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Comment Uber France parvient à ne payer que 1,7 million d'euros d'impôt

Le chiffre d'affaires des VTC en France est estimé à 600 millions d'euros

Le chiffre d'affaires des VTC en France est estimé à 600 millions d'euros - AFP Eliot Blondet

Le champion américain du VTC parvient à ne quasiment pas payer d'impôts grâce à un montage d'optimisation fiscale utilisant les Pays-Bas, les Bermudes et le Delaware.

Bonne nouvelle: Uber s'est mis à payer des impôts sur les bénéfices en France. Mauvaise nouvelle: la somme est ridicule. Ainsi, la charge d'impôt comptabilisée pour l'exercice 2016 s'élève à seulement 1,7 million d'euros.

L'explication est simple: le VTC américain ne déclare auprès du fisc français qu'une fraction de son chiffre d'affaires réel. Dès lors, ses bénéfices sont liliputiens, et donc l'impôt sur les bénéfices aussi.

Précisément, pour l'exercice 2016, Uber a déclaré en France un chiffre d'affaires de 34 millions d'euros. Très loin de son chiffre d'affaires réel, qui peut être estimé à plus de 240 millions d'euros. Uber revendique en France 20.000 chauffeurs. Et chaque chauffeur réaliserait en moyenne 60.000 euros de chiffre d'affaires par an, selon le Canard enchaîné. Pour sa part, une étude du BCG chiffre entre 67.200 et 78.800 le chiffre d'affaires annuel d'un chauffeur à temps plein, qui en conserve 25% après impôts et reversements à Uber.

Contrat avec les Pays-Bas

Explication: la filiale française est uniquement chargée "de la relation avec les partenaires [les chauffeurs...], de la promotion de la marque, et du support marketing", indiquent ses comptes. 

Ce n'est pas cette filiale française qui facture les courses, mais une filiale néerlandaise, Uber BV. Les conditions d'utilisation indiquent d'ailleurs: "votre co-contractant est Uber BV, société établie aux Pays-Bas".

80% de l'argent de la course est ensuite reversé par Uber BV à ses sous-traitants: de petites sociétés de VTC ou des chauffeurs qui travaillent à leur compte. Ce sont ces sous-traitants qui effectuent la course.

Aucun impôt payé, ni aux Bermudes ni aux Pays-Bas

La filiale néerlandaise Uber BV conserve une commission de 20%. Toutefois, le groupe californien s'arrange aussi pour payer très peu d'impôts aussi au fisc batave. En effet, la marge opérationnelle de cette filiale est structurellement plafonnée à 1%, indiquent ses comptes (cf. ci-dessous). Résultat: ses bénéfices sont epsilonesques, et donc son impôt sur les bénéfices aussi. 

Si les profits d'Uber BV sont epsilonesques, c'est parce qu'ils sont délibérément plombés par de lourdes dépenses, à commencer par une redevance payée pour utiliser la technologie de la plate-forme.

Cette redevance atterrit chez Uber International CV, simple boîte aux lettres n'employant aucun salarié, qui est immatriculée à la fois aux Pays-Bas et aux Bermudes. Cette holding parvient à ne pas payer d'impôt ni aux Bermudes (où l'impôt sur les bénéfices est nul), ni aux Pays-Bas (qui n'imposent pas les redevances qui quittent le pays).

Îles Caïmans et Delaware

Mais Uber aime bien aussi les îles Caïmans, où est installée Uber (China) Ltd, tête de pont de ses activités dans l'empire du milieu...

Enfin, et non des moindres, le VTC réduit aussi au maximum l'impôt payé aux Etats-Unis. D'abord, il a installé au Delaware (le paradis fiscal interne américain) la maison mère du groupe Uber Technolgies Inc, et aussi Neben LLC (l'associé en nom de la filiale aux Bermudes). Ensuite, il entasse ses profits aux Bermudes pour ne pas les rapatrier aux États-Unis, où ils seraient taxés à 35%. Précisément, la filiale aux Bermudes, pour utiliser la technologie Uber, doit seulement verser à la maison-mère américaine une redevance de 1,45%, indiquent ses comptes.

A noter que le fisc français a lancé en 2014 un contrôle de la filiale française, dont les résultats ne sont pas encore connus.

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La réponse d'Uber

"Uber respecte les règles fiscales de tous les pays dans lesquels nous opérons. Nous respectons les mêmes règles que celles applicables à tous les prestataires de services internationaux ayant des clients en France. Uber est un contributeur net significatif en France, créant de nouvelles opportunités économiques pour des milliers de personnes dans chaque ville où nous opérons.
L'impôt sur les sociétés est prélevé sur les bénéfices et non sur les revenus. Contrairement à des entreprises américaines plus matures et très rentables, Uber investit encore beaucoup pour déployer son service dans le monde entier"

Les filiales d'Uber

Uber France SAS
Siège: Paris
Actionnariat: Uber International Holdings BV (100%)
Chiffre d'affaires: 34,4 millions d'euros (2016)
Résultat net: +801.287 euros (2016)
Impôt sur les bénéfices: 1,46 million d'euros (2016)

Hinter France SAS
Siège: Paris
Actionnariat: Uber International Holdings BV (100%)
Chiffre d'affaires: 691.152 euros (2016)
Résultat net: +426.070 euros (2016)
Impôt sur les bénéfices: 215.898 euros (2016)

Uber International Holdings BV
Siège: Amstedam
Actionnariat: Uber International BV (100%)

Uber BV
Siège: Amstedam
Actionnariat: Uber International BV (100%)

Uber International BV
Siège: Amstedam
Actionnariat: Uber International CV (100%)
Chiffre d'affaires: 1,6 milliard de dollars dont EMEA* 651 millions (2016)
Résultat net: 18.521 dollars (2016)
Impôt sur les bénéfices: 31.874 dollars (2016)

Uber International CV
Siège: Amsterdam et Hamilton, Bermudes
Associé en nom (general partner): Neben LLC (Delaware)
Chiffre d'affaires: 68 millions de dollars (2014)
Résultat net: -234 millions de dollars (2014)
Impôt sur les bénéfices: 2,7 millions de dollars (2014)

Uber Technologies Inc
Siège: Delaware
Chiffre d'affaires: 6,5 milliards de dollars (2016)
Résultat net: -1,2 milliards de dollars (2016)

*EMEA= Europe, Moyen orient et Afrique
Source: comptes des sociétés

Uber arrête la sous-location de licences VTC

En 2013, Uber a discrètement créé une seconde filiale en France baptisée Hinter France SAS. Cette filiale louait des licences de VTC aux chauffeurs qui n'en avaient pas, essentiellement pendant les quelques mois d'attente entre la demande et l'obtention de la licence. En échange, le chauffeur devait reverser 3% de ses revenus. En 2016, Hinter France SAS a ainsi engrangé 691.200 euros de chiffre d'affaires, avec une marge nette record de 62%!
Las! Il y a un an, le gouvernement a jugé cette pratique "illégale", et Uber a décidé d'arrêter les frais. "A la suite d'une décision prise début 2017, aucune sous-licence ne devrait être concédée en 2017 à des chauffeurs non encore titulaires de la licence d'exploitation de VTC", indiquent les comptes de Hinter France SAS.

Jamal Henni