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Comment Amazon a tué Toys"R"Us et menace tous les magasins de jouets

Mise sous le régime des faillites, l'enseigne Toys'R'Us pâtit des nouveaux modes de consommation dans le marché du jouet.

Mise sous le régime des faillites, l'enseigne Toys'R'Us pâtit des nouveaux modes de consommation dans le marché du jouet. - Wikipedia

Placé en faillite aux États-Unis, le numéro 1 mondial du jouet a fait l'erreur de pactiser avec Amazon dans les années 2000 plutôt que de développer son propre site de vente. Et aujourd'hui, la puissance du champion du e-commerce inquiète tout le secteur.

Les magasins de jouets vont-ils disparaître? Si la question peut sembler provocante, on est en droit de se la poser au regard de l'actualité récente. Ainsi, plombé par une dette de 400 millions de dollars et accusant des ventes en baisse depuis plusieurs années, le leader mondial du jouet Toys"R"Us vient d'être placé sous le régime américain de protection des faillites. À quelques semaines de la période cruciale de Noël, cette procédure permettra à l'enseigne américaine de maintenir la tête hors de l'eau.

Une mesure de sauvegarde nécessaire dans un contexte où les fournisseurs, effrayés par la situation financière du groupe, refusent de le livrer s'il ne les paie pas immédiatement. "Les fabricants de jouets exigent d'être payés 'au cul du camion' comme on dit dans le jargon, explique Christian Taillard, consultant spécialisé dans le jouet. Sans cela ils ne livrent pas. Et à quelques semaines de Thanksgiving et de Noël, ça signerait la fin de Toys"R"Us."

100.000 jouets sur Amazon, 8.000 dans un magasin

Mais comment le champion mondial du jouet qui compte 1.600 magasins dans le monde et 64.000 salariés est-il tombé si bas? La réponse tient en un mot: Amazon. Le géant mondial du e-commerce est en train de faire une razzia sur le jouet aux États-Unis et dans le monde en général. Sur Amazon, les ventes de jouets ont bondi de 24% en 2016, selon le Wall Street Journal. Et aux États-Unis, le site écrase la concurrence avec des ventes désormais plus de deux fois supérieures à celles de Toys"R"Us. 

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Prix attractifs, choix immense (plus de 100.000 références contre 8.000 pour un magasin de jouets en moyenne), livraison ultra-rapide. Voilà la recette qui explique la percée foudroyante d'Amazon. Mais si le groupe de Jeff Bezos en est là aujourd'hui, c'est un peu à cause de... Toys"R"Us. Pour comprendre pourquoi, il faut remonter un peu en arrière. Noël 1999: Amazon n'est alors qu'un petit libraire en ligne qui cherche à se lancer dans le jouet. Mais rapidement à court de stock, le e-commerçant va acheter ses Pokemon et chiens Mattel sur le site de Toys"R"Us, pour revendre derrière aux clients qui ont passé commande. Amazon ne gagne pas d'argent, mais ses ventes explosent de 95% et le site engrange 3 millions de nouveaux clients. A contrario, Toys"R"Us ne peut honorer toutes ses commandes et se voit même infliger une amende de 350.000 dollars. 

Premier coup dur pour Toys"R"Us, dont l'image commence à flétrir aux États-Unis et qui, pour continuer à croître, reçoit un investissement de 60 millions de dollars du japonais SoftBank. C'est à ce moment-là que l'enseigne fait une erreur stratégique. Au lieu de mettre le paquet sur le web, Toys"R"Us signe un contrat de 10 ans avec Amazon pour devenir son fournisseur officiel de jouets. En contrepartie, le groupe de Jeff Bezos exige que l'enseigne abandonne son site internet et lui paie 50 millions de dollars par an, plus un pourcentage sur ses ventes. "Ça a été une grosse erreur car Amazon en a profité pour acquérir une connaissance du secteur et des clients", explique le responsable d'une enseigne de jouets en France. Autrement dit, Toys"R"Us a fourni à son rival les armes que celui-ci allait utiliser pour le terrasser.

"Personne n'égale Amazon"

D'autant que dans le même temps, Amazon ne va pas se gêner pour faire entrer de nouveaux marchands de jouets sur sa marketplace pour offrir une plus grande variété de produits. Excédé, Toys"R"Us dénonce en 2004 en justice le contrat qui le lie à Amazon. L'affaire se conclut en 2006 par une transaction selon laquelle Amazon verse 51 millions de dollars à Toys"R"Us. L'enseigne de jouets peut reprendre son indépendance et lancer son propre site de vente. Mais c'est déjà trop tard. Toys"R"Us ne rattrapera pas son retard.

Car entre-temps, les habitudes de consommation ont déjà commencé à changer. "Les consommateurs ont commencé à se rendre compte que c'était plus pratique de commander en ligne, surtout dans les périodes de Noël, fait remarquer Christian Taillard. Toutes les enseignes ont commencé à bricoler des sites de vente mais personne n'égale Amazon, notamment dans la livraison sur le dernier kilomètre". Les chiffres parlent d'eux-mêmes: entre 2012 et 2017, la part du e-commerce est passée en France de 10 à 25% dans les ventes de jouets. Et aux États-Unis, elle dépasse déjà les 30%. Un véritable raz-de-marée.

À qui le tour après Toys"R"Us?

"Les sites de e-commerce ont fortement accentué la pression concurrentielle, analyse Franck Mathais, le porte-parole de JouéClub. Les enseignes spécialisées étaient déjà en concurrence avec les hypermarchés mais l'arrivée d'Amazon a ouvert un autre champ de concurrence". Leader du marché français jusqu'au début des années 2010 avec 13% des ventes, Toys "R" Us a depuis perdu 3 points et est dépassé par Leclerc. "Le problème de Toys"R"Us c'est leur positionnement discount basé sur le choix et le prix, analyse Christian Taillard. Or c'est justement le positionnement d'Amazon et des hypermarchés. Et comme Toys n'a pas beaucoup de magasins, ils subissent de plein fouet la montée du e-commerce".

Les autres enseignes risquent-elles de subir le même sort? Le jouet est après tout un produit standardisé. La Barbie vendue par Toys"R"Us, Amazon ou La Grande Récré est exactement la même. Si la situation des petits spécialistes du jouet est moins problématique, ils ne sont tout de même pas au mieux. King Jouet a dû ouvrir son capital il y a quelques années à l'italien Giochi Preziosi et La Grande Récré tente de se redresser après un recul en 2014 et des pertes de 8,5 millions d'euros. Pourtant du côté de JouéClub, 5ème acteur en France, on se veut confiant. "Les petites enseignes comme la nôtre ont beaucoup plus de points de vente et sont plus proches des clients, assure Franck Mathais. Nous mettons l'accent sur le conseil en magasin et sur le click and collect. Il faut qu'on continue à travailler sur la théâtralisation et la mise en scène pour redonner une dimension émotionnelle à nos magasins". Un pari compliqué pour des enseignes qui ne peuvent pas se permettre de perdre de l'argent sur le jouet, à la différence d'Amazon pour qui cela reste avant tout un produit d'appel.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco