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Concurrence : le spectre du démantèlement plane sur les GAFA

Les géants du numérique sont souvent mentionnés sous l'acronyme Gafa, qui rassemble: Google, Amazon, Facebook et Apple.

Les géants du numérique sont souvent mentionnés sous l'acronyme Gafa, qui rassemble: Google, Amazon, Facebook et Apple. - Damien Meyer - AFP

Le Ministère américain de la justice va se pencher sur Apple et Google tandis que l’autorité de la concurrence va enquêter sur Amazon et Facebook. Une régulation sévère pourrait avoir comme conséquence extrême le démantèlement de ces géants.

C’est un fait, les géants américains du Web se sont développés sans être freinés par une régulation contraignante aux Etats-Unis. Contrairement à l’Europe, où des abus de position dominante ont été plusieurs fois sanctionnés par de très lourdes amendes, Google peut en témoigner.

Mais de nombreux scandales sont passés par là, notamment du côté de Facebook, retournant l’opinion publique, même aux Etats-Unis. L’affaire Cambridge Analytica où 87 millions de données personnelles d’utilisateurs Facebook ont été exploités sans autorisation par un tiers à des fins politiques, a été le point d’orgue de cette prise de conscience. Mais les sanctions n’ont pas été à la hauteur. Et finalement rien a changé, exceptée la communication de ces groupes.

L’administration américaine a donc décidé de sévir à travers une action conjointe du DoJ (ministère de la Justice) et de la FTC, l’autorité de la concurrence. Cette action conjointe est sans précédent. Le premier a été chargé de conduire une enquête sur Apple et Google, la seconde va enquêter sur Amazon et Facebook. Par ailleurs, la commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants a annoncé avoir ouvert une enquête sur la concurrence sur les marchés numériques.

Quant à la Cour suprême, elle vient d’autoriser l’examen par la justice d’une plainte contre Apple, accusé d’imposer des prix excessifs sur les applications pour iPhone.

Car il s’agit bien de ça. Outre les questions prégnantes d’exploitation par tous ces acteurs des données personnelles de leurs utilisateurs, la masse critique atteinte par les GAFA pose aujourd’hui des problèmes d’animation concurrentielle (ou d’abus de position dominante, selon le point de vue).

Pouvoirs extraordinaires

« Après quatre décennies de faible application des lois antitrust et d'hostilité judiciaire à l'égard des affaires antitrust, il est essentiel que le Congrès intervienne pour déterminer si les lois existantes sont adéquates pour lutter contre les comportements abusifs des gardiens de la plate-forme ou si nous avons besoin de nouvelles lois », explique ainsi David Cicilline, élu démocrate du Rhode Island, et président du sous-comité antitrust.

« Un petit nombre de plateformes dominantes et non-régulées a des pouvoirs extraordinaires sur le commerce, la communication et l'information en ligne », a ainsi justifié la commission des affaires judiciaires, sans citer nommément des entreprises, rapporte Reuters.

Au point que plane à nouveau le spectre d’une régulation sévère qui pourrait se traduire, à l’extrême, par un démantèlement de ces géants (via des cessions forcées d’actifs). Une arme atomique déjà utilisée aux Etats-Unis, notamment dans les télécoms quand l’opérateur historique AT&T régnait en maître sur le territoire. Une arme bien plus efficace que la perspective d’une sanction financière même lourde.

Ces enquêtes « pourraient représenter les prémisses d'une tendance anti-monopolistique dans cette industrie », commente ainsi Ken Berman de la société de courtage Gorilla Trades.

Google pourrait ainsi être sanctionné pour sa position écrasante dans la publicité en ligne (37% du marché aux Etats-Unis), une position qui lui a valu 1,5 milliard d’euros d’amende en Europe. Concernant Facebook, sa gestion laxiste des données de ses membres pourrait lui valoir entre 3 et 5 milliards de dollars d’amende.

Mais encore une fois, c’est bien la régulation, soit des règles de fonctionnement bien plus strictes afin de dynamiser une concurrence aujourd’hui de facto limitée, qui tétanisent les GAFA.

Virage symbolique

« La question des positions dominantes dans le secteur de la Tech américaine est posée depuis un certain temps. On pourrait même élargir le constat à nombre de secteurs de l’économie américaine. Tout au long des dernières décennies, les pressions concurrentielles ont diminué aux Etats-Unis. L’affirmation d’une volonté politique de renforcer la concurrence enverrait un signal positif en matière de plus grande efficacité du système économique. En sachant pourtant que trouver le bon équilibre, entre assurer le bon fonctionnement des marchés et créer les conditions d’apparition d’acteurs disposant de la taille critique, n’est pas facile », commente Hervé Goulletquer, stratégiste à la Banque Postale, Asset Management.

Sanctions financières, règles plus strictes, démantèlement…, impossible encore d’imaginer l’issue de ces procédures. Elles marquent néanmoins un virage symbolique de l’administration américaine. Les GAFA sont désormais dans son collimateur. L’objectif serait, à travers les loi anti-trust, de rétablir les équilibres des forces entre des acteurs qui ont rendu incontournables leurs écosystèmes tout en s’appuyant dessus pour rendre leurs propres services ou produits. Un cercle vertueux pour eux mais pour personne d’autre.

La question du démantèlement n’est plus taboue. Il est exigé par certains parlementaires démocrates notamment Elizabeth Warren, candidate à la présidentielle dans le camp démocrate. Elle estime que les GAFA ont « trop de pouvoir aujourd’hui ». Elle a même déposé un plan visant à annuler les rachats de Whole Foods par Amazon et celui de WhatsApp et Instagram par Facebook.

Et à un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, le sujet devient politique. Il devrait même constituer un clivage important dans la campagne. Ce qui n'augure rien de bon pour nos chers géants.

Olivier CHICHEPORTICHE