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Canal Plus met en avant ses mauvais résultats

Les dirigeants de Canal Plus ont plaidé leur cause devant le Conseil d'Etat

Les dirigeants de Canal Plus ont plaidé leur cause devant le Conseil d'Etat - -

La chaîne cryptée a tenté de convaincre le Conseil d'Etat que sa situation économique était difficile.

Mardi 9 octobre s'est tenue devant le Conseil d'Etat une audience marathon de cinq heures consacrée à Canal Plus. La chaîne cryptée conteste en référé devant la haute juridiction les obligations que lui a imposé en juillet le gendarme de la concurrence. Et, pour inspirer la compassion du juge Mattias Guyomar, elle a mis en avant... ses mauvais résultats.

Le président Bertrand Meheut a ainsi déploré avoir "perdu 840 000 abonnés en France métropolitaine depuis 5 ans". Son avocat Pascal Wilhelm a même surenchéri: "le nombre d'abonnés avant et après le rachat de TPS est identique", ce qui, étant donné que TPS comptait 1,2 million d'abonnés, correspondrait donc à une perte d'autant.

A l'Autorité de la concurrence, qui rappelait que le prix de la chaîne avait quand même augmenté de 31 à 39 euros dans l'intervalle, Me Wilhelm a répondu que ces hausses de prix avaient été compensées par des promotions, et qu'au final, la facture moyenne par abonné (Arpu) avait décru "en euros constants, c'est-à-dire en tenant compte de l'inflation". Autant de chiffres en contradiction avec ceux publiés officiellement par le groupe, qui étaient tous en forte progression (cf. ci-contre).

De son côté, le directeur général adjoint Maxime Saada a expliqué que seuls "10% à 15%" des abonnés à l'ADSL souscrivaient aux offres du groupe -précisément 11% chez les clients d'Orange et 15% chez ceux de Free. Explication: les fournisseurs d'accès proposent dans leur forfait triple play de nombreuses chaînes gratuites, dont se contentent la majorité des abonnés.

Les recettes de cuisine de Canal

Les dirigeants de la chaîne ont aussi levé le voile sur plusieurs éléments de leur modèle. On a ainsi appris qu'un abonné reste en moyenne huit ans chez Canal Plus et CanalSat. Ou encore que 60% des recrutements de CanalSat se font entre octobre et décembre. Ou aussi qu'un tiers des nouveaux abonnés de CanalSat prend avec Canal Plus. Ou enfin que plus de la moitié des abonnés de CanalSat viennent pour les exclusivités, et plus de 80% pour l'offre cinéma.

Quant aux contrats de CanalSat avec les chaînes thématiques, Maxime Saada a indiqué qu'une quinzaine devaient être renouvelés d'ici un an, et 38 d'ici deux ans, dont les chaînes jeunesse de Lagardère, ESPN, National Geographic, Bloomberg TV, 365 Sport, Extreme Sport... Au passage, il a même donné des chiffres concernant son concurrent Be In Sport, qui serait "pas loin d'un million d'abonnés".

76% de marge

Mais l'objectif de la filiale de Vivendi était surtout de convaincre le juge de suspendre les obligations imposées en juillet par l'Autorité de la concurrence, en expliquant qu'elles causeront beaucoup de dégâts.

Ainsi, selon Bertrand Meheut, les obligations imposées à CanalSat lui feront perdre "300 000 abonnés la première année, sur un total de 4 millions". Cela entraînera aussi une perte de 100 000 abonnés chez Canal Plus sur la même période. Résultat: "une perte de chiffre d'affaires de 170 millions d'euros, et une perte de résultat de 130 millions d'euros, soit un tiers du résultat réalisé en France métropolitaine", selon Bertrand Meheut. Au passage, on apprend donc que la chaîne réalise donc une marge record de 76%!

Selon l'avocat de la chaîne Emmanuel Piwnica, les obligations prévues "portent directement atteinte au modèle économique du groupe. Il devra changer radicalement sa stratégie. Sa valeur sera affectée considérablement. Ce ne sera plus la même société. Elle sera sous tutelle de l'Autorité de la concurrence jusqu'en 2022".

Les critiques ont particulièrement porté sur l'obligation de proposer les chaînes de cinéma Ciné+ à tous les fournisseurs d'accès. "Notre offre de cinéma sera terminée", a assuré Me Wilhelm. Pour Bertrand Meheut, ce type d'obligation est "irréversible". Il a rappelé qu'en 2006, lors du rachat de TPS, il avait déjà été obligé de proposer pour cinq ans sept chaînes (TPS Star, Cinéstar, Cinéculte, Cinétoile, Sport+, Piwi et Télétoon) à tous les fournisseurs d'accès. "Au bout des cinq ans, nous n'avons pu changer la situation", a-t-il assuré. Oubliant au passage qu'il avait quand même fermé TPS Star, mis fin à la distribution de Sport+, et prévu d'en faire autant pour Piwi et Teletoon avant de reculer in extremis, probablement en raison de la colère du gendarme de la concurrence.

Même pas mal

Tout ceci n'a guère ému l'Autorité de la concurrence, pour qui les cris d'orfraie de la filiale de Vivendi sont très exagérés. "Canal réalisant plus de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et dégageant des profits conséquents, il n'est pas possible de soutenir que son modèle économique est remis en cause", a assuré Nadine Mouy, chef du service des concentrations.

"On se retrouve dans cette situation en raison des très graves manquements de Canal Plus", a rappelé Elisabeth Baraduc-Bénabent, avocate du gendarme de la concurrence, qui a assuré que les obligations étaient plutôt légères: "la chaîne premium Canal Plus a été épargnée. L'Autorité a aussi abandonné l'idée d'une scission entre Canal Plus et CanalSat, pour préserver le cinéma français. Enfin, beaucoup de fournisseurs d'accès avaient exigé l'abandon de l'auto-distribution de Canal Plus, mais l'Autorité a choisi une solution plus douce" et laissé en place cette auto-distribution. Bref, "le but de l'Autorité n'est pas de nuire à Canal Plus, mais de restaurer la concurrence..."

Décision d'ici le 23 octobre.

Jamal Henni