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Canal Plus: pourquoi Bolloré veut-il moins d'émissions en clair?

"Le Petit Journal", émission phare des tranches en clair

"Le Petit Journal", émission phare des tranches en clair - capture d'écran Canal Plus

Le nouvel homme fort veut diffuser moins de tranches en clair, qui sont pourtant une vache à lait publicitaire, et un outil essentiel de recrutement de nouveaux abonnés.

"Si tout est en clair, il n'y aura plus d'abonnés. Le samedi et le dimanche, il y avait six heures en clair, c'était sans doute un peu trop. Il faut que cette partie clair soit une savante alchimie, une promesse culturelle de découverte, d'analyse un peu différente. Si vous voyez ce que vous avez sur les autres chaînes, vous n'avez aucune chance de percer..." Jeudi 8 octobre, Vincent Bolloré a expliqué sur RTL la nouvelle philosophie qu'il compte appliquer aux plages en clair de la chaîne cryptée. Le nouveau président du conseil de surveillance de Vivendi et Canal Plus n'est visiblement pas satisfait de la stratégie appliquée jusqu'à présent. Mais quelle est sa marge de manoeuvre? Revue de détail.

1-l'audience et la publicité

Le 3 juillet sur Europe 1, l'industriel breton assurait: "cela fait deux ans que l'audience s’érode un peu, et les émissions coûtent à peu près trois fois plus chères que la concurrence, et la concurrence nous bat".

Il est exact que les émissions en clair n'étaient pas données: près 120 millions d'euros par an au total, dont 25 millions pour le Grand journal, et 15 millions pour le Petit journal.

Seulement voilà: même à ce prix-là, les émissions en clair ramenaient bien plus de publicité: 143 millions d'euros en 2014. Cela couvrait donc largement leur coût. Au total, les tranches en clair généraient près de 30 millions de marge -une somme considérable pour l'économie de la chaîne. Et le Grand journal rapportait en publicité près de deux fois son coût. 

En revanche, la nouvelle formule du Grand journal est assurément moins rentable, étant donné qu'elle fait près de deux fois moins d'audience... Un malheur n'arrivant jamais seul, d'autres émissions en clair voient aussi leurs audiences chuter, comme le Petit journal ou le Supplément. Globalement, les tranches en clair version Bolloré attirent déjà près de 40% de spectateurs en moins que leur version de l'an dernier, selon les chiffres de Mediamétrie (cf. ci-dessous). Comme le coût des tranches en clair n'a sûrement pas chuté de 40%, la marge dégagée s'est donc forcément réduite...

Face à ces mauvais résultats, Vincent Bolloré a totalement changé de discours. Il ne se plaint plus des mauvaises audiences et d'être battu par la concurrence comme en juin sur Europe 1, mais il demande désormais à ce qu'on lui laisse du temps. Le 24 septembre, lors de son audition devant le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), il a même expliqué que l'objectif des tranches en clair n'étaient pas de faire de l'audience, mais de recruter des abonnés. Les Inrocks ont aussi rapporté des propos similaires: "je me fous des recettes et des audiences. Ce que je veux, c'est que l'abonné en ait pour son argent".

2-le recrutement d'abonnés

"Il ne faut pas tout fermer (le clair) puisqu'il faut que les gens puissent voir un peu, ce qu'on peut trouver sur Canal. Il faut qu'on ait envie d'aller s'abonner à Canal", a expliqué Vincent Bolloré le 8 octobre sur RTL.

En effet, un des principaux objectifs des émissions en clair a toujours été d'être une vitrine donnant envie de rentrer dans le magasin. "Historiquement, plus les programmes en clair ont fait d'audience, plus les recrutements de nouveaux abonnés ont été élevés", explique un salarié.

Concrètement, les tranches en clair servent à diffuser les bandes-annonces des programmes cryptés, à promouvoir les vedettes du crypté comme les footballeurs, etc. Surtout, les émissions en clair dessinent l'image de la chaîne auprès des non abonnés -ce qu'on a appelé "l'esprit Canal". La chaîne cryptée s'est ainsi dotée d'une image positive, culturelle, enrichissante, premium... 

Reste donc à savoir si cette remise en question du clair portera atteinte au recrutement d'abonnés. En tous cas, l'image de la chaîne a certainement été écornée par les récents événements, ce qui nuira très probablement au recrutement d'abonnés. En effet, selon les études internes, un tiers des recrutements sont motivés par l'image de Canal...

3-la réglementation

La convention conclue entre la chaîne cryptée et le CSA impose que les émissions en crypté représentent "au moins 75% de la durée quotidienne". Autrement dit, le clair peut représenter au maximum de 6 heures par jour. En pratique, la chaîne était jusqu'à présent un peu en-dessous de ce plafond, avec 5h42 par jour en 2013. 

Juridiquement, la chaîne peut donc très bien réduire les émissions en clair, et n'a pas à renégocier la convention pour cela. Mais si Vincent Bolloré veut aller jusqu'à supprimer totalement le clair, alors la convention doit être renégociée, et l'accord du CSA sera nécessaire.

Interrogés, le CSA indique n'avoir encore reçu à ce jour aucune demande, tandis que Canal Plus n'a pas répondu.

Les recettes de publicité et de parrainage (en millions d'euros)

2007: 111
2008: 128
2009: 132
2010: nc
2011: 156
2012: 159
2013: 146
2014: 143

Source: comptes de la Société d'édition de Canal Plus

Audience des tranches en clair (milliers de spectateurs, semaine 40, lundi à vendredi)

18h30 à 21h
2014: 1062 
2015: 639

12h30 à 14h
2014: 477
2015: 298

7h à 8h
2014: 34
2015: 29

Source: Médiamétrie

Jamal Henni