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Comme la créatrice du hand spinner, ils n'ont rien gagné avec leur invention

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Leurs inventions se sont vendues à des millions d'exemplaires mais ils n'ont quasiment rien touché. Retour sur l'histoire de sept de ces inventeurs malheureux.

Le hand spinner lui a plus coûté que rapporté 

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Catherine Hettinger vient de déménager parce que son loyer est trop cher, n'a plus de ligne téléphonique et sa voiture fonctionne par intermittence. Pourtant cette Américaine de 62 ans qui vit en Floride a inventé dans les années 1990 le produit qui fait fureur depuis plusieurs semaines dans le monde: le hand spinner. Cette sorte de petite roulette s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires et les différentes marques qui la commercialise se frottent les mains. Mais la Floridienne n'a pas touché le moindre dollar sur son invention. Son idée originelle ne ressemblait pas tout à fait au produit qui cartonne actuellement dans les cours de récré. Il s'agissait d'une sorte de petit frisbie en plastique avec un trou au centre pour placer le doigt. Mais elle avait pour cela déposé un brevet en 1992, celui sur lequel s'appuient les fabricants de hand spinner aujourd'hui.

Pourquoi n'a-t-elle alors rien touché? Parce qu'Hasbro, un temps intéressé par le projet, n'a finalement pas donné suite et lorsqu'il a fallu renouveler le brevet en 2005, elle n'avait pas les moyens de payer les 400 dollars exigés. Mais elle n'éprouve pour autant aucune amertume. "Je suis juste contente que quelque chose que j'ai conçu plaise à beaucoup de monde, explique-t-elle philosophe au Guardian. Vous savez seulement 3% des inventions permettent de gagner de l'argent. J'ai vu au contraire plein de gens hypothéquer leur maison et perdre beaucoup d'argent avec leurs inventions." 

L'Américaine essaie néanmoins de voir avec des juristes si elle peut récupérer quelques revenus sur la vente des hand spinners. Elle vient d'ouvrir un Kickstarter pour financer une société de jouets qu'elle compte créer. 

L'inventeur de l'hoverboard dépassé par les contrefaçons chinoises

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On peut être le détenteur d'un brevet en bonne et due forme et être lésé malgré tout. C'est ce qu'a découvert Shane Chen, l'Américain inventeur de l'hoverboard, cet appareil électrique à deux roues qui permet aux piétons de se déplacer rapidement en ville. Ce fan de Retour Vers le Futur qui rêvait d'inventer le skateboard volant du film a mis au point ce drôle de véhicule au début des années 2010 et l'a commercialisé à partir de 2011 sous la marque Hovertrax. Proposée à 1000 dollars pièce, son invention s'est vendue seulement à quelques centaines d'exemplaires.

Mais il n'aura pas l'occasion de baisser le prix de son véhicule pour le rendre plus accessible. Les mois qui suivent les imitations bon marché fabriquées dans les usines chinoises inondent le marché. Fin 2015, au plus fort de l'engouement pour l'hoverboard, plus de 11.000 usines chinoises en produisent. "Je suis allé en Chine en voir quelques uns, ils m'ont remercié d'avoir eu cette idée, expliquait-il il y a quelques mois au Guardian. Ils savent qu'ils ont violé mon brevet mais il savent aussi que je ne peux rien y faire." Son erreur: avoir trop attendu avant d'essayer de faire valoir ses droits. "Une fois que le produit inonde les supermarchés et qu'il devient très populaire, vous ne pouvez plus rien faire", assure l'inventeur qui continue d'innover avec sa société basée à Washington et qui a lancé un nouveau véhicule mono-roue en début d'année.

Collectivisation et sombres histoires derrière l'invention de Tetris

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S'il avait été Américain ou Japonais, Alexey Pajitnov serait peut-être aujourd'hui à la tête d'une immense fortune. Le jeu vidéo Tetris, son invention, s'est en effet vendu à plus de 170 millions d'exemplaires sur les différentes plate-formes (consoles, ordinateurs) depuis sa création en 1984. Et c'est sans compter les 425 millions de téléchargements payants sur smartphone. Si le Russe à l'origine du phénomène mondial n'est pas aujourd'hui dans le besoin (il vit aux Etats-Unis et roule en Tesla), il n'a fait prendre que le train en marche à la fin des années 90 quand il a eu le droit de créer une société privée (The Tetris Company). 

Car lorsqu'il crée ce jeu démoniaque et addictif en 1984, Alexey Pajitnov est informaticien à l'Académie des sciences soviétique. Il a l'idée en s'inspirant d'un jeu de société populaire en URSS d'un logiciel où il faudrait emboîter des formes géométriques entre elles. Un titre qu'il nomme Tetris, un mélange de "tétra" (quatre en grec) et de "tennis" (un sport qu'il adore). Distribuées sous le manteau en Union soviétique, les disquettes du jeu font un carton auprès de ceux qui possèdent un ordinateur. Il est contacté par un entrepreneur britannique qui veut lui acheter les droits pour 15.000 livres. Problème: en pleine guerre froide, personne ne peut en URSS signer un contrat avec une entreprise occidentale. C'est donc l'Etat soviétique qui exploitera les droits pour une durée de 10 ans. Lui-même ne touchera pas grand chose. L'agent anglais Robert Stein négocie en douce des contrats d'exploitation -notamment aux Etats-Unis- à son seul profit...

Finalement après des années de bataille juridique, Alexey Pajitnov devra attendre la chute du mur de Berlin et la fin de l'Union soviétique pour récupérer les droits de Tetris. Il crée The Tetris Company en 1996 aux Etats-Unis qui gère les droits du jeu. Mais le gros des ventes de Tétris réalisé par Nintendo au début des années 1990 avec sa console Gameboy est déjà passé.

Son Post-it a fait la fortune de sa société 3M

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Une invention à plusieurs étages. Dans les années 60, Spencer Silver, un employé de la société de papeterie 3M invente un concept "innovant" de colle qui ne colle pas. Une innovation totalement inutile qui fait rire ses collègues. Inutile jusqu'à que l'un d'entre eux, Arthur Fry, déçu de ne pas trouver des marque-pages qui tiennent vraiment dans les livres se souvient de l'invention de son collègue. Pourquoi ne pas imaginer un marque-page collant qu'on pourrait détacher et recoller facilement? Ainsi est née l'idée du Post-it. Il faudra encore quelques années pour affiner le procédé industriel. Et c'est en 1977 que 3M fait des tests de commercialisation à Tulsa, Denver, Richmond (Virginie) et Tampa sous le nom "Press 'n Peel" et en deux tailles, tests qui seront décevants. Un nouveau directeur marketing le relance un an plus tard sous le nom de "Post-it notes" et le produit fait alors un carton. En 1980, le produit est vendu sur l'ensemble du territoire et arrive en Europe en 1981. L'inventeur Arthur Fry restera employé de 3M et ne touchera jamais de royalties. 

35 dollars pour avoir dessiné le logo le plus connu du monde

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Au début des années 1970, Phil Knight le patron de Blue Ribbon Sport, une petite société qui importe des articles de sport cherche un nom percutant pour sa marque et pense à Dimension 6. Mais Jeff Johnson, le tout premier employé de la société le convainc de trouver un nom plus sportif et lui propose Niké, la déesse grecque de la victoire. Ainsi naît Nike (à prononcer "naï-ki" comme le nom de la déesse en anglais). Manque plus qu'un logo. Phil Knight qui donne des cours de comptabilité à l'Université de Portland pour arrondir ses fins de mois repère Carolyn Davidson une jeune étudiante en graphisme. Très influencé par le logo d'Adidas, le fondateur Phil Knight veut un logo qui se caractérise par une ligne et symbolise le mouvement. Davidson commence à dessiner quelques esquisses sur papier de soie et les positionne sur une chaussure pour visualiser chaque angle de vue. En juin 1971, la graphiste présente différentes propositions de logo. Knight prend sa décision finale en choisissant la virgule (symbole s'inspirant des ailes de Niké). Pour ce travail, Davidson touche 35 dollars (205 dollars actuels) pour de l'aveu même de l'intéressée 17 heures de travail. Malgré le succès mondial de la marque, Carolyn Davidson n'éprouvera cependant aucune frustration. Néanmoins, quelques années plus tard, Phil Knight finira par lui céder des actions de la compagnie pour une valeur actuelle de 640.000 dollars. 

L'inventeur japonais du karaoké n'a jamais déposé le brevet

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En 1999 Daisuke Inoue a été distingué par Time Magazine comme un des Asiatiques les plus influents du XXème siècle, classement auquel figurait notamment Gandhi ou Mao Zedong. Si le nom du Japonais Inoue est inconnu du grand public son invention elle est universelle. Il est l'homme qui a inventé le karaoké. Au début des années 70 en effet, alors qu'il joue de la musique d'ambiance dans un club de Nishinomiya (entre Kobé et Osaka), un client lui demande de venir jouer à l'occasion d'un voyage d'affaires. Ne pouvant s'y rendre, Daisuke Inoue lui fournit alors l'enregistrement sur une cassette d'un de leur morceaux instrumental. Pourquoi ne pas faire chanter les clients sur ces morceaux?

Pensant que l'idée peut être rentable, il commence en 1971 à louer des machines dans les bars de Kobé équipées d'enregistrements et d'amplificateurs qu'ils fabriquent avec quelques amis. Elles deviennent populaires et une nouvelle mode est née. L'invention arrive jusqu'aux Philippines où un certain Roberto del Rosario lance lui aussi ses propres machines. Sauf que lui dépose une vingtaine de brevets entre 1983 et 1986 et touchent de copieux royalties. Le Japonais essaie de faire valoir ses droits mais peine perdue, c'est Del Rosario qui gagne le procès de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle contre Inoue sur les droits du karaoké. Mais ce dernier n'en nourrit aucune amertume pour autant. Je ne suis pas un inventeur. "Je n’ai fait qu’assembler des choses qui existaient déjà, c’est complètement différent, assure-t-il en 2006 à The Independant. J’ai utilisé un lecteur de cassettes de voiture, un monnayeur et un petit amplificateur pour réaliser ce karaoké. Comment voulez-vous avoir ne serait-ce que l’idée de breveter une chose pareille ?"

Le stylo bille de Biró qui a fait couler de l'encre

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Un stylo Bic? Si c'est la société française créée en 1945 par le baron Bich qui fera fortune avec la bille c'est un journaliste hongrois qui est à l'origine de cette invention. En 1938, László Biró remarque, lors d'une visite à l'imprimerie de son journal, que l'encre utilisée pour l'impression des journaux sèche rapidement, laissant le papier sec et sans taches. Il tente d'utiliser la même encre dans son stylo-plume mais s'aperçoit que la viscosité de l'encre l'empêche de couler jusqu'à la plume. En travaillant avec son frère Georg, chimiste, il conçoit un nouveau dispositif formé d'une bille roulant librement dans un support qui, en roulant permet de prendre l'encre de la cartouche pour l'appliquer sur le papier. Il dépose son brevet à Paris en 1938, après avoir fui les lois anti-juives en Hongrie.

En 1940, Laszlo Biró émigre en Argentine avec son ami et associé Hansi Meyne ; son frère Georg les rejoint en 1943. Le 10 juin, ils déposent un autre brevet et créent une société. Ses stylos sont adoptés par les aviateurs argentins puis britanniques et américains, qui découvrent que le stylo à bille fonctionne mieux à haute altitude que le stylo-plume.

Mais le grand public ne l'adopte pas pour deux raisons: les stylos de Biró sont coûteux et surtout leur qualité n'est pas parfaite et ils ont tendance à couler. Au milieu des années 40, l'invention semble donc condamnée. Mais en 1949, Marcel Bich, un entrepreneur français qui s'est lancé dans la commercialisation de l'encre croit pouvoir faire mieux que Biró. Il lui rachète le brevet et met au point un procédé de fabrication d'une bille parfaite grâce notamment à des meules utilisées dans l'horlogerie suisse. Ainsi née la pointe Bic qui s'enchâssera dans le tout premier stylo lancé en 1953: le Bic Cristal. La société en vendra des dizaines de milliards dans le monde! Mais Biró qui ne touchera pas un kopeck restera à jamais reconnu comme l'inventeur du stylo à bille et le terme "birome" même est utilisé dans de nombreux pays pour désigner ledit stylo.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco