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Culture loisirs

Les cinéastes se mobilisent contre l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis

Harvey Weinstein et Aurélie Filippetti entourés de réalisateurs (Jean-Paul Salomé, Michel Hazanavicus, Jaime Rosales, Jacques Fansten) à Cannes le 20 mai

Harvey Weinstein et Aurélie Filippetti entourés de réalisateurs (Jean-Paul Salomé, Michel Hazanavicus, Jaime Rosales, Jacques Fansten) à Cannes le 20 mai - -

La commission européenne veut inclure l’audiovisuel dans les négociations commerciales avec Washington. Le 7ème Art s’est mobilisé lors du festival de Cannes contre ce projet.

Le moment de vérité approche pour le futur traité de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis. Le 14 juin, un mandat de négociation doit être adopté par les ministres européens du commerce. Mais un point fait toujours débat: l’audiovisuel doit-il ou non être inclus dans ces négociations? La Commission européenne y est favorable. Elle a inclus l’audiovisuel dans le projet de mandat adopté le 13 mars. Et depuis, elle n’a pas changé d’avis. Le président de la commission Jose Manuel Barroso l’a notamment répété lorsqu’il a reçu François Hollande début mai.

Soutien inattendu

Mais le secteur culturel est vent debout contre ce projet. Les professionnels du cinéma sont particulièrement mobilisés. Une pétition de réalisateurs a été lancée en avril par les frères Dardenne et a réuni 5.500 signatures. Lors d’un colloque organisé lors du festival de Cannes le 20 mai, la pétition a été remise à la commissaire européenne à la culture Androulla Vassiliou, qui avait voté contre l’inclusion de l’audiovisuel.

A cette occasion, les pétitionnaires ont reçu le soutien inattendu du célèbre producteur américain Harvey Weinstein. "L’exception culturelle est bonne pour les affaires", a expliqué le patron de Weinstein Co. Selon lui, elle encourage les réalisateurs à faire des films sur leurs propres cultures, et non des copies sans intérêt de films américains.

Le parlement européen en renfort

Surtout, les Etats opposés à l’inclusion de l’audiovisuel se mobilisent. Le 17 mai, quinze ministres de la culture (France, Allemagne, Espagne, Italie…) ont signé une lettre commune en ce sens. "La production européenne risque d’être laminée par les produits américains", a prévenu à Cannes Aurélie Filippetti, ministre française de la culture.

Et ce jeudi 23 mai, le parlement européen s’est prononcé à une large majorité (381 voix pour, 191 voix contre) contre l’inclusion des services audiovisuels. Toutefois, cette résolution du parlement n’est que consultative, et nullement contraignante.

Surtout, certains pays restent fermement favorables à l’inclusion de l’audiovisuel, comme la Grande-Bretagne. "Tout doit être sur la table, y compris les questions difficiles", a ainsi déclaré le premier ministre David Cameron le 13 mai.

Système complexe

La question est donc de savoir si les pays opposés aux négociations sur l’audiovisuel seront assez nombreux pour constituer une minorité de blocage lors du conseil des ministres européens du commerce du 14 juin. "Je suis optimiste", a déclaré à Cannes Aurélie Filippetti. Certes, selon le système complexe en vigueur, les quinze Etats signataires de la lettre commune sont a priori suffisants pour constituer une telle minorité. "Mais ce sont les ministres de la culture qui ont signé la lettre. Or dans certains pays, le ministre de la culture est isolé, et ne représente pas la position de son gouvernement", explique-t-on rue de Valois.

Toutefois, si la minorité de blocage n’est pas réunie, alors Aurélie Filippetti a expliqué à Cannes qu’elle tentera d’utiliser son droit de veto. En effet, une des clauses du traité européen impose l’unanimité pour toute décision concernant la "diversité culturelle". "Le problème est que cette arme fatale n’a jamais été utilisée", indique-t-on rue de Valois. Surtout, la Commission répète que "la diversité culturelle" en elle-même n’est pas concernée par les négociations, et donc que cette clause du traité ne s’applique pas en l’espèce.

Partie de poker

"Le discours de la Commission est d’une hypocrisie totale, a déclaré à Cannes le directeur général de la SACD Pascal Rogard. D’un côté, Barroso et le commissaire au commerce Karel De Gucht disent qu’ils protégeront l’exception culturelle. Mais de l’autre, ils maintiennent l’audiovisuel dans la négociation. C’est une position intenable. L’Europe donne au monde l’image du mensonge et de l’hypocrisie". Selon lui, la concession faite aux Etats-Unis par José Manuel Baroso sur l’audiovisuel s’explique par "des raisons personnelles": il vise "un poste international important, qu’il obtiendra, car il aura le soutien des Américains".

Conclusion de Michel Hazanavicius, réalisateur de The Artist: "l’arrogance de De Gucht est très très inquiétante. Il nous a dit qu’il s’agissait d’une partie de poker, mais de ne pas nous inquiéter, car il était un très bon joueur de poker…"

De notre envoyé spécial à Cannes et Jamal Henni