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Comment Arianespace, Thales et Boeing s'adaptent au nouveau marché des satellites

Un satellite d'Intelsat

Un satellite d'Intelsat - Intelsat

Alors que SpaceX creuse l'écart avec Arianespace en nombre de lancements, le leader européen doit s'adapter à la nouvelle donne du marché des satellites. Comme les autres acteurs historiques.

De nouveaux acteurs qui bouleversent la donne, des technologies en pleine évolution : tels sont les thèmes qui seront au coeur des discussions lors de la 23e édition du World Satellite Business Week organisé à Paris du 10 au 14 septembre et qui réunit environ un millier de décideurs issus d’entreprises du secteur.

L’industrie spatiale vit en effet depuis quelques années une véritable révolution avec l’arrivée en force de start-up comme OneWeb, HawkEye 360 ou SpaceX (fondé par Elon Musk) qui développent et produisent des lanceurs réutilisables et/ou des constellations de centaines de mini-satellites (ou nanosatellites) à orbite basse dédiés essentiellement à la connectivité internet dans les zones de la planète qui en sont dépourvues.

Il s’agit d’une rupture technologique et économique car ces satellites sont moins lourds (quelques centaines de kilos contre plusieurs tonnes) et moins coûteux à produire. Les industriels misaient jusqu’alors sur des satellites géostationnaires produits en exemplaire unique, souvent dédiés à la diffusion de la télévision. Mais les besoins ont changé. 

De quoi complètement rebattre les cartes d’un marché tant du côté des fabricants de satellites que de celui des lanceurs. "Il y a clairement l'émergence d'une alternative aux acteurs traditionnels", commente Renaud Kayanakis, senior manager télécoms innovation média auprès du cabinet SIA Partners. "Mais je ne pense pas que ces acteurs vont se multiplier, ce marché est ultra-capitalistique et exige des moyens colossaux. Par ailleurs, on a peu de visibilité sur ces évolutions technologiques. On est sur un marché de renouvellement mais pour le moment, on estime que les deux technologies vont cohabiter".

Les acteurs traditionnels (Thales, Eutelsat, SES, Intelsat) s’interrogent en tout cas sur la meilleure manière de contre-attaquer. Car cette mutation profonde pèse sur les résultats et les perspectives de ces groupes. Côté fabricants de satellites, Thales Alenia Space table ainsi sur un recul de 10% de son chiffre d’affaires pour les deux prochaines années après avoir vendu seulement 9 satellites l’an passé, contre 24 en 2015. Du côté des lanceurs, SpaceX est désormais solidement installé à la première place mondiale. Le groupe américain a dépassé Arianespace en nombre de lancements en 2017 et a encore creusé l’écart en 2018 (21 lancements contre 11).

Arianespace tente de contrer SpaceX

L’acteur européen ne reste néanmoins pas inactif. La future Ariane 6 est ainsi conçue pour embarquer des mini-satellites. Son premier vol est programmé pour l’an prochain, l’objectif est bien de venir concurrencer SpaceX sur son terrain.

Par ailleurs, ArianeWorks (une plateforme d’innovation lancée en février dernier par ArianeGroup et le Centre national d'études spatiales) a profité du World Satellite Business Week pour annoncer une initiative visant à mieux profiter de cette nouvelle donne. Un accord avec Newspace Factory (rassemblement de dix PME spatiales du pôle de compétitivité toulousain Aerospace Valley) a été conclu afin d’élaborer un plan de travail commun visant à faire émerger des solutions d’accès à l’espace pour les nanosatellites.

Suffisant pour rattraper la firme d'Elon Musk? Pas si sûr. Dans un rapport publié en février dernier, la Cour des comptes s'inquiétait du retard de l'opérateur européen. "Les Européens ont fait le choix prudent du recours à des technologies maîtrisées par rapport à celui de la rupture technologique du réutilisable, à laquelle les acteurs européens ne croyaient pas en 2014", peut-on y lire. "Même si l’ambitieux calendrier de développement d’Ariane 6 est respecté, il y a un risque important que le lanceur ne soit pas durablement compétitif face à SpaceX, qui continue de progresser", note le rapport.

Miser davantage sur la flexibilité

Boeing a également profité du World Satellite Business Week pour dévoiler une nouvelle famille de satellites géostationnaires avec une plateforme qu'il annonce plus puissante et plus flexible capable de réattribuer la bande passante en fonction des besoins. L'américain essaye ici d'adapter son modèle technologique à la nouvelle donne.

Thales Alenia Space a de son côté dévoilé Space Inspire (Instant Space In-orbit Reconfiguration). Ce satellite de deux tonnes permettra "l'ajustement à la demande instantané en orbite, la transition entre la diffusion de vidéo et les services de connectivité large bande", selon un communiqué.

En résumé, les acteurs traditionnels ne vont pas faire table rase pour s'aligner sur ces nouveaux acteurs mais vont très certainement jouer la carte de la flexibilité. "Il est logique de trouver des éléments de différenciation dans un marché linéaire. Soit on s'adapte, soit on reste sur nos acquis. Quand un marché est secoué par un ou plusieurs nouveaux entrants qui mettent au point des alternatives qui fonctionnent, les acteurs historiques ont tout intérêt à regarder ce qui se passe. Avoir un peu moins d'œillère et un peu plus de souplesse", poursuit Renaud Kayanakis.

Un gâteau qui grossit

Tous ces acteurs entendent s’offrir une part d’un gâteau qui grossit de plus en plus. Les dépenses des Etats en la matière sont ainsi prévues en forte hausse avec 85 milliards de dollars en 2025 contre 71 milliards aujourd’hui, selon Euroconsult qui organise le salon World Satellite Business Week.

Sur ce terrain, cette progression devrait avant tout profiter aux acteurs comme SpaceX dont la commande est à 75% institutionnelle (contre 25% pour Arianespace). Ce dernier pourra néanmoins s’appuyer sur une garantie de commandes institutionnelles décidée lors d’un conseil de l’agence européenne de l’espace (ESA). Outre trois commandes institutionnelles d'Ariane 6 déjà contractualisées, l’agence apportera sa garantie financière pour quatre autres lancements. 

Plus globalement, aux commandes publiques dans le monde, il faut ajouter la demande de groupes privés. Les fabricants de satellites seront aux premières loges pour bénéficier de cette manne. Ainsi, selon Euroconsult (qui organise l’événement World Satellite Business Week), le chiffre d’affaires des constructeurs de satellites devrait atteindre plus de 17 milliards d’euros en 2024 contre 10,7 milliards en 2017. Dans le même temps, le segment des mini-satellites devrait quadrupler dans la décennie.

Olivier CHICHEPORTICHE