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Cinéma: les interdictions aux mineurs assouplies

La justice avait interdit "Love" de Gaspard Noé aux moins de 18 ans

La justice avait interdit "Love" de Gaspard Noé aux moins de 18 ans - Wild Bunch

"Un décret assouplissant les critères d'interdiction des films aux moins de 18 ans est paru ce jeudi au Journal officiel."

Chose promise, chose due. Avant de quitter ses fonctions, Audrey Azoulay a assoupli le régime de classification des films. Un décret en ce sens est paru ce jeudi 9 février au Journal officiel

Jusqu'à présent s'appliquait un décret datant de 2003. Il stipulait que seuls les spectateurs âgés de 18 ans et plus pouvaient regarder en salle des films "comportant des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence". Autrement dit, tout film rentrant dans l'une de ces catégories était automatiquement interdit aux mineurs. Et si le ministère passait outre avec une interdiction seulement aux moins de 16 ans, il risquait d'être désavoué en justice.

C'est ce qui était arrivé à plusieurs reprises ces dernières années, à la suite de plaintes émanant notamment de l'association Promouvoir qui affirme défendre les "valeurs judéo-chrétiennes". La justice avait ainsi relevé plusieurs visas de -16 ans à -18 ans: le premier Nymphomaniac et Antichrist de Lars Von Trier, Ken Park de Larry Clark, Love de Gaspard Noé, ou encore le film d'horreur Saw 3D.

Le nouveau décret n'interdit plus automatiquement aux moins de 18 ans tout film comportant des scènes de sexe non simulé.

Plus d'automaticité

Rappelons que la classification lors de la sortie en salles est effectuée par le ministère de la Culture, qui se prononce après avis consultatif de la commission de classification -avis qui est suivi dans la quasi-totalité des cas.

Dans un communiqué, le ministère de la Culture explique: "Le décret publié ce jour supprime dorénavant tout critère automatique de classification. Il rétablit la liberté d'appréciation de la commission de classification. La décision de classification, qui peut constituer une restriction de la liberté d'expression et de création, doit être adaptée et proportionnée. Il est fondamental que cette décision soit fondée sur l'avis collégial de professionnels avertis et de représentants des différentes sensibilités de notre société.

Toutefois, les évolutions de la réglementation et de la jurisprudence avaient restreint la liberté d'appréciation de la commission de classification. Le gouvernement a donc souhaité supprimer cet automatisme, et fixer des critères qui permettent à la commission d'apprécier de façon équilibrée l'opportunité et la nature de la classification".

Ce nouveau décret s'inspire du rapport remis il y a un an par Jean-François Mary, président de la commission de classification des films. Selon ce rapport, "le critère de la 'non simulation' a évidemment perdu son intérêt au cours des récentes années. Une scène peut être tout à fait explicite à l’écran tout en ayant été simulée lors du tournage". Surtout, "beaucoup de professionnels du cinéma déplorent le 'choix binaire' imposé par la rédaction actuelle. Choix binaire car, si le critère objectif de la scène de sexe non simulée est caractérisé, il n’y a d'autre possibilité que d'interdire le film aux mineurs de 18 ans. Cette 'logique binaire' convient mal à la police du cinéma".

Impact économique important

La classification du film est "très importante pour sa vie économique", soulignait Audrey Azoulay lors de la remise du rapport. Et cela à toutes les étapes de cette vie. En effet, en salles, une interdiction aux moins de 18 ans réduit d'abord le nombre de spectateurs potentiels, mais ferme aussi les portes des grands circuits comme UGC ou Pathé, dont la politique est de ne quasiment pas projeter de films interdits aux mineurs. Ensuite, certaines plateformes de vidéo-à-la-demande comme iTunes refusent les films interdits aux moins de 18 ans.

Enfin, à la télévision, un film interdit aux moins de 18 ans ne peut être diffusé que sur une chaîne payante entre minuit et 5 heures du matin. Et les chaînes gratuites n'ont pas le droit de diffuser avant 22h00 un film interdit aux moins de 12 ans, et avant 22h30 un film interdit aux moins de 16 ans. Toutefois, par dérogation, un film interdit aux moins de 12 ans peut être diffusé à 20h30 quatre fois par an et par chaîne.

Pour la diffusion à la télévision, la classification est effectuée par la chaîne elle-même avant la diffusion du film. Toutefois, la chaîne peut être sanctionnée après diffusion par le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) si ce dernier estime que la classification n'était pas assez sévère. En pratique, le CSA exige toujours que la classification soit aussi sévère qu'en salles, voire plus sévère.

Le texte du nouveau décret

"La mesure de classification, assortie le cas échéant d'un avertissement, est proportionnée aux exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse, au regard de la sensibilité et du développement de la personnalité propres à chaque âge, et au respect de la dignité humaine.
Lorsque l’œuvre comporte des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, le visa d’exploitation ne peut s’accompagner que de d'une mesure [d'interdiction aux moins de 18 ans ou au classement X]. Dans ce cas, le parti pris esthétique ou le procédé narratif sur lequel repose l'oeuvre peut justifier que le visa d'exploitation ne soit accompagné que d'une mesure [d'interdiction aux moins de 18 ans]"

Jamal Henni