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Cette carte de crédit Airbnb permet de frauder le fisc

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La plateforme de location entre particuliers propose aux hébergeurs d'être payés sur une carte de crédit à ses couleurs. Une carte qui permet à ses utilisateurs de rendre leurs revenus totalement intraçables par les autorités fiscales de leur pays.

Airbnb envoie régulièrement des messages à ses utilisateurs pour les inciter à déclarer leurs revenus au fisc. Mais en parallèle, la plateforme propose aux hébergeurs une carte de crédit émise depuis Gibraltar, qui rend l'évasion fiscale simple comme bonjour. C'est ce que montre une enquête de la cellule investigation de France Info publiée ce vendredi.

Depuis trois ans, Airbnb propose à ses hôtes hébergeurs, partout dans le monde, d'obtenir en quelques clics une carte de crédit rechargeable aux couleurs de la plateforme de location entre particuliers. Cet outil, fourni par la société américaine Payoneer, permet aux hébergeurs de recevoir les paiements de ceux qui passent des nuitées chez eux. Pour utiliser cet argent, les titulaires de la carte n'ont plus qu'à retirer du cash au distributeur le plus proche, ou payer avec la carte dans les magasins, comme le ferait un touriste étranger avec sa carte bleue.

Des crédits hébergés à Gibraltar

Mais en Europe, les crédits qui y reposent sont envoyés par Airbnb depuis la Grande-Bretagne vers… Gibraltar, paradis fiscal où ladite société Payoneer est enregistrée. Donc totalement intraçables par le fisc français. En effet, comme les comptes sur lesquels va l'argent ne sont pas des comptes bancaires à proprement parler, ils ne sont donc pas concernés par les accords sur l'échange d'informations bancaires qu'a signé Gibraltar avec la France, explique un chercheur à France Info.

En clair, l'intérêt pour le contribuable français qui l'utilise, c'est principalement d'éviter de déclarer au fisc ce qu'il gagne avec Airbnb. Alors que tous les revenus tirés "de la location d'un élément de son patrimoine personnel", comme sa résidence principale ou secondaire, sont imposables en France.

France Info indique par ailleurs qu'obtenir la carte est un jeu d'enfant: les formalités sont sommaires et ne nécessitent même pas d'envoyer sa pièce d'identité. Seul un numéro de passeport suffit, rapporte un utilisateur qui affirme avoir reçu l'objet "en trois jours".

9000 détenteurs en France?

Airbnb n'est pas le seul groupe numérique à proposer la carte Payoneer. Des marketplaces comme Amazon et Cdiscount ou celle de Google offrent le même service aux particuliers qui vendent sur leurs plateformes. Mais Airbnb va plus loin qu'eux, en hébergeant le service de souscription de la carte directement sur le site, et en faisant porter ses couleurs à la carte, souligne France Info.

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La France est le 2e marché de l'américain après les États-Unis. Selon les derniers chiffres connus, en mars, plus de 400.000 logements situés dans l'Hexagone étaient proposés sur la plateforme, dont 65.000 à Paris.

Contacté, Airbnb argue qu'en France, où le groupe recense un peu plus de 300.000 hébergeurs, l'usage de cet outil est minoritaire. Une très large majorité, "87% des hôtes français, se font payer par virement bancaire", indique le porte-parole. Sur le forum de la communauté Airbnb en France, 40 discussions entre hébergeurs ont pour sujet la carte Payoneer.

Airbnb s'étonne de la polémique

Airbnb explique que le service a été mis en place à la demande d'utilisateurs dans des pays où les frais de transferts bancaires sont très élevés, et où ils prennent beaucoup de temps. Par exemple en Amérique latine ou au Moyen-Orient, détaille la plateforme. Le représentant d'Airbnb s'étonne par ailleurs de la polémique, rappelant qu'en France, d'ici 2020, les plateformes de location entre particuliers seront obligées de transmettre automatiquement toutes les données fiscales des hébergeurs aux autorités.

La taxation des revenus des utilisateurs d'Airbnb est un sujet de bras de fer récurrent entre les gouvernements et la plateforme de location entre particuliers. En Europe, les autorités belges et françaises tentent en effet de l'obliger à révéler les revenus des hébergeurs aux services fiscaux. Mais en France, le décret d'application prévu pour 2019 a été repoussé à 2020 en raison de "problèmes techniques", affirme le gouvernement. À Bruxelles, Airbnb a introduit des recours juridiques qui lui épargnent de respecter l'ordonnance émise fin 2016 par la ville.

Nina Godart