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Comment Bouygues veut racheter SFR

Martin Bouygues verrouille le capital de son groupe grâce à l'actionnariat salarié

Martin Bouygues verrouille le capital de son groupe grâce à l'actionnariat salarié - -

Le groupe de BTP va faire une offre sur l'opérateur mobile ce 5 mars, selon les informations de BFM Business. Mais il est financièrement fragilisé par l'effondrement de la rentabilité de Bouygues Télécom et d'Alstom.

La vente de SFR s'accélère. Son propriétaire Vivendi a demandé de déposer les offres de rachat avant ce mercredi 5 mars à 20 heures.

On attend bien sûr une offre de Numericable. Selon les informations de BFM Business, Bouygues a aussi décidé de déposer une offre. Un conseil d'admnistration est actuellement en cours. Un communiqué sera publié demain, jeudi 6 mars, à 7h30. Reuters précise que le groupe de BTP financera cette offre sans recourir à une augmentation de capital.

Bouygues promet 10 milliards d'euros de synergies en cas de rapprochement avec SFR , selon les informations du Figaro. Il aurait offert à Vivendi une participation de plus de 40% du nouvel ensemble, ajoute le quotidien sur son site internet.

Sur le terrain social, Bouygues se serait engagé à ne procéder à aucun départ contraint.

Pour Vincent Maulay, analyste chez Oddo, "Bouygues a potentiellement les moyens de réunir l’argent pour une offre en cash si Bouygues convainc les banquiers des synergies qui se dégageront. Mais ce n’est pas dans l’ADN de Bouygues de mettre le bilan à risque: la culture est plutôt de privilégier le dividende".

Dividende payé par la dette

Hélas, la bataille autour de SFR tombe à un moment où le groupe de BTP est fragilisé financièrement. Sa dette nette a quasiment doublé depuis 2010, pour atteindre 4,4 milliards d'euros.

Et pour la première fois, "l'argent généré par les filiales du groupe n'a pas été suffisant pour financer le dividende et les intérêts de la dette", pointe un analyste financier. Autrement dit, Bouygues a dû emprunter pour payer son dividende...

La vache à lait devient un boulet

Source de ces difficultés: Bouygues Télécom, bien sûr. L'opérateur télécom ne génère plus de cash, et a annoncé que son cash flow devrait encore être nul en 2014.

Résultat: la vache à lait du groupe s'est transformée en boulet. En effet, jusqu'à présent, le cash des télécoms (400 millions d'euros par an en moyenne sur 2007-2011) représentait 40% de l'argent qui remontait chez Bouygues.

Désormais, plus rien ne remonte. Au contraire, en 2012, les actionnaires de Bouygues Telecom ont même dû lui verser 700 millions d'euros pour le recapitaliser.

Un malheur n'arrivant jamais seul, Alstom, autre filiale du groupe, est aussi en difficultés financières et voit son dividende baisser...

Heureuse coïncidence: les autres filiales de l'empire ont -comme par hasard- subitement décidé de céder leurs bijoux de famille. Ainsi, TF1 se désengage d'Eurosport, et Colas vient de vendre Cofiroute. Un argent qui pourrait ensuite remonter vers la maison-mère.

Pas de sacrifice du dividende

Bien sûr, une autre solution serait de diminuer le dividende, qui absorbe plus d'un demi-milliard d'euros par an. Mais, malgré la baisse des profits, Martin Bouygues refuse de le faire -et l'a maintenu inchangé au titre de l'exercice 2013.

"Martin Bouygues ne veut pas baisser le dividende, car cela fragiliserait l'actionnariat salarié", explique un analyste.

Explication: lorsqu'un salarié achète une action du groupe, on lui propose neuf actions supplémentaires. Le salarié ne paye pas ces neuf actions: leur achat est financé par un crédit bancaire. Le salarié touche la plus-value sur les 10 actions si l'action monte, mais ne perd rien si l'action baisse. Mais, en retour, le salarié doit renoncer aux dividendes générés par ces actions, qui vont dans la poche des banques pour financer le crédit bancaire.

Reste à savoir ce qui arrive à ce montage si le dividende baisse. Interrogé sur ce point, le groupe reste peu disert, indiquant juste que, dans ce cas, "il ne se passe rien ni pour le salarié, ni pour le groupe", et que ce cas est "couvert par un mécanisme de marché".

Le capital verrouillé grâce aux salariés

En tous cas, une remise en cause de ces montages aurait des conséquences importantes, car l'actionnariat salarié joue un rôle central. En effet, les salariés sont devenus les premiers actionnaires du groupe, avec 25% du capital. Surtout, ces montges ont permis de doper l'actionnariat salarié, qui ne représentait que 6%du capital il y a quinze ans.

Résultat: les employés sont devenus essentiels pour le contrôle du groupe. En effet, si l'on additionne leurs parts aux actions de la famille Bouygues (20,5%), alors on tutoie la moitié du capital -et on dépasse même la barre des 50% en droits de vote. Autrement dit, grâce aux salariés, le groupe n'est plus opéable.

Alors qu'il y a quinze ans, le groupe était sous la menace permanente d'une OPA, car la famille Bouygues et les salariés ne possédaient que le quart du capital. Ce qui avait donné quelques sueurs froides à Martin Bouygues lorsqu'un certain Vincent Bolloré lança un raid... Depuis lors, le PDG n'a eu qu'un objectif: verrouiller son capital.

La famille Bouygues ne paye pas l'addition

Toutefois, ces montages posent plusieurs problèmes. D'abord, de moins en moins de salariés souscrivent aux plans proposés par la direction: seuls 23% ont participé au plan de 2012, contre 50% en 2007. "L'action a tendance à baisser, donc les plans sont moins intéressants", explique un salarié.

Ensuite, la moitié des plans expirent au bout de cinq ans, et il faut alors en lancer un nouveau pour maintenir le niveau de l'actionnariat salarié.

Last but not least, les actions attribuées aux salariés sont des actions nouvelles, créées au moyen d'augmentations de capital. L'émission de ces actions nouvelles réduit donc la participation des autres actionnaires, à commencer par la famille Bouygues. Pour éviter cette dilution, la famille a racheté quelques actions, pour 600 millions d'euros au total.

Surtout, Martin Bouygues a trouvé une autre solution qui ne coûte rien à la famille: compenser la création d'actions nouvelles par la suppression d'actions anciennes. En pratique, le groupe a donc racheté massivement des actions en bourse, pour ensuite les annuler. Depuis 2000, l'addition s'élève à 3,6 milliards d'euros, entièrement financés sur la trésorerie du groupe...

Le titre de l'encadré ici

|||Dividendes reçus des filiales (en millions d'euros):

2008: 1.151
2009: 1.149
2010: 977
2011: 981
2012: 894
2013: 720

Source: Bouygues, estimations des analystes pour 2013

Jamal Henni