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Cinéma: la convention collective annulée

La convention collective augmente le budget des films, en particulier à petit budget

La convention collective augmente le budget des films, en particulier à petit budget - Valsts Kanceleja -Wikimedia Commons cc

Le Conseil d'Etat a annulé mardi 24 février l'application à toute la branche de la convention collective signée en 2012 par les seuls gros producteurs, et qui instaurait des salaires minimaux.

Mise à jour: dans un communiqué, le gouvernement annonce qu'il va agréer en mars un nouvel arrêté d'extension de la convention et de son avenant.

Le Conseil d'Etat s'est prononcé mardi 24 février sur la convention collective du cinéma français. La haute juridiction a annulé l'arrêté ministériel de juillet 2013 s'appliquant à toute la branche cette convention. Une telle annulation avait été recommandée par le rapporteur public, dont l'avis est suivi dans la plupart des cas.

Cette convention avait été conclue en janvier 2012 après sept ans de négociations homériques. Elle instaure notamment des salaires planchers qui n'existaient pas auparavant. En pratique, cela renchérit donc le coût de production des films, surtout ceux à petit budget.

Les majors pas représentatives

Précisément, la convention a été signée par cinq des six syndicats de salariés (la CFDT a refusé de signer) et par une seule organisation patronale, l'API (Association des producteurs indépendants). Comme son nom ne l'indique pas, l'API regroupe les quatre majors du secteur: Pathé, Gaumont, UGC et MK2.

C'est là où le bât blesse. En effet, une convention collective, pour être étendue à toute une branche, doit être signée par des organisations suffisamment importantes pour représenter le secteur. Or, en l'espèce, le rapporteur public Alexandre Lallet a estimé que l'API ne pèse pas assez lourd pour être représentative.

"L'API ne pouvait être regardée comme représentative eu égard au très faible nombre d’adhérents qu’elle regroupe, à la proportion réduite des salariés qui y travaillent, à sa part modeste dans l’activité de production cinématographique, et, surtout, à sa très forte spécialisation, qui la conduit à ignorer certains secteurs de la production cinématographique et, en particulier, les films à petit budget", a estimé Alexandre Lallet lors d'une audience qui s'est tenue le 30 janvier. 

"La riche minorité"'

Précisément, le rapporteur public a pointé que l'API ne rassemble que que 0,7% des salariés et 0,3% des sociétés de production hexagonales. Et, sur la période 2009-2012, les films produits directement par les quatre majors de l'API n'ont représenté que 6% des effectifs et 9% des budgets. 

Bref, le poids de l'API est très inférieur au poids minimal exigé par la jurisprudence du Conseil d'Etat (dont une décision récente parle de 7% des entreprises), ou par les nouvelles règles de représentativité appliquées à partir de 2017 (8% des entreprises).

Pour le rapporteur public, il y avait donc "un risque de distorsion de concurrence susceptible de résulter d’une convention collective conclue par une organisation qui ne défend les intérêts que de la riche minorité des entreprises de la branche. Et en l'état, cette convention étendue pourrait entraîner la disparition de nombreuses entreprises de la branche".

D'ores et déjà, dans un référé, les juges du Palais Royal avaient émis un "doute sérieux" sur la représentativité de l'API. Et le Medef, la CGPME, la CFDT et FO ont aussi estimé que l'API n'était pas représentative. Mais le ministre du travail Michel Sapin était passé outre leur opposition, et avait décidé d'étendre la convention à toute la branche, c'est-à-dire à tous les producteurs. Furieuses, la CFDT et les autres organisations de producteurs avaient donc contesté cette extension en Conseil d'Etat.

Rebondissement nocturne

Mais, le 8 octobre 2013 à 3 heures du matin, un rebondissement digne des meilleurs scénarios était intervenu. Un avenant à la convention a été conclu pour tenir compte des films à petit budget. Cette fois, cet avenant a été signé par toutes les organisations de producteurs de cinéma (API, APC, SPI et UPF). Pour cela, les pouvoirs publics leur ont mis le pistolet sur la tempe, à en croire le syndicat des techniciens SNTPCT. Selon lui, le ministère du travail avait menacé de multiplier les "contrôles sévères" chez les producteurs. Tandis que la présidente du CNC (Centre national du cinéma) Frédérique Bredin menaçait de ne plus soutenir leurs niches fiscales...

Quoiqu'il en soit, suite à cet avenant, les producteurs de cinéma récalcitrants ont retiré leur recours en Conseil d'Etat. Les seuls plaignants encore en lice était donc la F3C-CFDT et le syndicat des producteurs de films publicitaires (APFP). Ce qui a suffi pour maintenir le recours, et faire tomber l'arrêté d'extension...

Quelles conséquences d'une annulation? 

En pratique, l'arrêté d'extension étant annulé, la convention collective ne s'applique plus qu'aux employeurs ayant signé la convention, c'est-à-dire à l'API.

Pour les autres, c'est le retour à la situation antérieure, c'est-à-dire pas de convention du tout, et un droit du travail pas vraiment respecté. "Les productions ne respectent généralement pas les dispositions du code du travail en matière de durée du travail, de déclaration des heures et de majoration des heures supplémentaires", pointait ainsi en 2013 un rapport du médiateur Raphaël Hadas-Lebel.

Probablement, les partisans d'une convention vont tenter d'en conclure une nouvelle, rassemblant cette fois plus d'organisations patronales, afin qu'elles soient jugées représentatives. Ou alors le gouvernement pourrait étendre la convention en incluant cette fois l'avenant d'octobre 2013.

Jamal Henni