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Caroline Hilliet Le Branchu (La belle-iloise) : « Il faut réinventer l'entreprise de demain »

Caroline Hilliet Le Branchu, PDG de La belle-iloise, veut "réinventer l'entreprise de demain", sans "dénaturer la marque".

Caroline Hilliet Le Branchu, PDG de La belle-iloise, veut "réinventer l'entreprise de demain", sans "dénaturer la marque". - Crédit photo : Joël Saget - AFP

Caroline Hilliet Le Branchu dirige la conserverie La belle-iloise depuis 2011. Tout en conservant les valeurs qui ont fait le succès de l'entreprise familiale bretonne, elle « écrit sa propre page » pour la développer et vient notamment d'ouvrir un bar à sardines dans le Marais, à Paris. Portrait.

« Quand j’y pense, je me dis que j’ai été vachement culottée de faire un truc pareil » ! Ce truc, c’était en 2005. Caroline Hilliet Le Branchu, 31 ans, est alors ingénieur d’affaires chez IBM. Elle vit en région parisienne, avec son mari, leurs deux enfants et ils attendent le troisième. Ce jour là, elle va voir son père et son oncle, qui dirigent La belle-iloise, à Quiberon, pour leur dire que, s’ils n’ont rien de prévu pour la suite, elle souhaite reprendre l’entreprise familiale.

« Et là, ils me disent oui ! » s’étonne encore la quarantenaire, les cheveux noirs de jais, très courts. Une grosse valise à côté d’elle, elle nous reçoit dans le petit salon d’un hôtel, près de Montparnasse. Dans une heure, elle doit prendre le TGV pour rentrer dans le Morbihan. Cela fait huit ans, qu’elle dirige la conserverie créée par son grand-père en 1932 et qui compte aujourd’hui entre 350 à 600 salariés - en fonction des saisons - 80 boutiques, un restaurant à Nantes et un tout nouveau bar à sardines, dans le Marais, à Paris.

Choix de vie

Comme ses frère et sœurs et leurs cousins, Caroline Hilliet Le Branchu baigne dans l’entreprise depuis toute petite. Comme eux, elle a été réquisitionnée certains dimanches pour appeler un à un les salariés, pour les prévenir que ce n’était pas la peine de venir le lendemain parce que les sardines ne seraient pas au rendez-vous. Comme chacun des enfants de la famille, elle a reçu une action dans l’entreprise, pour suivre son évolution.

Quand elle postule auprès de son père et de son oncle pour reprendre l’entreprise, Caroline Hilliet Le Branchu y pense depuis quelques années. Son mari vient de quitter son travail et c’est une discussion avec de parfaits inconnus, rencontrés au détour d’un week-end, qui provoque le déclic : « Pourquoi pas maintenant ? »

Le père de Caroline, Bernard Hilliet, raconte qu’il n’a pas été surpris de sa démarche, mais qu’il ne s'y attendait pas tout de suite. Elle est la seule sur les rangs. Une de ses sœurs a bien réfléchi, mais elle a fait un autre choix de vie. Parce que c’est bien d’un choix de vie qu’il s’agit. « S’il n’y a pas un désir, presque une excitation de vouloir le faire, c’est pas possible », explique Caroline Hilliet Le Branchu. Elle a cette envie profonde et un caractère bien trempé. Courant 2005, la petite famille s’installe dans le Morbihan. Avec son mari, ils décident alors qu'il se consacrera davantage aux enfants. Il ouvre des chambres d'hôtes, ce qui lui permet d'arranger son emploi du temps et d'être là pour eux.

« Tenace »

« Caroline est quelqu’un de tenace, qui sait exactement ce qu’elle attend et qui se bat pour y parvenir, décrit son père. Elle met toute l’énergie nécessaire pour y parvenir ». Pour que la transition se passe au mieux, à la conserverie, Bernard Hilliet et Caroline Hilliet Le Branchu établissent une sorte de plan de bataille. Pendant quelques mois, d’abord, ils engagent un coach pour définir les principaux axes de travail de la future patronne et ils décident que le passage de relais se fera dans cinq ans.

Cinq ans plus tard, le 1er janvier 2011, elle prend les rênes. Son père a quitté l’entreprise la veille, en lui laissant les clefs. « Ce que je trouve génial, salue Caroline Hilliet Le Branchu, c’est qu’on s’est préparés, et lui, il m’a tout transmis, il a pas fait de rétention d’information. Il m’a énormément appris, il a joué le jeu, et puis, le moment venu, il m’a laissé et il est parti ». Elle apprécie d’autant plus sa manière de faire que, quand il est parti, son père n’avait que 63 ans. Il aurait pu continuer quelques années encore. « C’est passé comme une lettre à la poste », raconte Sophie Mathys, directrice des opérations à La belle-iloise. « La transmission, dit-elle, a été faite de façon très intelligente. C’est rare les petites boîtes qui arrivent à gérer ça comme ça! »

Réinventer l’entreprise de demain

À La belle-iloise, Caroline Hilliet Le Branchu veut écrire sa propre page, « clairement », mais elle veut aussi « s’inscrire dans la continuité, avec les valeurs de l’entreprise et la stratégie du groupe quasi dans les veines ». « Elle est piquousée en fait, c’est dans ses tripes », sourit Sophie Mathys. Elle aime l’entreprise, je pense qu’elle ne pourrait pas s’en passer et elle ne veut pas en faire n’importe quoi ».

Même son de cloche du côté de Cécile Roudaut, directrice marketing. Elle estime que Caroline Hilliet Le Branchu dirige La belle-iloise « avec ses tripes », tout en veillant à « ne pas dénaturer la marque ». « Nous sommes des cuisiniers », souligne la PDG, qui met un point d’honneur à rester sur le positionnement très qualitatif de l’entreprise familiale, qui n’a jamais cédé aux sirènes de la grande distribution. En revanche, elle a changé radicalement la façon de diriger ses équipe. Elle préfère le management transversal au management vertical de son père et son oncle. Elle ambitionne de développer « des relais de croissance », le digital et d’ « enrichir l’expérience client »… 

« Il faut réinventer l’entreprise de demain! C’est moi qui porte cette responsabilité, c’est un vrai challenge! », lance Caroline Hilliet Le Branchu qui met un point d’honneur à s’ouvrir à tout ce qui peut se faire ailleurs, dans d’autres entreprises et d’autres pays…

Le fait qu’elle soit une femme ne lui a pas pesé du tout, peut-être un peu parce qu’elle était la « fille du patron ». Sophie Mathys se rappelle de ce jour où un salarié lui a confié son scepticisme lors de sa nomination à la tête de l'usine. « Et que Caroline dirige le groupe, ça ne te dérange pas »?, lui a-t-elle répondu. « Caroline, mais c’est pas pareil, c’est la fille de Bernard ! », a rétorqué le salarié. Le fait d'être une femme dans un milieu plutôt masculin, elle n’en fait pas un sujet, mais plutôt « une opportunité » d’être audible, alors qu’on entend encore peu les femmes. « La légitimité », insiste-t-elle, on la créée en faisant. Elle regrette que, « d'une manière générale, les femmes aient tendance à se sous-évaluer ».

De son côté, elle gère au mieux ses journées. Elle met un point d’honneur à être présente le matin à la maison pour le petit-déjeuner et aux rendez-vous comme les rentrées scolaires et les kermesses. Et elle fait aussi en sorte de ne pas travailler le week-end. Passionnée par son travail, elle n’envisage pas de faire autre chose, tant qu'elle aura « du souffle ». Mais dans les traces de son père, son oncle, son grand-père et son arrière-grand-père, elle prépare le terrain pour la génération suivante. Il y a quelques jours, les petits enfants de la famille âgés de dix ans et plus, ont ainsi passé une journée en immersion dans l’entreprise.

« Moi, je veux faire Pdg! »

« L’idée, raconte Bernard Hilliet, c’est que la quatrième génération s’approprie les valeurs et accepte les règles de l’entreprise ». Comme son père avant elle, Caroline Le Branchu ne compte mettre la pression sur personne pour reprendre l’entreprise : « Je serais très heureuse qu’un membre de la famille, parmi mes enfants ou leurs cousins, reprenne… mais on n’a qu’une vie et je n’ai pas envie de prendre la vie de quelqu’un pour lui imposer de faire ça ». «On n’est jamais prêt, martèle-t-elle. On ne mesure pas. Tant qu’on n’est pas dirigeant, on n’est pas dirigeant et on ne sait pas ce qui nous attend ».

Pour l’instant, son aîné, qui est en école de commerce à Cergy (Val d'Oise), est plutôt attiré par l’international et sa cadette se lance dans des études de médecine... En revanche, son petit dernier a déjà réservé sa place : « Moi, je veux faire DG », lui a t-il dit un jour. Elle lui a répondu que cela ne se faisait pas comme ça. « Pas grave, lui a t-il rétorqué, je serai dessinateur ». Et peut-être aussi « culotté » que sa maman.