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Christophe Catoir (Adecco):« L’affectif n’est pas un gros mot »

Christophe Catoir, qui a commencé en stage dans le groupe il y a 23 ans, préside la branche française d'Adecco.

Christophe Catoir, qui a commencé en stage dans le groupe il y a 23 ans, préside la branche française d'Adecco. - Crédit photo: Caroline Bazin

Alors que l’emploi et la croissance sont plus que jamais au cœur de l’actualité, nous sommes allés rencontrer le patron France du groupe Adecco, leader mondial de l’intérim. Il nous a reçus mi-septembre, dans ses bureaux de la Défense. Portrait.

L’approche est directe, quasi amicale. Il est plutôt rare qu’un patron d’entreprise de cette taille, qu’on voit de surcroît pour la deuxième fois seulement, vous embrasse comme du bon pain. Christophe Catoir, 46 ans, dirige depuis trois ans les 3 900 collaborateurs de la branche française d’Adecco. Il nous reçoit au quatorzième étage de la Tour W, à La Défense. Son bureau, lumineux, donne ce matin-là sur un beau ciel bleu et sur un paysage de gratte-ciel. « Certes, il y a une jolie vue », acquiesce-t-il, « mais vous êtes néanmoins à Paris ». Christophe Catoir, provincial dans l’âme, partage ses semaines entre La Défense et la région lyonnaise, où se trouve le siège français du géant suisse et où résident aussi sa femme et ses enfants.

« J’adore apprendre et prendre des risques »

Installé à sa table de réunion, avec un petit café, Christophe Catoir parle facilement. Plutôt « introverti » à la base, il attribue cette aisance à deux de ses patrons, qui l’ont forcé tôt à se jeter à l’eau et qui lui ont appris à « parler avec ses intuitions. » Originaire de Lille, élevé par un père chauffeur dans une entreprise de transports et une mère employée aux chèques postaux (l’actuelle Banque postale), membre d’une fratrie de trois enfants, il a été marqué par un rythme: « Comme les parents travaillaient tous les deux et n’avaient jamais le temps, le message subliminal c’était « fais vite! »… Donc je suis un homme pressé et impatient! ».

Il se dit aussi façonné par vingt ans de football, qu’il a pratiqué jusqu’en division d’honneur. Etudiant en école de commerce à l’Ieseg, à Lille, il entre chez Ecco (anciennement Adecco) pour un stage de six mois, puis il enchaîne sur un remplacement en contrôle de gestion. « J’étais plus souvent au boulot qu’à l’école », raconte Christophe Catoir. Aïcha Chabane, qui était stagiaire en même temps que lui et qui est aujourd’hui chef des ventes, à Lille, se rappelle d’un gros travailleur, qui « a osé plus que d’autres, sans arrogance ». C’est lui notamment, qui a lancé la branche recrutement de cadres, qui n’existait pas. « J’adore apprendre et prendre des risques », précise le dirigeant, qui a changé neuf fois de poste chez Adecco. Il n’a que 25 ans quand on lui confie la responsabilité de la région Champagne-Ardenne. Il quitte donc Lille pour Reims. Il ira ensuite à Metz, puis à Villeurbanne, où il est depuis 14 ans. « Quand je prends un job, je veux réussir », assume-t-il.

« Et la tendresse ?... Bordel ! »

Il s’explique: « J’ai vraiment deux moteurs, qui font que je suis encore là après 23 ans. Le premier c’est l’apprentissage, j’adore apprendre! Et le second, ça peut paraître très bateau, mais c’est l’ADN du groupe, qui est historiquement très humain. »

« L’affectif n’est pas un gros mot », pour Christophe Catoir, dont le champ lexical est extrêmement bienveillant. « Confiance », « fibre relationnelle », « responsabilisation », « générosité », « tendresse »… émaillent son discours. Il rit: « Passez-moi l’expression, j’ai ce film en tête: « Et la Tendresse, bordel !*» Il est pourtant très sérieux. Et loin de se sentir à contre-courant, il se félicite que les entreprises d’aujourd’hui soient de plus en plus empreintes d’une « humanité sincère ». Il se sent en phase avec cette période.

« Notre cœur de métier demande cette sensibilité », abonde Anne Royer, son assistante. Chez Adecco depuis trente ans, elle a connu plusieurs patrons. « La simplicité, l’autonomie et l’exigence » de Christophe Catoir en font pour elle « un patron vraiment moderne ». Un président qui « n’hésite pas à « aller dans l’émotion et à parler de sa famille » lors de séminaires du groupe, raconte Aïcha Chabane, pour qui « ça le ramène à une personne comme une autre ».

Elle apprécie ce côté direct: « C’est quelqu’un qui ne met pas de barrière ». Dans son bureau de La Défense, il n’hésite d’ailleurs pas à évoquer sa femme, Anne-Lise, rencontrée sur les bancs de l’école de commerce et qui l’a « sauvé des eaux » en le poussant à travailler, et ses trois garçons, qui sont respectivement en école de commerce, en sport études tennis et à l’école primaire.

On sent chez Christophe Catoir une vraie gratitude pour son épouse qui a arrêté de travailler pour compenser son rythme de vie à lui. Pour lui, cet équilibre entre famille et travail, est « fondamental », même s’il concède qu’il est parfois difficile à trouver. Il évoque par exemple les « deals » qu’il a dû « passer » pour pouvoir partir faire du vélo deux, trois heures, parfois quatre heures, le week-end, pour décompresser et pour pouvoir être pleinement disponible à la maison.

« Je suis un pragmatique, un opérationnel. »

Membre de plusieurs conseils d’administrations, Christophe Catoir a fait de l’apprentissage son cheval de bataille. Récemment, il a accompagné Alexandre Saubot, Directeur général d’Haulotte Group et ancien patron de l’UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie) dans sa course pour la présidence du Medef. En ligne avec son idée de vouloir « concilier performance économique et sociale », il a fait partie du premier cercle.

Plusieurs semaines après la défaite, il est toujours un peu déçu et il garde une certaine amertume vis-à-vis de « l’arrière-boutique d’une élection comme celle-ci. ». « C’est un monde trop politique pour moi, qui suis un pragmatique, un opérationnel », résume-t-il. Joint par téléphone, Alexandre Saubot confirme : « Ce n’est pas un homme d’appareil, ni de pouvoir. » Il décrit volontiers « un homme engagé, exigeant, avec des convictions, mais simple, avec qui l’on peut débattre, même quand on n’est pas d’accord. »

Et après? Peut-on imaginer travailler ailleurs quand un groupe qui vous colle autant à la peau ? « S’il devait y avoir un ailleurs », répond Christophe Catoir, « le premier critère serait de voir la culture d’entreprise. » Mais il n’en est pas question. D’ailleurs, il vient d’accepter un nouveau challenge au sein d’Adecco. En plus de ses activités à la tête de la branche française, il travaille avec les autres patrons de zone dans le monde à un projet de transformation du groupe et il va les représenter.

En toute sincérité

Passionné, engagé, très concret, le patron France d’Adecco dégage aussi un côté un peu mystique. En souriant, il utilise l’image de Maître Yoda et du Jedi… « J’ai été Jedi pendant très longtemps », dit-il. « J’ai compris sur le tard que vous trouvez « la paix intérieure », la non-frustration, quand vous êtes alignés avec vos convictions. Et là, c’est incroyable l’impact que vous avez! » Il poursuit: « Quand vous avez cette sincérité, vous gagnez en impact et en responsabilité. Et les gens vous répondent en sincérité. » Alors oui, dit comme ça, « ça fait un peu bateau », pour reprendre son expression, mais ça ne sonne absolument pas faux. Et l’on repart de La Défense en se disant que Christophe Catoir a effectivement joué le jeu en toute sincérité.

* « Et la tendresse… bordel! », Patrick Schulmann, 1978

PAULINE TATTEVIN