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Pourquoi Citymapper fait un carton chez les urbains

Citymapper s'est adaptée aux spécificités du transport parisien, comme elle le fait dans chaque ville où elle débarque.

Citymapper s'est adaptée aux spécificités du transport parisien, comme elle le fait dans chaque ville où elle débarque. - Jean Ayissi - AFP

Créée par un ancien de Google, cette start-up anglaise de transports est en train de devenir l'application indispensable pour quiconque veut se déplacer en ville. Tout en cultivant un certain secret.

Si vous n'avez pas encore entendu parler d'elle, ça ne saurait tarder, mais plus par vos amis qu'à la télé. Citymapper, l'application qui réunit tous les services dont les citadins ont besoin pour se déplacer, a tout pour devenir incontournable.

Certains des investisseurs les plus avisés de la Silicon Valley y croient. Le groupe vient de lever 40 millions de dollars auprès notamment d'Index Ventures et de Benchmark Capital. Le premier, auquel siège notamment Dick Costolo (ex-Twitter), est un business angel de la première heure de Blablacar, Criteo, Soundcloud, Asos et Skype. Le second, une firme qui a investi dans les grands noms du numérique avant qu'ils ne le deviennent: eBay, Instagram, Snapchat ou Uber.

Une simplicité à toute épreuve

Comment l'application nommée en 2013 et 2014 parmi les meilleures de l'App Store séduit son monde? Simplement grâce à un service complet, tout en simplicité justement. Le principe: vous trouvez sur l'appli toutes les infos dont vous avez besoin pour vous rendre quelque part, en temps réel. Sur la page d'accueil, la géolocalisation permet de voir les stations, arrêts de bus et de Velib' les plus proches de vous. Des fenêtres avec les prochains passages des bus et métros apparaissent. Vous rentrez une adresse dans la barre de recherche, vous obtenez des itinéraires à pied, en vélo, en taxi ou VTC, et en transports, avec différentes combinaisons. Le temps de chaque trajet à la minute, et même le nombre de calories brûlées.

Ajoutez-y encore des petits plus qui font la différence, comme un mode de consultation hors-ligne bien pratique dans un métro dépourvu de 3G. Ou des indications sur où se placer dans la rame pour être le plus près de la bonne sortie, ou du couloir qui vous mène vers votre correspondance…

Un service "natif" dans chaque ville

Voilà pour Paris, où l'application née à Londres a débarqué en 2014, sur une blague qui fleurait bon le french bashing à l'anglaise. L'objectif de la start-up aujourd'hui présente dans une trentaine de villes n'est pas d'envahir le monde au plus vite. Au contraire. Elle choisit d'y aller petit à petit, en adaptant totalement ses fonctionnalités aux spécificités de chaque ville. "Nous voulons que les gens ne sachent même pas que l'application existe ailleurs tellement elle semble conçue pour leur ville", déclarait dans un rare interview Azmat Yusuf, le fondateur de Citymapper, en 2014. 

Pour se lancer quelque part, elle s'appuie notamment sur des "cities heroes", comme elle les appelle. "Des bénévoles", assure-t-elle, qui connaissent la ville où l'appli jette son dévolu sur le bout de doigts. À l'arrivée, elle peut proposer des services uniques. Dans la tentaculaire Mexico par exemple, où circulent d'innombrables minibus privés, les Peseros, dont les trajets ne sont recensés nulle part, et qui prennent les voyageurs pour un peso. Citymapper a pu intégrer leur réseau à ses itinéraires grâce aux données récupérées directement sur le terrain, auprès des gens qui utilisent ces microbus. Une formule gagnante: l'application multiplie les votes 5 étoiles dans l'App Store, les commentaires sont dithyrambiques.

"Il y a une app MER VEI LLEU SE qui s'appelle "citymapper" qui te montre toutes les lignes du DF. En incluant les micros!!" s'enthousiasme cette twitto mexicaine

Des robots et des humains

Le secret: "Il y a de l'humain derrière l'algorithme", confirme Jean-Baptiste Casaux, business development manager chez Citymapper. Bien sûr, l'entreprise se sert des données fournies en Open Data par la régie des transports parisiens, le Stif, la SNCF, etc. Mais grâce aux contributeurs locaux "on crée notre propre jeu de données, notamment sur où se trouvent les stations de métro, où se placer dans la rame", souligne Jean-Baptiste Casaux. Elle est en outre extrêmement réactive. Quand l'appli RATP propose des itinéraires basés sur les horaires théoriques des transports, Citymapper fournit les temps réels, signale le moindre incident de trafic. Elle va aussi chercher ses informations à la source. "Quand il y a eu les attentats de Paris, on a récupéré les informations directement auprès de la préfecture de police", indique Jean-Baptiste Casaux. 

Beaucoup de mystère

C'est à peu près tout ce que le jeune homme, formé à Sciences Po et passé par la RATP avant d'intégrer les rangs de Citymapper accepte de dévoiler. La société communique très peu, ne fait aucune publicité, se fait rare dans les médias. Contacter ses membres est ardu. Les réponses sont lapidaires, les informations divulguées pour le moins lacunaires. "Nous ne donnons aucun chiffre, ni sur nos utilisateurs, sur nos salariés", martèle Jean-Baptiste Casaux. Pourquoi? "C'est stratégique", se borne-t-il à répondre.

À Londres, l'appli serait "probablement" installée sur la moitié des smartphones des habitants, lâchait le fondateur de l'appli à Techworld en 2013. À Paris, "l'application marche bien", se contente d'indiquer Jean-Baptiste Casaux. Elle resterait toutefois loin derrière le leader local. "En Île de France, 67% des gens qui possèdent un smartphone ont installé l'application RATP, et 56% de tous les Franciliens. Les nouveaux acteurs, que nous surveillons de près, atteignent au mieux les 2 à 4%", affirme Dominique de Ternay, responsable marketing de la RATP.

Quels coûts? Quelles recettes?

Même réserve concernant les effectifs de la société. Sur le registre britannique des entreprises, Companies House, seuls trois personnes sont recensées. Sur LinkedIn, la compagnie s'est enregistrée dans la fourchette "entre 11 et 50 employés". Dans sa description, elle joue là encore les mystérieuses: "une petite équipe dédiée, un siège quelque part à Londres, et quelques membres basés autour des villes du monde". 54 profils déclarent un lien avec Citymapper, parmi lesquels quelques utilisateurs anonymes, des stagiaires, des consultants, et des business angels. 

On n'en saura pas plus sur la façon dont Citymapper gagne de l'argent. "Notre but n'est pas encore de monétiser mais de faire une app que les gens ont envie d'utiliser", déclarait fin 2015 sur France 3 Louis Jolly, chargé du développement français de l'appli. "Citymapper n'a pas encore développé son business model mais les sources de revenus potentiels sont multiples", assurait en 2013 Robin Klein, du fonds Index Venture

Une de ces sources pourrait être des partenariats avec les compagnies de transports privées. À Paris, par exemple, Citymapper a un accord avec Uber pour ne représenter qu'eux. À Barcelone et Madrid en revanche, la société a un deal avec des compagnies de taxi.

La concurrence aux aguets

Cette fois sans qu'il soit question d'argent, les développeurs de Citymapper ont collaboré étroitement avec ceux de la RATP, raconte le responsable marketing de la régie parisienne. "C'était intéressant, stimulant, challengeant", indique Dominique de Ternay. Il promet que la grosse machine n'a pas peur de la petite appli. Ne serait-ce que parce que "RATP dispose de la plus grosse visibilité". Pour autant, elle compte bien s'inspirer du "multimodal" à la Citymapper. Elle planche sur une vaste mise à jour de son appli pour "intégrer le vélib' aux itinéraires proposés et prendre davantage en compte vos goûts dans les propositions d'itinéraires".

Un autre qui garde probablement un œil sur Citymapper: l'ancien employeur de son fondateur, Google. La filiale Map du géant du web pêche grandement sur les transports publics. Elle pourrait envisager de combler cette carence en achetant une application qui gère mieux qu'elle. Une stratégie déjà mise en pratique avec le rachat de Waze en 2013 pour ses propositions d'itinéraires automobiles. Le mastodonte a-t-il approché Citymapper? Jean-Baptiste Casaux ne dément rien, ne confirme rien. "Demandez-leur".

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco