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Budget 2013: le vrai-faux sacrifice du CNC

Le président du CNC Eric Garandeau a obtenu plus d'argent pour l'établissement public

Le président du CNC Eric Garandeau a obtenu plus d'argent pour l'établissement public - -

Le Centre national du cinéma touchera désormais la totalité de la taxe sur les opérateurs télécoms, en particulier quand cette taxe génère plus d'argent que prévu. Une mesure qui pourrait lui rapporter 70 à 90 millions d'euros supplémentaires par an.

Mise à jour le 5 octobre: dans le tome 1 de l'évaluation des voies et moyens du budget 2013 (page 140), Bercy indique que le plafonnement de la taxe en 2012 devait rapporter 70 millions d'euros (prévision révisée depuis à 55,7 millions d'euros).

Au CNC (Centre national du cinéma), il y a moult magiciens de l'image, mais aussi des prestidigitateurs budgétaires. Malgré la crise, l'établissement public vient discrètement d'obtenir une mesure qui pourrait lui rapporter 70 à 90 millions d'euros supplémentaires chaque année. En jeu: la taxe payée au CNC par les distributeurs de télévision -en pratique, Canal Plus et les opérateurs télécoms. Dans le jargon budgétaire, on dit qu'il s'agit d'une taxe affectée au CNC, c'est-à-dire que tout son produit va dans les caisses de l'établissement public, même si la taxe rapporte plus qu'espéré.

Or, ces dernières années, cette taxe a systématiquement rapporté bien plus d'argent que prévu dans le budget: de 55 à 130 millions selon les années (cf. ci-contre). Officiellement, le CNC assure que ces bonnes surprises étaient impossibles à prévoir. Mais, au sein même du ministère de la Culture, face à cette répétition systématique d'erreurs de prévision, certains soupçonnent l'établissement public de minorer délibérément les recettes prévues.

Finalement, il y a un an, Bercy décidait de mettre fin à ce petit jeu, et décrétait que si la taxe dépassait un certain plafond (229 millions d'euros), alors le surplus irait, non plus dans les caisses du CNC, mais dans le budget général de l'Etat. A l'époque, le gouvernement déclarait que cet écrètement permettra "d’éviter des effets d’aubaine non anticipés sur les taxes, comme cela a été le cas ces dernières années: l’écart entre les prévisions de recettes et les recettes effectivement encaissées a été particulièrement élevé ces dernières années: 13% en 2009, et 31 % en 2010. La dynamique des taxes (+52% entre 2006 et 2010) a permis au CNC de constituer d’importantes réserves".

Et, selon la loi, cet écrètement était pérenne. Mais, depuis un an, le président du CNC, Eric Garandeau, n'a eu de cesse d'obtenir sa suppression. Il peut crier victoire: dans une interview au Monde de lundi après-midi, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, annonce que cette taxe "ne sera plus écrétée".

Opacité sur l'impact de la mesure

Concrètement, quel sera l'impact financier de la fin de cet écrètement? Interrogés à plusieurs reprises, le ministère de la Culture comme le CNC ont refusé de répondre. Raté pour la transparence... On en est donc réduit à faire des estimations, qui montrent que cette mesure pourrait rapporter 70 à 90 millions d'euros par an à l'établissement public.

Une première estimation est obtenue en reprenant le surplus prévu dans le budget 2012: il s'élèvait à 70 millions d'euros, selon plusieurs parlementaires, dont Patrick Bloche (PS), Nicole Bricq (PS) et Richard Dell'Agnola (UMP). Pour obtenir ce chiffre, les parlementaires tablaient sur 300 millions de rendement pour la taxe en 2012 -un chiffre impossible à vérifier, étant donné que l'année n'est pas finie.
Une autre estimation peut être obtenue en se basant sur l'année 2011, dont les chiffres définitifs sont connus. Cette année-là, la taxe a rapporté 322 millions d'euros, soit un surplus de 93 millions.

A noter toutefois que deux nouveaux phénomènes devrait affecter la taxe. D'une part, la taxe devrait être réécrite à compter de 2013, non pour en augmenter le rendement, mais pour que Free la paye à nouveau, ce qui rapporterait 20 millions d'euros par an. En sens inverse, le chiffre d'affaires des opérateurs télécoms s'est mis à baisser depuis l'arrivée de Free (hors Free, le marché a reculé de 5% au premier semestre 2012), ce qui, à ce rythme, pourrait diminuer le rendement de la taxe d'une dizaine de millions d'euros par an. Les deux phénomènes devraient donc plus ou moins s'annuler.

La filière musicale, cocue de l'histoire

Le CNC, très peu causant sur cet arbitrage en sa faveur, est en revanche beaucoup plus prolixe sur un autre arbitrage, rendu cette fois en sa défaveur. En effet, le centre confirme qu'une ponction de 150 millions d'euros sera effectuée dans le budget 2013 sur sa trésorerie de près de 800 millions. "Compte tenu du prélèvement de 150 millions qui sera prévu dans le budget 2013, le plan de numérisation des oeuvres du CNC va devoir être radicalement revu à la baisse", prévient d'ores-et-déjà sa porte-parole.

Sans surprise, les auteurs et les distributeurs ont rapidement protesté contre ce prélèvement. Sur son blog, le directeur général de la SACD Pascal Rogard parle même d'une décision "suicidaire" qui "aboutirait, in fine, à la disparition de la politique de soutien au cinéma". Tous dénoncent la saignée de 150 millions d'euros subie par le CNC, mais aucun ne parle de la fin de l'écrètement, qui devrait sacrément adoucir la saignée en la réduisant de moitié ou des deux tiers...

Le plus furieux est le secteur de la musique, qui, avec les surplus pris au CNC, espérait financer la création d'un Centre national de la musique. Las! Dans son interview, Aurélie Filippetti renvoie un tel centre aux calendes grecques -ou presque.

Jamal Henni