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Le producteur Tarak Ben Ammar gagne son bras de fer contre l'Urssaf

Le film a bénéficié de fonds libyens et qataris

Le film a bénéficié de fonds libyens et qataris - Warner

Après sept ans de conflit, l'Ursaaf renonce à réclamer 4,5 millions d'euros à Tarak Ben Ammar pour "travail dissimulé" lors du tournage du film Or noir effectué essentiellement en Tunisie.

Enfin! Après une bataille homérique de sept ans, le conflit entre Tarak Ben Ammar et l'Ursaaf est enfin terminé. L'Ursaaf vient de renoncer au redressement fiscal de 4,5 millions d'euros qu'elle avait notifié au producteur tunisien.

Le conflit portait sur Or noir, un film de Jean-Jacques Annaud sorti en 2011. Cette fresque historique sur l'éveil du nationalisme arabe n'a pas marqué l'histoire du cinéma, avec 215.640 entrées en France, et des critiques mitigées (celles recensées par Allociné lui attribuent une note moyenne de 2,7 sur 5).

Budget important

Mais le film, tourné à l'automne 2010 au Qatar et surtout en Tunisie, a marqué par son budget important: 42 millions d'euros (cf. ci-dessous). Et surtout par un conflit juridique sur les conditions de tournage en Tunisie. En effet, les comédiens et techniciens (52 personnes au total) ont été employés par une société tunisienne, Empire Productions, possédée et dirigée par Tarak Ben Ammar. Tous ces contrats ont donc relevé du droit social tunisien. 

Or beaucoup des techniciens employés étaient français. Surtout, Or noir est juridiquement un film de nationalité française. Et son producteur délégué est une société française, Quinta Communications, qui est aussi dirigée par Tarak Ben Ammar. 

Cela n'a pas plu au SNTPCT, principal syndicat des techniciens du 7ème Art. Selon lui, appliquer le droit social tunisien a permis d'économiser "plusieurs millions d'euros" de cotisations sociales. 

Redressement de l'Ursaaf

Saisis par le syndicat, l'Urssaf et l'inspection du travail ont effectué un contrôle en 2012, et conclu qu'il y avait eu "travail dissimulé par dissimulation de salariés". Selon eux, comédiens et techniciens auraient dû être salariés par le producteur délégué français, et non par la société tunisienne. A ce titre, l'Urssaf réclamait 2,9 millions d'euros. En outre, l'Urssaf a estimé que 840.950 euros de cotisations de sécurité sociale auraient dû être payés sur les 2,6 millions d'euros reçus par Tarak Ben Ammar pour son rôle de producteur. Au total, l'Urssaf avait notifié en octobre 2012 un redressement de 4,5 millions d'euros, et a fait inscrire en 2013 cette somme au registre des privilèges.

En janvier 2015, Tarak Ben Ammar avait contesté ce redressement devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Il affirme aussi n'avoir jamais touché 2,6 millions d'euros comme producteur. 

L'Urssaf a aussi alerté le fisc, qui a mené un contrôle fiscal de la société française Quinta Communications. "Ce contrôle fiscal s'est clos à la satisfaction de tous", indique Quinta. Parallèlement, le procès verbal de l'inspection du travail a aussi été transmis au parquet, qui "n'a engagé aucune procédure", selon Quinta.

Analyse opposée

Le Centre national du cinéma (CNC) a aussi été saisi, mais a fait une analyse totalement opposée. Le CNC a notamment relevé qu'il existait depuis 2003 une convention franco-tunisienne sur la sécurité sociale, qui stipulait que le régime tunisien s'applique "aux travailleurs exerçant leur activité en Tunisie". Dès lors, "l'embauche de techniciens français par une entreprise tunisienne au moyen de contrats de travail régis par le droit tunisien semble conforme", a conclu en octobre 2013 la commission de contrôle de la réglementation du CNC.

Le film a donc été agréé par le CNC, ce qui permet à Quinta d'obtenir des subventions pour ses prochains films. Précisément, le CNC a accordé un agrément avant tournage en 2011, malgré un avis défavorable de la commission d'agrément du CNC, dont le président estimait nécessaire de "fixer les limites aux délocalisations". Puis l'agrément après tournage a finalement été octroyé en février 2014, après avoir été initialement refusé en mai 2013, ce que Quinta avait contesté en justice. 

Plainte en diffamation

Fort de la décision du CNC, Tarak Ben Ammar est retourné voir l'Ursaaf, qui finalement a été convaincue. "L'étude de ces nouveaux éléments permet de constater qu'Empire Productions apparait comme producteur exécutif du film. A ce titre, et compte tenu de la convention franco-tunisienne de 2003 et du lieu de tournage, votre argumentation reçoit un avis favorable", a écrit l'Usaaf au producteur fin juillet 2017.

Par ailleurs, Tarak Ben Ammar avait attaqué en diffamation le syndicat SNTPCT, réclamant 100.000 euros de dommages et intérêts. Mais il a perdu en première instance comme en appel (cf jugement ci-dessous).

Quinta souligne que la post-production et les effets spéciaux ont été effectués en France, où ont ainsi été dépensés 21,7 millions d'euros. 

NB: ceci est la mise à jour d'un article publié initialement le 22 février 2016

Qui a financé le film?

Selon le plan de financement déposé au CNC après le tournage, le budget (42 millions d'euros) a été financé à hauteur de 28,8 millions d'euros par trois sociétés de Tarak Ben Ammar: les sociétés françaises Quinta Communications et Carthago Films, et la société italienne Prima TV. En particulier, Carthago a apporté 200.000 euros de subventions du CNC auxquels Carthago avait droit grâce à ses films précédents. Par ailleurs, France 2 a apporté 1,3 millions d'euros; Canal Plus 3 million d'euros; et l'américain Warner 3 millions d'euros.

Selon Tarak Ben Ammar, le film n'a pas bénéficié "du crédit d'impôt, de subvention ou d'aide au cinéma émanant de l'Etat français".

Une part du financement -non précisée dans le plan de financement- a aussi été apportée par la Libye et le Qatar, via le Doha Film Institute. "Le Qatar a payé une partie des dépenses lors du tournage dans l'émirat: hôtel, transports, figuration... Quant à la Libye, cela a fait partie d'un financement global qui portait sur plusieurs films parlant du monde arabe", explique Tarak Ben Ammar.

Sous Khadafi, le fonds souverain libyen LAFI (Libyan Arab Foreign Investment) avait investi dans Quinta Communications, dont il détient toujours 10%.

L'actionnariat de Quinta Communications (en %, à fin 2014)

Holland coordinator and service co BV (société néerlandaise de Tarak Ben Ammar): 74,95%

Teleclair SARL: 10%

Lafi Trade NV (fonds souverain de la Libye): 10%

Prima TV (société italienne de Tarak Ben Ammar): 5,05%

Source: comptes sociaux

Jamal Henni