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Cinéma: interrogations sur le budget 2013 du CNC

Le président du CNC Eric Garandeau a obtenu le déplafonnement de ses recettes

Le président du CNC Eric Garandeau a obtenu le déplafonnement de ses recettes - -

Le budget détaillé mardi 2 octobre fait état d'une chute très importante mais inexpliquée de la contribution des opérateurs télécoms. Ce qui permet au CNC d'afficher facilement des ressources en baisse...

Le budget 2013 du Centre national du cinéma (CNC) est-il sincère? On peut en douter au vu des chiffres surprenants publiés mardi concernant la principale ressource du centre. En effet, l'établissement public prévoit de recevoir en 2013 une somme de seulement 247 millions d'euros de la part des distributeurs de services de télévision: opérateurs télécoms, câble, bouquets satellite. C'est une chute très importante par rapport aux sommes effectivement encaissées en 2011 (322 millions d'euros) ou 2010 (277 millions d'euros).

Surtout, c'est une chute inexplicable et inexpliquée. Interrogés, ni le ministère de la Culture, ni le CNC n'ont fourni aucun éclaircissement. Et aucun élément connu ne permet de prédire une telle chute. Certes, le marché des télécoms est en léger recul (-5% au premier semestre 2012, hors Free), mais cela ne réduirait le produit de la taxe que d'une dizaine de millions d'euros par an.

Certes, la taxe n'a toujours pas été approuvée par Bruxelles. Mais le projet de budget 2013 indique clairement tabler sur un feu vert de Bruxelles, et "avoir été construit sur cette base". Et la nouvelle taxe est bâtie de façon à rapporter autant qu'avant, et même plus, car elle doit obliger Free à la payer à nouveau, ce qui rapportera 20 millions d'euros par an.

Erreurs systématiques de prévision

Le soupçon s'insinue d'autant plus que le même phénomène s'est régulièrement produit toutes ces dernières années. A chaque fois, la taxe sur télécoms finalement encaissée a été très supérieure à celle prévue par le CNC dans son budget intial (cf. ci-contre). A tel point qu'au sein même du ministère de la culture, certains estiment que ces erreurs systématiques de prévision sont délibérées...

En effet, l'intérêt du CNC pourrait être le suivant: en minorant les recettes prévues, il apparaît d'autant moins riche, et donc éloigne les nombreux vautours qui lorgent sur ses opulentes finances. En pratique, grâce à cette chute inexpliquée, les recettes du centre prévues pour 2013 sont de seulement 700 millions d'euros, soit une forte chute par rapport aux 806 millions d'euros engrangés en 2011 (sur lesquels l'Etat avait prévelé une soulte exceptionnelle de 20 milllions d'euros).

Tour de passe passe

Autre intérêt du CNC: cette taxe est une taxe dite affectée, c'est-à-dire que tout le produit de la taxe va dans les poches du CNC, même si la taxe rapporte bien plus que prévu. Cela a d'ailleurs permis aux recettes du CNC d'exploser -elles tournaient autour de 500 millions d'euros par an au début des années 2000.

Il y a un an, Bercy avait décidé de mettre fin à ce manège, et imposé un plafonnement de la taxe sur les distributeurs de télévision. Autrement dit, tout ce qui dépassait ce plafond (fixé à 229 millions d'euros) n'allait plus dans les caisses du CNC, mais revenait dans le budget de l'Etat. A l'époque, Bercy avait estimé que ce plafonnement ferait rentrer 70 millions d'euros dans le budget général -estimation revue depuis à 55,7 millions d'euros, comme l'indique le tome 1 de l'évaluation des voies et moyens. Mais le président du CNC Eric Garandeau s'est battu vigoureusement pour faire sauter ce plafond, et a fini par obtenir gain de cause: la loi de finances pour 2013 fait disparaître ce plafonnement.

Pour convaincre le gouvernement, Eric Garandeau a assuré que ce déplafonnement ne lui rapporterait quasiment rien. Et c'est, en effet, ce qui apparaît si l'on regarde les chiffres parus mardi: si la taxe sur les distributeurs de télévision rapporte la modeste somme de 247 millions d'euros, alors le déplafonnement permet au CNC de gagner seulement 18 millions d'euros. Une paille! En revanche, si l'on prend un chiffre plus réaliste pour le produit de cette taxe (autour de 300 millions), alors le déplafonnement permet au CNC de gagner en toute discrétion dans les 70 millions d'euros... CQFD.

Le titre de l'encadré ici

|||Ponction sur la cagnotte Comme prévu, le budget 2013 prévoit une ponction de 150 millions d’euros sur la trésorerie du CNC. Ce prélèvement est ainsi justifié par le projet de loi de finances: "la croissance du produit global des taxes [encaissées par le CNC] s’est élevée à +53 % entre 2008 et 2011, essentiellement grâce à la forte croissance des recettes de la taxe sur les distributeurs de services de télévision, passées de 95 à 322 millions d’euros entre 2008 et 2011, les autres taxes étant relativement stables. Il en résulte un accroissement du fonds de roulement [trésorerie], qui atteint 800 millions d’euros à fin 2011".

Selon le texte, cette ponction "porte exclusivement sur des réserves qui correspondent à des projets exceptionnels que le CNC déploie sur plusieurs années, sans remettre en cause les engagements du Centre liés à son activité de soutien". Il est donc "compatible avec le maintien de l’ensemble des projets investissements du CNC".

Dans son dossier sur le budget 2013, la rue de Valois est plus critique: "ce prélèvement pourrait impacter en particulier le plan d’investissements dans le numérique. Le ministère de la culture et le CNC s’attacheront à achever l’accompagnement de la numérisation des salles. Le calendrier et l’ampleur du plan de numérisation des oeuvres devront, en revanche, être vraisemblablement revus".

Jamal Henni