte de l'affect des abonnés", abonde un autre.

"La fourmilière avait besoin d'un bon coup de pied"

Toutefois, plusieurs mesures sont jugées positivement. "Les achats sont gérés de manière plus rigoureuse. Avant, c'était un peu laxiste et les fournisseurs profitaient de Canal. Dans beaucoup de cas, on arrive à obtenir une baisse du prix de 20%, ce qui va permettre de générer des économies substantielles", dit un employé.

Un autre conclut: "La fourmilière avait besoin d'un bon coup de pied. Auparavant, la maison était sur-staffée. La prise de décision était paralysée par les rivalités internes, notamment entre Bertrand Meheut et Rodolphe Belmer. Il n'y avait aucune synergie avec Vivendi, alors que désormais il y en a. Et c'est une très bonne décision d'envoyer moins de monde au festival de Cannes, ce qui servait surtout à faire plaisir à ceux qui y allaient".

Bientôt un nouveau nom pour les chaînes gratuites du groupe?

Selon la revue Satellifax, le groupe Canal Plus vient de transmettre une demande au CSA afin de changer le nom des chaînes iTélé, D8 et D17, qui deviendraient respectivement CNews, C8 et C17. Si cette demande était acceptée, le changement d'appellation pourrait intervenir en septembre prochain. 

Jamal Henni