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Climat et développement: quels sont les grands défis de l’énergie?

"Il y aura des surprises mais sans doute pas celles auxquelles on s’attend…"

"Il y aura des surprises mais sans doute pas celles auxquelles on s’attend…" - ©J.P.

Jacques Percebois a créé et dirige le CREDEN*. Sa connaissance pointue des énergies fait de lui un interlocuteur de choix pour nous délivrer une vision sur le long terme. Entretien avec un homme d’énergies.

Question simple : comment produire et utiliser plus d’énergie tout en réduisant les impacts?

Jacques Percebois: Il n’y a pas de solution miracle: la population mondiale va augmenter et, avec elle, les besoins en énergie, surtout dans les pays où la consommation d’énergie par habitant est faible (pays du Sud ou émergents). C’est particulièrement vrai pour la consommation d’électricité car les usages “connectés” sont partout en forte croissance. Mais le progrès social n’est pas proportionnel à la quantité d’énergie consommée et il faut aller simultanément dans trois directions:

Premièrement, faire des choix qui économisent l’énergie. Le potentiel d’efficacité énergétique est grand, notamment au niveau des bâtiments et du transport. Cela suppose des choix techniques appropriés, mais également une politique des prix de l’énergie qui fasse payer les vrais coûts, notamment les coûts environnementaux. Il faudra arriver à taxer le carbone, donc à pénaliser le recours massif au charbon, qui reste la principale réserve mondiale d’énergie.

Deuxièmement, opter pour des énergies bas carbone ou les moins carbonées possibles: privilégier le gaz naturel par rapport au charbon ou au fuel, développer les renouvelables (hydraulique, solaire, biomasse, biogaz) mais aussi le nucléaire, dont le potentiel est prometteur avec de nouveaux réacteurs plus performants et plus sûrs.

Enfin, développer les efforts dans la recherche pour trouver de nouvelles technologies qui permettront, par exemple, de stocker l’électricité renouvelable intermittente, de récupérer le CO2 et de le stocker à grande échelle

Aujourd’hui, l’enjeu prioritaire c’est la lutte contre le réchauffement climatique, tous les pays en sont conscients, mais tous n’ont pas la volonté ni les moyens de lutter pour que cet objectif soit atteint.

Les prévisions qui portaient sur l’énergie (peak-oil, place du renouvelable, prix du baril, gaz non conventionnels, etc) qui étaient faites il y a une dizaine d’années se sont toutes révélées fausses. Quelle crédibilité accorder aux prévisions dans un secteur soumis à tant de facteurs ?

J.P.: Le rôle des prévisions énergétiques n’est pas de “prédire ce que sera demain la demande et l’offre d’énergie”, mais, plus modestement, de fournir un “champ des avenirs possibles” pour permettre au décideur politique de choisir la direction vers laquelle aller, en excluant en particulier des futurs qui paraissent impossibles.

Les incertitudes sont beaucoup trop nombreuses pour pouvoir dire comment évolueront l’offre et la demande dans les dix, vingt ou trente années qui viennent. La principale incertitude porte sur les mutations technologiques, c’est-à-dire des innovations que l’on n’avait pas anticipées. Exemple: la fracturation hydraulique et le forage horizontal, qui ont permis de mettre une quantité très importante de gaz non conventionnel aux États-Unis. Il faut aussi tenir compte d’accidents technologiques, d’aléas politiques, de stratégies difficiles à anticiper de la part de certains acteurs.

L’avenir dépendra aussi des choix que nous ferons aujourd’hui. Pour mémoire, la décision de se lancer dans un vaste programme nucléaire en 1974 en France a conditionné la structure du mix énergétique du pays. C’est pourquoi la prévision est nécessaire, car certaines anticipations seront auto-réalisatrices. Certaines infrastructures ont une durée de vie de trente, cinquante, voire cent ans (centrales nucléaires, barrages, immeubles, ports etc.) et, du coup, on sait que ces infrastructures seront une contrainte pour demain. Tous les avenirs ne sont pas possibles mais certains sont préférables à d’autres et les mesures prises aujourd’hui peuvent accroître la probabilité que ces avenirs souhaitables se réalisent… sans toutefois que l’on en soit certains.

L’important n’est pas de se tromper, mais c’est d’en avoir conscience, d’essayer de faire au mieux en sachant que le politique, par ses choix, peut influencer l’avenir énergétique des citoyens, se faire une idée de l’avenir pour le modeler en partie. 

L’énergie joue un rôle fondamental dans le développement des populations sur tous les plans (économique, sanitaire, social, culturel,…). Quels rapports peut-on attendre dans le futur entre politique/gouvernance et les acteurs économiques de l’énergie?

J.P.: L’expérience montre que l’énergie est un bien qui conditionne le fonctionnement de tous les secteurs de l’économie, dans la production, le transport, les usages quotidiens. On ne consomme pas de l’énergie pour elle-même mais à travers un équipement utilisateur, c’est souvent une “consommation intermédiaire”. Le choix de l’équipement influence le choix de l’énergie retenue, la réciproque pouvant être vraie mais en partie seulement. On choisit rarement un équipement en fonction de l’énergie, d’autant que certains équipements imposent le choix de l’énergie. C’est le cas des ordinateurs, des appareils électroménagers, par exemple, qui ne fonctionnent qu’avec de l’électricité. Les usages électriques vont d’ailleurs s’accroître inexorablement.

D’un certain point de vue, l’énergie est un service public -accès à de l’énergie pour des raisons sanitaires et de confort. À l’échelle mondiale, l’approvisionnement en énergie se fait via des “mécanismes de marché”, marchés sur lesquels on trouve des entreprises privées mais également des entreprises publiques. Les enjeux géopolitiques sont importants et l’énergie est un bien à “fort contenu militaire et diplomatique”. Dans chaque pays, le partage entre marché et régulation dépend de choix politiques, mais partout l’État intervient, par la fiscalité, la fixation de certains prix, la réglementation environnementale. L’État doit intervenir pour permettre à ses citoyens d’être approvisionnés (sécurité) et de bénéficier d’un accès à un minimum d’énergie. Toute politique énergétique doit essayer de concilier plusieurs objectifs: la sécurité des approvisionnements, un accès à un coût raisonnable et le respect de l’environnement.

La lutte contre le réchauffement climatique devient un élément de plus en plus important, certes à des degrés variables selon les pays, mais aucun pays ne peut s’en désintéresser totalement. Il y a une prise de conscience internationale que l’environnement est un “bien commun” à l’ensemble de l’Humanité. Les comportements de “passager clandestin”, -je ne fais rien et je compte sur les autres pour agir-, sont encore possibles mais ils le seront de moins en moins du fait de la pression croissante exercée par l’opinion publique internationale. Le Sommet de Paris peut laisser espérer des avancées en ce sens mais ce n’est pas gagné. Il faut voir qu’il existe une corrélation de sens inverse entre les émissions de CO2 des pays et les impacts négatifs qui seront observés en cas de réchauffement excessif. Ce sont les pays du Sud qui seront les plus impactés. De ce point de vue “les pollueurs ne sont pas les payeurs”. La solidarité devient une nécessité dans la lutte contre ce réchauffement car les pays du Nord savent que ceux du Sud se révolteront si les impacts du réchauffement deviennent insupportables. Il existe un enjeu quasi militaire à ce problème…

À quoi ressemblera le paysage énergétique mondial en 2050 ?

J.P.: Très difficile à dire. En revanche, on sait que la part des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) demeurera non négligeable: elles représentent 84% de l’énergie primaire consommée dans le monde aujourd’hui, probablement encore 75% en 2035 selon l’AIE. On voit difficilement comment elles pourraient descendre sous la barre des 50% en 2050).

Mais en 2050 des ruptures technologiques sont possibles : stockage de l’électricité à grande échelle, début de faisabilité de la fusion nucléaire, capture et stockage du carbone à grande échelle. Il y aura des surprises mais sans doute pas celles auxquelles on s’attend…

La lutte contre le réchauffement climatique devient un élément de plus en plus important […] aucun pays ne peut s’en désintéresser totalement. Il y a une prise de conscience internationale que l’environnement est un “bien commun” à l’ensemble de l’Humanité

Le traitement du problème climatique sera-t-il majeur dans ce paysage ?

J.P.: Quel que soit le scénario, le réchauffement climatique sera une préoccupation mondiale prioritaire et l’effort pour économiser le carbone sera peut-être devenu une valeur financière car, économiser le carbone sera une nécessité et les économies de carbone seront peut-être valorisées comme actif financier dans le bilan des banques, des compagnies voire des banques centrales comme c’est un peu le cas aujourd’hui avec les certificats d’économie d’énergie dits certificats blancs. Économiser l’énergie, économiser le carbone seront des activités économiques rémunératrices et il y aura un marché pour cela. 

Des grands noms de l’industrie des hydrocarbures ont signé début juin un appel pour une tarification ambitieuse du carbone ? Peut-on s’attendre à un ralliement plus global à cette initiative ?

J.P.: Les acteurs du nucléaire comme les acteurs du renouvelable sont pour la taxe carbone car le nucléaire comme le solaire, l’éolien ou le photovoltaïque sont des énergies non carbonées. Les gaziers aussi, car le gaz est l’énergie fossile la moins carbonée. Les pétroliers également car le pétrole, c’est moins polluant que le charbon. Seules les sociétés charbonnières ne disent rien pour l’instant mais elles se préoccupent de mettre au point des filières plus performantes comme la récupération du carbone à la sortie des centrales thermiques par exemple.

À noter que certains financiers retirent de leur portefeuille d’actifs les actifs liés au charbon (cf. le Fonds Souverain norvégien). 

En conclusion, quels sont les grands enjeux et les rendez-vous à ne pas manquer pour donner l’accès à l’énergie sur une terre de huit milliards d’habitants ?

J.P.: Les enjeux portent simultanément sur la nécessité d’accroître l’efficacité des équipements tout au long des filières énergétiques, mais aussi de faire davantage appel à des énergies moins ou non carbonées (gaz naturel, renouvelables et nucléaire).

Tous les pays doivent en même temps se préoccuper de rechercher une certaine indépendance énergétique sur le long terme et d’opter pour des énergies qui ne soient pas trop coûteuses pour leurs industriels comme pour leurs citoyens.

La condition, pour que les choix soient rationnels à l’échelle mondiale, passe dès lors par une politique de “vérité des prix de l’énergie”: faire payer le juste coût social donc taxer le carbone d’une façon ou d’une autre. Mais, la marge de manœuvre demeure très variable d’un pays à l’autre car la dotation en ressources énergétiques est très inégale selon les pays.

Le problème, ce n’est pas la pénurie physique d’énergie, le potentiel est énorme surtout si on anticipe du progrès technique pour accéder à de nouvelles ressources, mais l’inégalité dans l’accès à cette énergie au niveau mondial. C’est aussi le souci de limiter les impacts sur l’environnement donc de trouver des techniques pour accroître l’efficacité. Le principal problème à ce niveau est celui du financement car les ressources financières ne sont pas les mêmes pour tous les pays et certains pays auront du mal à accéder à certaines technologies coûteuses (pays pauvres à forte population et à faible dotation naturelle en ressources énergétiques). Mais la solidarité sera nécessaire car le problème est mondial et le repli sur soi ne fera qu’accroître les tensions internationales ce qui n’est pas l’intérêt des pays du nord sur le long terme.

* CREDEN : Centre de Recherche en Économie et Droit de l’Énergie

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Jacques Percebois, homme d’énergies

Jacques Percebois est Professeur Émérite à l’Université de Montpellier. Il est Agrégé des Facultés de Droit et des Sciences Économiques, Docteur d’État ès Sciences Économiques et diplômé de l’Institut d’Études Politiques. Il est Doyen Honoraire de la Faculté d’Économie et a créé et dirige encore le CREDEN (Centre de Recherche en Économie et Droit de l’Énergie). Il enseigne également à l’École des Mines de Paris et à l’IFPEN. Il a été plusieurs fois Professeur Invité à l’Asian Institute of Technology (Bangkok), à l’Université Bocconi (Milan) et à l’Université Laval (Québec).

Il est depuis 2007 membre de la CNE2 (Commission Nationale d’Évaluation des études et recherches sur la gestion des matières radioactives), depuis 2006, administrateur indépendant de GRT Gaz et a été membre des deux Commissions Champsaur (Loi Nome et Arenh). Il a présidé fin 2011-début 2012 la Commission “Énergies 2050” qui a remis son rapport en février 2012 au Ministre de l’Énergie. Il est membre du Conseil Scientifique du Conseil Français de l’Énergie et Président du Conseil Scientifique de la Fondation Tuck.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, de divers rapports et de nombreux articles scientifiques, parus pour beaucoup dans des revues à comité de lecture. On peut citer l’ouvrage écrit en collaboration avec Jean-Pierre Hansen intitulé “Énergie : économie et politiques” (Éditions de Boeck, 2010, réédition actualisée et augmentée parue en mai 2015, 830 pages). Cet ouvrage a reçu le prix AFSE 2011 et le prix AEE 2011.

Il a reçu “the 2006 Award for Outstanding Contributions to the Profession of Energy Economics”, distinction décernée par The International Association for Energy Economics (IAEE).

Il est Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier des Palmes Académiques et titulaire de la Médaille de la Jeunesse et des Sports

La vision chiffrée de l’Agence Internationale de l'Energie:

L’AIE estime qu’à l’horizon de 2040, la consommation énergétique de la planète sera environ 40% supérieure à son niveau actuel. Les pays hors OCDE tireront cette hausse, en raison de l’augmentation du niveau de vie et, plus généralement, de la croissance économique. A contrario, la demande énergétique devrait stagner dans la zone OCDE, où les mesures d’efficacité énergétique contribueront fortement à limiter la consommation.

D’ici à 2040, un autre virage majeur concerne l’évolution de la composition du bouquet énergétique: les énergies bas carbone -renouvelable mais aussi nucléaire – produiront un quart de l’énergie dans le monde, contre 18 % actuellement.

Les énergies renouvelables vont jouer un rôle essentiel, en particulier dans le secteur électrique, où leur taux de croissance est trois fois plus élevé que celui de n’importe quel combustible fossile. Les pays en développement concentreront la hausse de la demande en énergie et toutes les sources d’approvisionnement auront un rôle à jouer, même si les énergies vertes deviendront de plus en plus prééminentes.

Le secteur de l’énergie est responsable de plus des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Il figure par conséquent au cœur de toute action visant à enrayer le réchauffement climatique. L’AIE estime que quatre mesures peuvent être rapidement promulguées, sans affecter la croissance économique:

  • adopter des solutions d’efficacité énergétique adéquates
  • limiter au maximum la construction et l’exploitation des centrales à charbon les moins performantes
  • diminuer drastiquement les émissions de méthane liées aux activités amont de l’exploitation du pétrole et du gaz
  • accélérer la suppression progressive des subventions à la consommation de combustibles fossiles.

Ces différentes mesures permettraient de réduire de manière significative les émissions du secteur énergétique. Comme elles reposent sur des technologies existantes, leur mise en place n’est qu’une question de volonté.

On note plusieurs signes encourageants quant à la question du climat: l’annonce conjointe de la Chine et des États-Unis l’année dernière, les plans de l’Union européenne pour limiter les émissions, ou encore les objectifs de l’Inde pour accélérer le déploiement des technologies bas carbone telles que les renouvelables.

Ces messages sont d’autant plus intéressants qu’ils émanent de pays faisant partie des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Certains efforts commencent à porter leurs fruits: ainsi, en 2014, pour la première fois depuis quarante ans, les émissions de CO2 du secteur énergétique sont restées stables sans que l’on soit en situation de crise économique.

Yves Cappelaire