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Bras de fer entre l’État et Thales sur DCNS

Patrice Caine a des relations tendues avec Bercy

Patrice Caine a des relations tendues avec Bercy - Éric Piermont - AFP

Ces derniers jours, Patrice Caine, PDG de Thales, a tenté de remettre à plat l’équilibre avec l’État au capital de DCNS. Bercy lui a opposé une fin de non-recevoir. Il rencontre vendredi après-midi le secrétaire d'État à l’Industrie dans un climat très tendu avec le gouvernement.

C’est l’effet papillon de l’épisode Alstom. La semaine dernière, le gouvernement refusait qu’Alstom, dont il détient 20%, rachète la branche transports de Thales, co-contrôlé par l’État et Dassault. Fort de cette victoire, le PDG de Thales, Patrice Caine a, dans la foulée, profité de sa position de force pour relancer un vieux dossier: DCNS.

Selon plusieurs sources, des discussions se sont tenues il y a une semaine entre Thales et Bercy sur l’évolution du capital du constructeur naval. Le groupe de défense en détient 35% aux côtés de l’État. Son patron, Patrice Caine, milite pour que Thales prenne le contrôle de DCNS ou en sorte définitivement. "35%, c’est trop ou trop peu, a-t-il déclaré la semaine dernière sur BFM Business. J’attends que l’État prenne position". Mais en coulisse, les échanges ont tourné court. "Les discussions n’ont pas été bien loin et ont été rapidement stoppées" confirme une source proche du dossier.

Des relations "très tendues"

Car la position de l’État est claire: c’est non. "Le dossier n’est pas ouvert aujourd’hui", tranche-t-on à Bercy. Même réponse au ministère de la Défense pour qui une prise de contrôle de DCNS par Thales est inenvisageable. "On parle tout de même d’un outil de dissuasion nucléaire", ajoute un proche de Jean-Yves Le Drian. Le "coup de bluff", de sortir du capital du groupe naval n’a pas non plus été reçu avec enthousiasme. "Il ne peut vendre qu’à l’État et nous ne souhaitons pas racheter sa part", s’agace une source du ministère de l’Économie. "Il est bloqué", ajoute-t-elle. Patrice Caine ne manquera pas d’en reparler au secrétaire d'État à l’Industrie, Christophe Sirugue, qu’il rencontre ce vendredi après-midi.

Mais à six mois de l'élection présidentielle, cette tentative de passage en force a fortement déplu au sein du gouvernement. "L’État contrôle DCNS et co-contrôle Thales, ce n’est pas à un dirigeant de décider de notre politique, explique cette même source. L’État n’aime pas qu’on lui force la main". Les relations sont qualifiées de "très tendues" entre le PDG et Bercy.

Faire évoluer la filière de l’armement

Selon nos informations, Thales espère que l’État prendra une position sur l’avenir de DCNS dans un an. En ligne de mire, Thales souhaite poursuivre la réorganisation du constructeur naval dans la perspective du méga-contrat décroché pour les sous-marins australiens. En réalité, le groupe n’envisage pas de sortir du constructeur naval. L’entreprise est redevenue bénéficiaire en 2015 après une lourde perte de 347 millions d’euros en 2014. Et les résultats ont continué à s’améliorer cette année. Surtout, la signature du méga-contrat pour les sous-marins australiens éclaire l’avenir. "On s’entraide à l’export" a reconnu Patrice Caine sur BFM Business. "Les Dassault veulent conserver DCNS dans leur giron mais pas jusqu’à débourser de l’argent pour en prendre le contrôle", explique un ami de la famille. "Le statu quo leur va très bien", complète-t-il.

L’offensive de Thales n’est pas anodine. Sous son quinquennat, François Hollande n’a pas voulu faire évoluer la filière de l’armement. Au-delà de l’avenir de DCNS se joue, à terme, celui de Thales. Comment faire évoluer la relation complexe entre ses deux actionnaires: l’État et les Dassault. Tantôt partenaires pour vendre le Rafale, tantôt méfiants alors que le constructeur du Rafale rêve de prendre le contrôle de Thales pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur. Pousser l’État à se positionner sur DCNS l’obligerait à clarifier sa vision de Thales. Deux voies sont possibles: la consolidation de la filière française ou la création d’un géant européen de l’armement avec le britannique BAE Systems, par exemple. Et comme souvent avec l’État, l’indécision mène au statu quo.

Matthieu Pechberty