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Céline Lazorthes (Leetchi): "Je voulais que cette histoire me dépasse"

Dix ans après avoir lancé Leetchi, Céline Lazorthes lâche un peu les rênes et se consacre à d'autres projets.

Dix ans après avoir lancé Leetchi, Céline Lazorthes lâche un peu les rênes et se consacre à d'autres projets. - -

Nouvelle vie pour la fondatrice de la cagnotte en ligne Leetchi, qui prend officiellement la présidence du conseil de surveillance de son groupe, après en avoir cédé 86% à Crédit Mutuel Arkea, en 2015. Nous l’avons rencontrée. Portrait.

Tout sourire, entre deux averses du mois de juin, Céline Lazorthes pousse le portail des locaux de Leetchi, superbe hôtel particulier niché au cœur du 9e arrondissement de Paris. Elle se presse pour atteindre la salle de réunion, qui donne sur un jardin verdoyant, et se confond en excuses pour son petit retard dû à un rendez-vous médical pour son bébé de trois mois. Céline Lazorthes court, mais elle est visiblement très épanouie dans sa nouvelle vie. À sa récente maternité s’ajoute un changement de statut au sein des deux entreprises qu’elle a créées en 2009 et en 2013.

Après avoir laissé les rênes de la cagnotte en ligne Leetchi, il y a un an, à Alix Poulet, elle confie celles de Mangopay (solution de paiement pour les marketplaces et les plateformes de consommation) à Romain Mazeries, qui prend aussi la présidence du directoire du groupe Leetchi. Céline Lazorthes, elle, devient présidente du conseil de surveillance. « J’ai un peu le rôle du vieux monsieur de 70 ans, qui devient président après avoir dirigé une entreprise », s’amuse-t-elle. Sauf qu’elle en a moitié moins, mais elle en est persuadée : c’est le bon moment. « Je voulais vivre ma maternité et cette nouvelle phase comme ça », explique-t-elle. Elle précise: « Je pense qu’il y avait un truc un peu psychologique, où il fallait que je sois sûre que mon premier bébé soit entre de bonnes mains pour passer à autre chose ».

« Je sais que mon bébé est autonome »

Dix ans après son lancement, en novembre 2009, Leetchi compte plus de douze millions de clients dans cent cinquante pays et plus de deux cent millions d’euros y ont été collectés l’an passé. Mangopay est utilisée par plus de deux mille cinq cent plateformes clientes basées dans vingt-six pays. Globalement, le groupe Leetchi a enregistré un volume d’affaires de 2,2 milliards d’euros en 2018, et vise plus de 4 milliards d’euros pour cette année. « L’activité se porte super bien et on a une équipe qui est solide », se félicite Céline Lazorthes, convaincue qu’elle a donné tout ce qu’elle avait à donner.

La transition, préparée depuis longtemps, se fait ainsi « de façon très naturelle », poursuit la dirigeante, qui a déjà cédé 86% de Leetchi à Crédit Mutuel Arkea, en 2015, pour plus de cinquante millions d’euros. « Vendre pour me faire du pognon et que l’histoire n’existe plus au bout de deux ans, explique-t-elle, cela ne m’intéressait pas du tout. Je voulais vraiment que cette histoire me dépasse et qu'elle trouve son autonomie. Aujourd'hui, je sais que mon bébé se porte bien et qu'il est autonome ».

« Les doigts branchés dans la prise », en permanence

L’histoire a commencé sur les bancs d’HEC, au terme d’un parcours étudiant « un peu compliqué », raconte Céline Lazorthes. Fille de médecins toulousains, passionnée par internet, elle s’est d’abord lancée dans des études d’ingénieur-informaticien, avant de faire un master 2 de gestion de projet informatique, en parallèle duquel elle a accumulé les petits boulots avant d’atterrir chez eYeka, une plateforme qui permet aux marques d'organiser des concours via internet. Son fondateur, l'entrepreneur Gilles Babinet, se rappelle qu'un jour, il l’a retrouvée en pleurs dans son bureau. « Elle n’était pas faite pour être employée », résume-t-il. Ses mots l'ont marquée : « Tu vas faire de grandes choses, a-t-il dit, mais tu ne sais pas encore quoi ». Rassurée par ses encouragements et une promesse d'embauche si besoin, elle s’est inscrite au Master Entrepreneurs d’HEC. Et c’est en préparant un week-end d’intégration qu’a germé l’idée d’une cagnotte en ligne, qu’elle a lancée fin 2009.

Aujourd'hui, Céline Lazorthes prend de la distance, mais elle n’a pas coupé les ponts pour autant. Elle reste en contact permanent avec les CEO de Leetchi et de Mangopay, quitte à leur « envoyer des mails à 7h du matin un dimanche », quand elle a une idée. Enceinte de huit mois, elle s’est retrouvée, comme toute son équipe, au cœur de la polémique sur l’ouverture d’une cagnotte Leetchi en soutien à l'ancien boxeur Christophe Dettinger, condamné pour avoir frappé des gendarmes. « J’ai reçu deux cent coups de fils dans la journée, se rappelle-t-elle. Et le téléphone de notre responsable communication a littéralement cramé ! » Son ordinateur portable ouvert devant elle et son smartphone à portée de main, elle confirme avoir « toujours un peu les doigts branchés dans la prise ».

« Heureuse et épanouie »

Dans cette nouvelle vie, Céline Lazorthes prend du temps pour sa famille, mais elle s’engage aussi dans d’autres projets. Business angel pour Frichti.co, Jimmy Fairly, ou encore Le Slip Français, elle est très investie dans la French Tech et elle a co-créé un collectif de femmes, Sista, qui vise à améliorer la question du financement pour l’entrepreneuriat féminin. Elle travaille notamment avec le Conseil national du numérique à l’élaboration d’une charte, une liste d’actions que les fonds d’investissement s’engageront à respecter pour faire avancer les choses.

Mue par « un fort sentiment et besoin de justice », Céline Lazorthes se dit « heureuse et épanouie dans cette nouvelle organisation qui démarre » et elle estime avoir « trouvé le bon équilibre ». Marquée par Orianne Garcia, quand elle a fondé Caramail à la fin des années quatre-vingt-dix, inspirée aujourd’hui par Mercedes Era (co-fondatrice de BETC et patronne de Havas Worldwide), Nathalie Balla (La Redoute) ou Stéphane Pallez (Française des jeux), qu’elle côtoie au sein du collectif Sista, elle espère pouvoir « à [sa] mesure », contribuer à susciter des vocations. « Et si je peux même contribuer à ce que des petites filles se disent que c’est possible, sourit-elle, allons-y ! »