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Cinéma: la filière divisée sur l'amélioration de l'offre légale

Les débats de Dijon ont montré les divisions entre professionnels

Les débats de Dijon ont montré les divisions entre professionnels - -

Certains professionnels veulent proposer des films plus frais en vidéo-la-demande sur Internet, mais le reste de la filière s'y oppose...

Aurélie Filippetti, avant comme après son arrivée au minsitère de la culture, n'a que ce mot à la bouche: "améliorer l'offre légale" de vente de films et de chansons sur Internet. Un credo repris par Pierre Lescure, qui va faire des propositions sur le sujet d'ici mars.

En matière de films, cela signifie notamment avoir des films plus frais en vidéo-à-la-demande (VoD), autrement dit raccourcir la chronologie des médias, pour reprendre le jargon du secteur. Mais ce n'est pas gagné. Les délais actuels de sortie des films sur différents supports ont été fixés mi-2009 par la filière, et toute évolution est impossible sans un accord unanime. Or la profession est divisée, comme l'a montré le débat organisé vendredi 19 octobre lors des rencontres cinématographiques de Dijon. Certes, il y a bien une coalition formée par les auteurs (SACD), des réalisateurs (ARP) ert des opérateurs (Orange) qui veut raccourcir les délais. Elle propose notamment de déroger aux règles actuelles via des expérimentations. Ou encore de sortir plus rapidement (18 à 20 mois au lieu de 36 mois) en VoD illimitée (SVoD) les films français s'ils n'ont pas été coproduits par une chaîne de télévision.

"Rien n'a bougé, or c'est toujours nécessaire, a ainsi déploré Bernard Tani, directeur de la VoD chez Orange. Il y a un segment de films pour lesquels cela peut augmenter les recettes". A nouveau, il a proposé d'expérimenter des sorties en VoD "dans la zone de la sortie en salles" pour des films non coproduits par des chaînes de télévision.

L'opérateur a aussi une autre idée: sortir un film en VoD en même temps que dans les salles, mais en réservant la VoD aux zones où le film n'est pas distribué en salles, parce qu'il n'est pas à l'affiche dans la région, ou tout simplement parce qu'il n'existe aucune salle à proximité.

De son côté, la productrice britannique Rebecca O'Brian a expliqué avoir sorti des films en même temps en salles et en VoD, ce qui avait permis de "doubler le box office et d'atteindre une nouvelle audience, par exemple les soldats britanniques expatriés"...

Canal Plus fait machine arrière

Mais le producteur Alain Rocca s'est vivement opposé à tout assouplissement, qui, selon lui, ne feraient qu'aider les géants américains de la SVoD tels que Netflix et Amazon, qui vient d'annoncer sa future arrivée en France.

La position la plus attendue était celle de Canal Plus, principal argentier du cinéma français, et leader de la VoD et SVoD en France actuellement. Historiquement, la chaîne cryptée était opposée à tout raccourcissement pour ne pas concurrencer la diffusion des films sur son antenne. Mais au printemps, elle avait fait un pas en avant, apportant son soutien aux propositions de la coalition ARP-SACD. Vendredi, le directeur général Rodolphe Belmer a semblé faire machine arrière: "l'enfer est pavé de bonnes intentions. Il ne faut pas profiter d'expérimentations pour détricoter la chronologie des médias. C'est la sortie en salles qui apporte valeur et le prestige au film. Il y a donc besoin de protéger les salles popur exploiter un film durant de longues années".

Selon certaines sources, la filiale de Vivendi aurait changé de position car mi-juillet, l'Autorité de la concurrence lui a interdit de proposer des films en exclusivuté en SVoD, rendant ce type de service moins attractif.

Mais, vendredi, Rodolphe Belmer a juste assuré qu'"il faut créer une nouvelle fenêtre pour la SVoD là où il y a un trou noir", c'est-à-dire à une période où le film n'est pas exploité actuellement, et donc où cela ne gênera personne. Il a cité l'exemple des Etats-Unis, où "les studios veulent mettre la SVoD à la place de la diffusion sur la télévision gratuite, qui ne passe quasiment plus de films".

Autre argument: "la chronologie des médias française perturbe Amazon et Netflix" dans leurs projets de lancement en France. Selon lui, "le siège d'Amazon sera au Luxembourg à notre connaissance", ce qui lui permettra d'échapper à la réglementation française.

Apple respecte la loi française depuis le Luxembourg

Jean-Yves Bloch, directeur général d'UniversCiné, un site de VoD français, a rétorqué vendredi: "le service français d'iTunes est bien installé au Luxembourg, mais il respecte la chronologie des médias française". C'est d'ailleurs une demande d'Apple aux producteurs de films, l'américain ne voulant visiblement pas susciter l'ire des français.

"Tout le monde met ses films sur iTunes, on est tous complices de ça", a pointé Bruno Delecour, président de FilmoTV, un service de SVoD français. Selon lui, "iTunes a pris 30% du marché français en deux ans et demi."

Bref, face à cette filière divisée, il faudra sans doute, comme en 2009, une forte pression des pouvoirs publics pour faire évoluer les choses. Là encore, cela ne paraît pas acquis. Les discussions interprofessionnelles du printemps dernier, menées sous l'égide du CNC (Centre national du cinéma), ont échoué, face à l'opposition des producteurs. Et lors du Mipcom, le président du CNC Eric Garandeau a tenu un discours très réservé sur le sujet.

Pour sortir de l'impasse, l'ARP a proposé samedi la création d'une commission qui autoriserait des expérimentations au cas pas cas.

Jamal Henni à Dijon