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La méthode de SFR Numericable pour pressurer les fournisseurs

Les nouveaux propriétaires de SFR exigeraient de leurs fournisseurs des baissent de tarifs de -20% à -40%

Les nouveaux propriétaires de SFR exigeraient de leurs fournisseurs des baissent de tarifs de -20% à -40% - Fred Dufour AFP

Pour obtenir des ristournes de ses fournisseurs, l'opérateur cesse dans bien des cas d'honorer ses factures. Une méthode pratiquée de longue date par Numericable, qui a été  condamné 12 fois pour impayés depuis 2008.

Fin novembre, Numericable a finalisé le rachat de SFR. Immédiatement, les nouveaux propriétaires y ont importé les méthodes musclées appliquées de longue date chez le câblo-opérateur.

Et un des éléments clés de la recette de Patrick Drahi est de générer des économies sur les achats, en pressurant les fournisseurs. Selon une enquête des Echos, la nouvelle équipe veut renégocier les contrats en demandant une baisse des prix de -20% à -40%.

Petit coup de pression

Dans beaucoup de cas, cette demande s'accompagne visiblement d'un petit coup de pression: les factures du fournisseur cessent subitement d'être payées. SFR aurait ainsi laissé une ardoise de 3 millions d'euros chez Accenture, indiquent les Echos. L'opérateur aurait aussi résilié plusieurs contrats avec Dalkia, qui refusait de baisser ses tarifs de 80%, selon le Figaro, qui ajoute que la filiale d'EDF a porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris.

Casier imposant

Cette plainte alourdira le casier déjà imposant de Numericable. En effet, depuis 2008, le câblo-opérateur et sa société soeur Completel ont été condamnés 12 fois pour des factures impayées par le seul tribunal de commerce de Paris. Et, dans 9 autres cas, le duo a échappé à la condamnation en réglant ses ardoises juste avant le jugement. 

Factures impayées pour des montants ridicules

La longue liste des procédures (cf. ci-dessous) montre que Numericable applique sa "méthode" à tous types de fournisseurs et de sous-traitants: fabricants de décodeurs (Pace), chaîne de télévisions (M6), éditeurs de logiciels (STS), opérateurs télécoms (Orange), et même démarcheurs en porte-à-porte (FVA)... On constate aussi que Numericable récidive plusieurs années de suite avec un même fournisseur, même si le câblo-opérateur a déjà été condamné une première fois... Plus surprenant, cette "méthode" est appliquée sur de grosses factures de plusieurs millions d'euros, mais aussi sur des montants ridicules de quelques dizaines de milliers d'euros.

En tous cas, Numericable perd la quasi-totalité des procès et fini donc par payer son dû, augmenté des intérêts et des frais de procédure. Dans ces cas-là, la "méthode" revient donc plus cher que si les factures avaient été honorées d'emblée! Reste que peu de fournisseurs vont apparemment jusqu'au procès: les 21 affaires recensées portent au total sur une quinzaine de millions d'euros d'impayés. "L'immense majorité des fournisseurs préfère trouver un accord, qui inclut une ristourne sur les tarifs", croit savoir un bon connaisseur de la méthode.

Contacté, SFR Numericable n'a pas répondu.

Les plaintes de fournisseurs contre Numericable devant le tribunal de commerce de Paris

Plaignant: Orange
Somme obtenue: 2,3 millions d'euros
Jugement: condamnation à payer en 2010
Somme obtenue: 2,3 millions d'euros
Jugement: condamnation à payer en 2013 (affaire transférée au tribunal de Meaux)
Somme réclamée: 3,1 millions d'euros
Jugement: plainte jugée irrecevable en 2014
Somme réclamée: 115.354 euros
Jugement: condamnation à payer en 2015

Plaignant: M6
Somme réclamée: 4,9 millions d'euros
Jugement: désistement suite à paiement en 2009

Plaignant: Pace
Somme réclamée: 1,7 million d'euros
Jugement: désistement en 2013

Plaignant: Unisys*
Somme obtenue: 282.919 euros
Jugement: condamnation à payer en 2011
Somme obtenue: 1,1 million d'euros
Jugement: condamnation à payer en 2013

Plaignant: Electricité de Strasbourg*
Somme réclamée: 685.916 euros
Jugement: accord amiable en 2010

Plaignant: Prosodie
Somme obtenue: 113.677 euros
Jugement: condamnation à payer en 2008
Somme réclamée: 141.167 euros
Jugement: désistement suite à paiement en 2008
Somme obtenue: 261.000 euros
Jugement: condamnation à payer en 2010

Plaignant:Naxen Services*
Somme réclamée: 30.450 euros
Jugement: désistement en 2012

Plaignant: Sungard*
Somme obtenue: 25.075 euros
Jugement: condamnation à payer en 2012
Somme réclamée: 16.050 euros
Jugement: désistement suite à paiement en 2013

Plaignant: Telemaque SAS*
Somme réclamée: 120.461 euros
Jugement: désistement suite à paiement en 2013

Plaignant: Force de vente et associés + HSBC Factoring
Somme obtenue: 223.263 euros
Jugement: condamnation à payer en 2009

Plaignant: SPSS
Somme réclamée: 73.268 euros
Jugement: désistement suite à paiement en 2008
Somme réclamée: 12.234 euros
Jugement: paiement avant le jugement en 2009

Plaignant: Aces (Activités câble et satellite)
Somme obtenue: 69.696 euros
Jugement: condamnation à payer en 2009

Plaignant: STS
Somme obtenue: 105.000 euros
Jugement: condamnation à payer en 2010

Plaignant: Aura Ingénierie
Somme obtenue: 51.018 euros
Jugement: condamnation à payer en 2011

Plaignant: ABV Diffusion
Somme réclamée: 46.268 euros
Jugement: pas encore rendu

Sources: jugement du tribunal de commerce
*plainte contre Completel

Les salariés s'offusquent de la méthode

Les nouvelles méthodes mises en place choquent les salariés de SFR, à en croire leurs représentants. "SFR serait-elle au bord du dépôt de bilan et incapable d'honorer ses factures malgré plus de 2 milliards d’euros de marge brute?", s'interroge la CFE-CGC, qui s'inquiète: "le choc tant attendu des baisses de prix demandées aux fournisseurs (-30%!) risque de ne pas porter ses fruits s’il n’est pas accompagné d’une analyse précise des activités à maintenir. Résumer la politique des achats à générer de la trésorerie sur le dos des fournisseurs a des limites que l’on paiera tôt ou tard. Quelle est la logique d’un comité d’investissement qui se débarrasse d’un prestataire (au) risque de se retrouver devant les tribunaux?"

Mêmes inquiétudes à la CFDT: "énormément de prestations ont été arrêtées, mêmes de celles contribuant aux activités de production et de qualité! Pire: certains prestataires ne veulent plus travailler pour nous car ils n’ont pas été payés". Le syndicat se plaint aussi que les achats doivent désormais être validés par le comité exécutif: "même pour une centaine d’euros, il faut passer devant un comité d’investissement! On ne peut gérer le quotidien, l’achat d’une barrette mémoire pour un serveur, ou d’un fusible pour un équipement électrique au niveau du comité exécutif".

Jamal Henni