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Cette ingénieure Michelin a créé un pneu qui se régénère

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Une ingénieure du fabricant français de pneumatique a créé un pneu ultra innovant qui fait économiser 1 litre d'essence au cent kilomètres et réduit énormément la pollution. Une petite révolution qui lui a valu d'être récompensée du prix de l'inventeur européen de l'année par l'Office européen des brevets ce jeudi.

Tout est partie d'une discussion entre Agnès Poulbot, ingénieure chez Michelin, avec un conducteur de poids-lourds client du fabricant français de pneu. Celui-ci teste les pneus verts de Michelin depuis quelques temps. Mais il est déçu du résultat. Il explique à l'ingénieure mathématicienne qu'en remplaçant ses pneus classiques usés par les pneus verts neufs, il n'a constaté aucune économie de carburant.

L'ingénieure comprend que la faute en revient aux bandes de roulement, ces sculptures sur la surface du pneu, qui servent à évacuer l'eau qui se trouve sur la route afin que le véhicule ne glisse pas. Quand le pneu est neuf, ces rainures sont très profondes, elles déforment le pneu lorsqu'il roule, augmentant la surface en contact avec la route, et donc son adhérence. Du coup, il faut davantage d'énergie au véhicule pour avancer, et donc, il surconsomme du carburant. Lorsqu'il est un peu usé, il consomme moins, tout en continuant de garantir la tenue de route, donc la sécurité.

Un pneu "usé tout le temps"

"Je me suis dit que le pneu idéal, c'est le pneu qui serait usé, mais tout le temps, donc qui va se régénérer tout le temps, mais en étant usé, pour avoir l'adhérence et le gain en résistance au roulement", explique Agnès Poulbot.

Depuis le centre de R&D super moderne de Michelin, près de Clermont-Ferrand, elle commence donc à travailler sur un pneu dont les bandes de roulement ne seraient plus sur un seul axe en profondeur. À la place, elle imagine plusieurs "creux" répartis dans toute la surface du caoutchouc du pneu, qui se révéleraient successivement à mesure que le pneu s'use. Ainsi, du début à la fin de sa vie, le pneu serait au parfait équilibre entre sécurité et économie de carburant.

En équipe avec Jacques Barraud, lui aussi ingénieur Michelin, décédé en 2016, elle fait des calculs, utilise les logiciels de simulation hyper puissants mis à disposition par l'industriel qui dépense chaque année quelque 650 millions d'euros en R&D. Une fois qu'ils ont trouvé la formule parfaite, ils conçoivent un moule en imprimante 3D sur ce nouveau modèle pour y couler le pneu.

240 euros économisés tous les 20.000 kilomètres

Dès 2013, ces nouveaux pneus, commercialisés sous le nom de RegenionTM, sont installés sur des poids-lourds. Le résultat est impressionnant: les camions équipés de ces pneus économisent un litre de carburant tous les cent kilomètres, à comparer aux 0,2 à 0,4 litres aux cent économisés grâce aux pneus verts classiques. En monnaie, le conducteur qui utilise des pneus verts gagne environ 10 euros sur 20.000 kilomètres. L'utilisateur de Regenion, lui, économise 240 euros en essence sur la même distance.

Tous les fabricant (Goodyear, Dunlop, Pirelli, etc), afin d'aider les constructeurs de voitures à respecter des normes européennes d'émissions de Co2 de plus en plus sévères. Goodyear a ainsi présenté au dernier salon de l'auto un pneu en mousse végétale qui absorbe le Co2. Mais le modèle n'est qu'un prototype, qui n'arrivera pas sur les routes avant plusieurs années.

Une version pour les voitures à l'étude

Le pneu RegenionTM de Michelin équipe aujourd'hui quasiment un tiers des poids-lourds européens. De quoi réduire la pollution, en un an, "de l'équivalent d'un mois d'émission de gaz à effet de serre de la ville de Paris", se réjouit Agnès Poulbot. Une version pour les voitures des particuliers est à l'étude, mais en attendant, sachant que le transport par camions est la première source d'émission de Co2 en Europe (35% du total), le gain potentiel pour l'environnement est déjà colossal.

Et cocorico! Agnès Poulbot et Jacques Barraut viennent d'être récompensés ce jeudi du prix de l'inventeur 2018 de l'Office européen des brevets, dans la catégorie "industrie". C'est la première fois que Michelin, le géant qui figure au top 10 des entreprises les plus innovantes en France avec 400 brevets déposés chaque année, faisait partie de la sélection. Les lauréats ont été choisis par un jury international indépendant présidé par Thierry Breton, sur la base d’une liste de plus de 500 inventeurs et équipes d’inventeurs proposés pour le Prix.

Nina Godart