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Comment Canal Plus s'est fâché avec son ex-patron des droits sportifs

Jo-Wilfried Tsonga à l'Open Sud de France

Jo-Wilfried Tsonga à l'Open Sud de France - AFP Pascal Guyot

En 2013, Canal Plus a cédé ses activités dans l'événementiel sportif à son dirigeant, Jean-Louis Dutaret. Depuis, l'ancienne filiale et son ex-maison-mère s'affrontent en justice...

Il s'appelle Jean-Louis Dutaret. Il a 69 ans. Il a une formation d'avocat. Il a d'abord fait de la politique: il a été le bras droit du député-maire de Grenoble Alain Carignon, ce qui lui a valu d'être poursuivi comme lui dans l'affaire Dauphiné news. En 1996, il a ainsi été condamné pour "abus de biens sociaux et recel, complicité de corruption et subornation de témoins", à 4 ans de prison dont 3 ans ferme, 61.000 euros d'amende et 5 ans de privation de droits civiques.

Après cette affaire, il se réoriente vers l'audiovisuel, et en particulier les droits sportifs: il est le bras droit de Jean-Claude Darmon à la tête de Sportfive, puis travaille deux ans pour TF1, et enfin atterri chez Canal Plus en 2006, où il est directeur des acquisitions de droits sportifs.

"Un acteur majeur des droits sportifs"

En 2007, la chaîne cryptée décide de "devenir un acteur majeur dans l’organisation d’événements sportifs". Elle rachète pour moins de 10 millions d'euros une petite société lyonnaise, Occade Sports, créé par le tennisman Gilles Moretton et qui organise le Grand prix de tennis de Lyon. Elle la rebaptise Canal Plus Events et place à sa tête Jean-Louis Dutaret.

Sous sa houlette, les événements sportifs se multiplient. En 2009, un tournoi de golf sponsorisé par Vivendi, le Vivendi Trophy, est lancé à Saint-Nom-la-Bretèche. A partir de 2010, une déclinaison des Winter X Games (un tournoi américain de snowboard et ski free style organisé par ESPN) est organisée à Tignes. Parallèlement, le Grand prix de tennis de Lyon est relocalisé à Montpellier et est rebaptisé Open Sud de France. Tous ces événements sont diffusés sur Canal Plus, ce qui permet d'assurer leur rentabilité. Au total, le chiffre d'affaires passe de 7,7 à 43,6 millions d'euros entre 2006 et 2011.

Cession pour un prix modique

Mais, en 2012, la chaîne cryptée décide de se désengager des droits sportifs et met en vente Canal Plus Events, attirant une dizaine de candidats. Finalement, ce sont les managers de Canal Plus Events qui remportent la mise et rebaptisent la société TV Sport Events.

Précisément, la société est reprise par une holding, Horace Partners, détenue à 43,5% par Jean-Louis Dutaret, 43,5% par le directeur des événements Samir Boudjemaa et 13% par les autres salariés. Le prix de la cession est modique: 300.000 euros. Mais Canal Plus a droit, en outre, à un quart de l'excédent brut d'exploitation (Ebitda) des années 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017. La chaîne cryptée a donc tout intérêt à ce que son ancienne filiale prospère...

Remise en cause des contrats existants

Mais c'est l'inverse qui va se produire. D'autant qu'à partir de mi-2014, le nouveau patron de Canal Plus et de sa maison-mère Vivendi, Vincent Bolloré, remercie les managements en place et remet en cause les contrats existants...

Le premier acte a lieu juste après la vente, en janvier 2013: Vivendi annonce qu'il ne sponsorisera plus le tournoi de golf, alors que le contrat avait pourtant été renouvelé l'année précédente pour trois éditions (2013, 2015 et 2017), à raison de 2,5 millions d'euros par édition. Jean-Louis Dutaret sauve l'édition 2013 du tournoi en la faisant sponsoriser par Golf+, une chaîne de golf appartenant à Canal Plus. Mais le tournoi disparait ensuite...

Quant au tournoi de tennis de Montpellier, Canal Plus, qui versait 150.000 euros par an pour le diffuser, arrête de le retransmettre après l'édition 2014. Le tournoi trouve asile sur l’Equipe 21 et MCS devenue SFR Sport (chaîne qui appartient au même groupe que BFM Business).

Un malheur n'arrivant jamais seul, ESPN décide, après une dernière édition en mars 2014, de cesser de sponsoriser les Winter X Games de Tignes.

Multiples plaintes

Tout cela fragilise TV Sport Events, qui décide de se retourner vers Canal Plus et sa maison-mère Vivendi. En juin 2013, à peine cinq mois après le rachat de la société, une première plainte est déposée devant le tribunal de commerce de Paris, pour réclamer 4,25 millions d'euros de dommages. Une plainte pénale est envisagée en parallèle.

Ce premier litige se termine par une transaction amiable. Vivendi accepte de verser 1,7 million d'euros, et Canal Plus 600.000 euros échelonnés sur trois ans, sous la forme de droits marketing sur le tournoi de tennis de Montpellier. Las! Pour la première année (2014), Canal Plus ne respecte pas l'accord, et ne paie que 71.750 euros au lieu de 200.000...

Une seconde plainte est donc déposée en décembre 2014, réclamant au total 978.500 euros, notamment pour "résistance abusive". Là encore, un nouvel accord intervient et met fin au litige début 2015.

Au final, tout le monde a perdu dans ce conflit. TV Sport Events a vu son chiffre d'affaires tomber à 5 millions d'euros. Et, vu que l'excédent brut d'exploitation est devenu faible voire négatif, Canal Plus n'a pas touché qu'un complément de prix modeste...

Contactés, Vivendi, Canal Plus et Jean-Louis Dutaret n'ont pas répondu.

Les résultats de TV Sport Events

Chiffre d’affaires
2011 : 43,6
2012 : 26,9
2013 : 6,96
2014 : 4,47
2015 : 5,53

Excédent brut d’exploitation
2012 : +14
2013 : -0,78
2014 : -0,59
2015 : +0,11

Résultat net
2011 : +1,13
2012 : +1,75
2013 : +1,94
2014 : +0,09
2015 : +0,08

Source: comptes sociaux

Jamal Henni