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Comment le patron de Casino, Jean-Charles Naouri, a sauvé son empire

Le patron et propriétaire de Casino, Jean-Charles Naouri, sort de sa procédure de sauvegarde en conservant le contrôle de son empire. Il fait peser l’effort financier sur ses créanciers et sur le distributeur proprement dit, en faisant de nouveau appel à son allié, le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.

Jean-Charles Naouri vient de réaliser un coup de poker inespéré. Lundi, le propriétaire et patron de Casino a annoncé la sortie de sa procédure de sauvegarde qu’il avait déclenché en mai 2019 pour éviter la cessation de paiement de sa société Rallye (et de la cascade des entreprises contrôlant cette dernière: Foncière Euris, Finatis et Euris). Rallye, la maison-mère de Casino, n’a pas les moyens de rembourser ses 2,9 milliards d’euros de dettes. Alors pour éviter de céder les rênes de son empire, le patron de Casino s’est placé sous protection de la justice.

Neuf mois plus tard, faute de solution viable, il a obtenu un délai de trois ans jusqu’en 2023. Un peu d’air pour tenter l’impossible: éviter la ruine. La procédure de sauvegarde lui a permis de tordre le bras de ses créanciers. Les banques françaises de Rallye seront remboursées dans quatre ans, les autres prêteurs dans dix ans… Et le propriétaire de Casino conserve la main sur son empire, le tout sans dépenser 1 euro. "Dans une procédure de sauvegarde, l’actionnaire fait toujours un effort en réinjectant des fonds ou en baissant sa participation, explique Loïc Dessaint, le patron de Proxinvest, une société de conseil aux investisseurs. Jean-Charles Naouri n’en fait aucun. En réalité, Casino finance le sauvetage de son propriétaire".

Soutien des banques françaises

À cause de la procédure judiciaire, les banques françaises ont dû passer l'éponge sur plusieurs dizaines de millions d’euros d'intérêts qu'auraient dû leur rapporter les prêts accordés à Rallye. Pour faire passer la pilule, le dirigeant a fait en sorte qu’elles se "rattrapent" grâce à Casino. Le distributeur a contracté auprès d'elles de nouveaux prêts, généreusement rémunérés à 5,8%. Elles ont aussi récupéré 55 millions d’euros de commissions sur des cessions de murs d’hypermarchés. "Cette situation ne convient à personne, sauf à Jean-Charles Naouri qui gagne du temps, déplore un dirigeant du Crédit Agricole. La BNP l'a énormément soutenu".

Le patron de Casino qui reste l’un des patrons les plus influents du capitalisme français a su jouer de son entregent pour se sauver. Énarque et inspecteur des Finances passé par le Trésor, banquier chez Rothschild, il tisse depuis trente ans des liens précieux dans l’establishment. Le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel sont les banques historiques de Casino. Jean-Charles Naouri a aussi été longtemps administrateur de Natixis dont le patron de l’époque, Laurent Mignon, dirige aujourd'hui le groupe Caisses d’Epargne-Banques Populaires. Certaines étaient pourtant tentées d’écarter le patron de Casino ou de limiter ses pouvoirs. Mais il a réussi à décrocher le soutien de la plus puissante d’entre elles: BNP Paribas.

Carrefour en embuscade

Ami de longue date de Michel Pébereau qui a présidé BNP Paribas pendant vingt ans, Jean-Charles Naouri a obtenu la protection de l’actuel patron de la banque, Jean-Laurent Bonnafé, qui est aussi administrateur de… Carrefour! Ce soutien est de nature à gêner l’état-major de Carrefour qui rêve de profiter des difficultés de Casino pour s'en emparer. Il y a six mois, une offensive auprès des banques françaises a bien été tentée pour tester leur capacité à lâcher Jean-Charles Naouri. Son patron, Alexandre Bompard, était prêt à offrir plus de 5 milliards d’euros. Mais loin des 7,5 milliards nécessaires pour apurer toutes les dettes de l’empire Casino. "Il n’y avait pas de solution qui rembourse tous les créanciers, tranche un proche du PDG. Et les banques ne voulaient surtout pas prendre le contrôle de Casino".

Dès lors, le patron de Casino a obtenu un nouveau sursis. "Notre plan nous permet un refinancement jusqu’en 2023 pour mener à bien le programme de cessions d’actifs de 2 milliards d’euros", reconnaît le directeur financier David Lubek. Déjà en septembre 2018, les banques avaient volé au secours de Jean-Charles Naouri en soutenant le cours de Bourse de Rallye pour résister à la pression des fonds spéculatifs.

Cette fois, il a évité de subir le même sort qu’un autre ponte du capitalisme français: Jacques de Chateauvieux. Le propriétaire de Bourbon, spécialiste des navires pétroliers, vient de perdre le contrôle de son empire dont les banques françaises se sont emparées. "Ce sont deux dossiers similaires aux issues totalement opposées", s’étonne un grand banquier. Deux cas pourtant gérés par le même administrateur judiciaire, Frédéric Abitbol. "Il n’y avait aucune solution viable pour Casino et un tribunal ne peut rien imposer en procédure de sauvegarde, note un administrateur judiciaire reconnu. C’est un plan d’attente".

Un dernier sursis de trois ans

Mais ce nouveau répit est bien le dernier. Le patron âgé de 70 ans est au pied du mur et doit remettre son groupe en ordre de marche d’ici à 2023. "Jean-Charles Naouri devra emprunter à nouveau pour rembourser ses banques, explique un de ses proches. Il mise sur une remontée du cours de Bourse de Casino pour revaloriser son patrimoine". Un double pari audacieux. Le distributeur a déjà vendu pour 2 milliards d’euros de murs d’hypermarché, sans grand effet sur le cours. Et a annoncé des cessions supplémentaires pour plus de 2 milliards d’euros d’hypermarchés et son enseigne Leader Price.

Même résultat: cela ne suffit pas pour les marchés qui attendent un désendettement de sa société Rallye. Et le seul moyen pour y parvenir est de piocher chez Casino. "La position de Jean-Charles Naouri, à la fois propriétaire et dirigeant, l’oblige à dégager du cash de Casino pour assainir sa société Rallye", explique Benoit de Broissia, gérant de la société Keren Finance, créancier du groupe de distribution par le biais de son activité de gestion obligataire.

Les ventes déjà prévues risquent de ne pas suffire, c’est un pan entier du groupe qui pourrait être vendu d’ici deux ans: l’Amérique latine. Un bijou que Jean-Charles Naouri a acquis de haute lutte après une bataille contre Carrefour en 2011. Une cession rapporterait 2,5 milliards d’euros à Casino et permettrait à sa société Rallye de se désendetter fortement. Mais elle signerait la fin de son expansion internationale. "Naouri sait qu’il n’échappera pas au démantèlement de son groupe, assure un de ses plus anciens amis. Il gagne du temps pour tenter d’en sauver un bout".

Les concurrents en profitent

Ses difficultés font le bonheur de ses concurrents qui récupèrent des morceaux de l’empire. Casino va vendre Leader Price à l’allemand Aldi. En parallèle, il négocie aussi la vente d’au moins quarante hypermarchés à Leclerc pour environ 1 milliard d’euros. Après en avoir déjà vendu à Intermarché, à Système U et à Lidl. Tout le monde en profite sauf son grand rival Carrefour. Selon nos informations, il a même tenté ces derniers mois de vendre CDiscount à Fnac-Darty pour 1 milliard d’euros. Casino est prêt à ouvrir le capital de son site de e-commerce, même si le patron de CDiscount a balayé toute idée de revente à l'antenne de BFM Business début février. Casino est aussi prêt à étudier la vente de toutes ses enseignes, sauf Monoprix et Franprix… pour le moment.

Car l’an passé, un nouveau joueur est entré dans l’arène. Le Tchèque Daniel Kretinsky s’est invité chez Casino. Le milliardaire a pris 4,63% de son capital début septembre via son véhicule d'investissement Vesa Equity Investment. Il a porté sa part à 5,64% du capital de Casino courant janvier. Dans l'intervalle, Daniel Kretinsky a aussi négocié un siège à son conseil d’administration. Ce lundi, il a également annoncé un prêt d'un montant total maximum de 233 millions à Rallye, la société contrôlée par Jean-Charles Naouri. C’est la première fois que Jean-Charles Naouri fait une place à un partenaire à ses côtés. Daniel Kretinsky est connu en France pour investir dans les secteurs en crise comme les médias (Le Monde, Elle, Marianne) mais en rachetant aussi des centrales à charbon. Il n’en est pas à son premier coup dans la grande distribution puisqu'il est le premier actionnaire de Metro.

Des synergies avec l'empire de Daniel Kretinsky

Le distributeur allemand est bien connu de Casino. Les groupes partagent une centrale d’achat commune, ont noué un partenariat dans l’énergie avec GreenYellow, la filiale de Casino. Et CDiscount partage une plate-forme de e-commerce avec le site Mall, le poids lourd d’Europe de l’Est détenu par… Daniel Kretinsky. Les spéculations vont bon train sur un mariage entre Metro et Casino.

"Kretinsky joue cette carte-là, reconnaît un proche du PDG. Et pour Naouri, c’est le seul moyen de négocier une sortie par le haut". Chez Casino, on ne cache pas réfléchir à d’autres alliances avec Metro et l’empire de Daniel Kretinsky car des "synergies" existent entre les distributeurs en Europe. Le Tchèque est présent chez Casino et a garanti son prêt à Rallye sur 8,7% de Casino ce qui lui offre virtuellement plus de 14% de son capital si Jean-Charles Naouri ne parvenait pas à se sauver. Les deux hommes sont désormais liés pour le meilleur et pour le pire.