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Comment Charlie Hebdo a utilisé sa cagnotte

Un numéro spécial est diffusé pour le 2ème anniversaire des attentats

Un numéro spécial est diffusé pour le 2ème anniversaire des attentats - AFP Eric Feferberg

"L'hebdomadaire a engrangé 83 millions d'euros de chiffre d'affaires en deux ans. Cet argent a été utilisé pour financer les dépenses courantes, ou mis en réserve, mais aucun dividende n'a été distribué."

Les attentats du 7 janvier 2015 ont suscité un immense mouvement de compassion pour Charlie Hebdo, qui a vu son tirage exploser: les ventes en kiosque se chiffrèrent en millions, et le nombre d'abonnés est même grimpé à 260.000 en février 2015.

Tout ceci a décuplé le chiffre d'affaires de l'hebdomadaire satirique, qui a atteint 63,6 millions d'euros en 2015.

Les dirigeants du journal ont été peu loquaces sur l'utilisation de ces recettes. On sait qu'une version allemande a été lancée fin 2016, pour être arrêtée un an plus tard. En outre, l'avocat du journal Christophe Thévenet a indiqué dans le livre Charlie Hebdo, le jour d'après (Fayard) que la sécurisation des nouveaux locaux avait coûté 3 millions d'euros, et les avocats et les psychothérapeutes 1 million d'euros..

Baisse des abonnements

Les comptes de Charlie (cf. document ci-dessous) permettent d'y voir un peu plus clair. On y voit par exemple que 10,5 millions d'euros ont été dépensés au total en 2016: la trésorerie a diminué de 6,6 millions, tandis que des dettes financières ont été contractées pour 3,9 millions. On y voit aussi que les salaires et traitements ont absorbé 2,5 millions d'euros en 2015, soit deux fois plus qu'en 2013.

Surtout, les comptes indiquent que le bénéfice d'exploitation dégagé en 2015 s'élève à 24,8 millions d'euros. Sur cette somme, 7 millions d'euros ont servi à payer les impôts, et 4,3 millions d'euros ont été provisionnés en vue d'investissements (provision déductible des impôts). Le bénéfice net restant a donc été de 14,5 millions d'euros.

Puis, en 2016, la plupart des abonnements souscrits après les attentats n'ont pas été renouvelés -ils sont tombés à 50.000 à l'automne 2016. Logiquement, le chiffre d'affaires a reculé, à 19,4 millions d'euros, ce qui reste quand même trois fois plus qu'avant les attentats. Cela a permis de dégager un bénéfice net de 2,4 millions d'euros.

Désaccord sur la répartition des bénéfices

Les comptes permettent enfin de voir ce que Charlie a fait de ces 17 millions de profits nets dégagés en 2015 et 2016. D'abord, aucun euro n'a été distribué en dividendes. Une petite partie (1,15 million d'euros) a servi à éponger les pertes des exercices précédents. L'essentiel (15 millions d'euros) a été mis de côté: il a été affecté à une "réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l'entreprise".

Charlie applique ainsi le statut d'entreprise solidaire de presse. Ce statut fixe des règles sur la répartition du bénéfice de dernier exercice (mais pas des exercices précédents): au maximum 30% du bénéfice peut être distribué en dividendes, et au minimum 20% doit être affecté à cette réserve obligatoire.

À noter que cette répartition des profits a fait l'objet d'un désaccord entre les deux actionnaires du journal: Riss (qui détient 67% du capital) a voté pour tandis que le directeur général Eric Portheault (33%) a voté contre. Ce duo a racheté les 40% anciennement détenus par Charb.

Les dissidents s'en vont

D'autres investissements avaient été annoncés par le passé, mais sans suite. La direction a évoqué une fondation pour défendre "le dessin de presse", ou bien pour "enseigner la liberté d'expression à l'école".

Rappelons que la direction avait promis d'ouvrir le capital aux salariés, mais cela n'a toujours pas été fait. En mars 2015, onze salariés avaient réclamé -en vain- que le capital soit ouvert à tous les employés. La plupart de ces dissidents (Luz, Patrick Pelloux, Zineb El Rhazoui) ont depuis quitté le journal.

Mise à jour: contacté, Eric Portheault n'a pas répondu.

L'actionnariat de Charlie Hebdo

En 1993: Cabu (30%), Philippe Val (30%), Gébé (20%), Renaud (10%), Bernard Maris (10%)

Entre 2004 et 2008: Cabu (40%), Philippe Val (40%), Bernard Maris (13,3%) et Eric Portheault (6,6%)

En 2008: Cabu (35%), Philippe Val (35%), Bernard Maris (13,3%), Eric Portheault (6,6%), Charb (5%), Riss (5%)

Entre 2011 et 2015: Charb (39%), Riss (39%), Eric Portheault (19%), Cabu (une action) et Bernard Maris (une action)

Depuis 2015: Riss (67%) et Eric Portheault (33%)

Les résultats de Charlie Hebdo (en millions d'euros)

Chiffre d'affaires
2004: 6,2
2005: 6,4
2006: 8,3
2007: 8,7
2008: 7,9
2009: 5,1
2010: 5,2
2011: 5,9
2012: 5,8
2013: 5,2
2014: nc
2015: 63,6
2016: 19,4

Résultat net
2004: +0,48
2005: +0,58
2006: +0,97
2007: +0,98
2008: +0,19
2009: -1,38
2010: -0,51
2011: +0,65
2012: +0,09
2013: -0,05
2014: nc
2015: +14,5
2016: +2,4

Trésorerie
2012: 0,1
2013: 0,05
2014: nc
2015: 26,2
2016: 19,6

Source: comptes sociaux

Jamal Henni