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Détecteur de fumée: c'est maintenant !

Chaque année les incendies font 800 morts et 3.000 blessés.

Chaque année les incendies font 800 morts et 3.000 blessés. - Stéphane Agostini - AFP

A partir d'aujourd'hui, ce 8 mars 2015, les logements doivent être équipés d'un détecteur de fumée. Mais, à la décharge des Français, rien ne les incite ni ne les oblige à s'équiper de ce dispositif, censé prévenir les incendies.

A partir de ce 8 mars, tous les logements français doivent être équipés d'un détecteur de fumée, c'est pourtant loin d'être le cas. Même s'il y a eu une ruée dans les magasins de bricolage, ces derniers jours, il risque d'y avoir une forte minorité d'habitations qui ne sont pas équipées de cet appareil, le premier jour de l'application de cette mesure, destinée à prévenir les incendies.

D'ailleurs, face à ce manque d'équipement, l'Assemblée nationale avait déjà accordé, vendredi 6 février 2015, un délai aux gros propriétaires bailleurs qui n'auraient pas installé de détecteurs de fumée dans leurs logements dans la date limite. Pour eux, il faut que l'appareil soit installé avant le 1er janvier 2016. Certains propriétaires doivent faire face à une indisponibilité des détecteurs ou des entreprises d'installation, notamment les bailleurs ayant un parc important de logements.

Pas de réelle sanction

Pourtant, l'installation de détecteurs avertisseurs autonomes de fumée (DAAF) dans les habitations a été imposée en mars 2010 par la loi de prévention contre les risques d'incendie, qui en assignait la responsabilité à "l'occupant du logement". Cette obligation a été transférée au propriétaire par la loi pour l'accès au logement (dite "Alur") de mars 2014, l'occupant restant responsable de l'entretien du dispositif. 

Néanmoins, le côté "obligatoire" de cette installation doit être relativisé. En effet, la loi ne prévoit pas de sanction en cas d'absence de détecteur. Attention tout de même, un propriétaire-bailleur pourra voir sa responsabilité engagée en cas de dommages matériels et corporels causés par un incendie. De plus, si l'assureur ne peut pas s'exonérer de son obligation de prise en charge des dégâts en cas d'absence d'installation, il peut toutefois proposer une diminution de la prime d'assurance aux occupants d'un logement qui l'équiperaient d'un détecteur de fumée.

Des abus en nombre…

A leur décharge, de nombreux propriétaires ont pu être refroidis par les pratiques de certains syndics qui facturent 5 fois le prix de ces appareils, voire l'assortissent d'un contrat de garantie ou d'entretien inutile, a dénoncé une association de co-propriétaires. "Rien ne justifie que l'on dépense 100 euros, voire plusieurs centaines d'euros, pour un dispositif ", avertit l'association de consommateurs UFC-Que choisir, dans son magazine paru en février. En effet, pour donner une petite idée, les prix sont globalement compris entre 15 et 25 euros, en fonction de leur durée de vie, de la présence d'une télécommande, …

Par exemple, une agence parisienne de Nexity propose ainsi, dans un courrier dont l'AFP a eu copie, de facturer 96 euros la fourniture et la pose d'un détecteur, assortie d'une "information du locataire" et d'un énigmatique "suivi technique et administratif". En l'absence de réponse sous un mois, le propriétaire bailleur perd une "ristourne" de 10% et la prestation sera assurée, "dans le cadre de la sauvegarde de (ses) intérêts", précise le courrier.

Un autre syndic, Citya, basé à Nantes, facture 90 euros la mise en place du détecteur, tout en informant le propriétaire qu'il peut se charger lui-même d'équiper son logement. De son côté, l'Association des responsables de copropriété (ARC) a décerné le "Prix du meilleur abus 2014" au syndic Dupouy-Flamencourt pour avoir proposé, selon un courrier divulgué sur le site de l'ARC, une "garantie de 2 euros par mois et par locataire pendant 10 ans", soit 240 euros. Il facture aussi la pose de deux appareils requis, dit-il, pour les logements de plus de 50 m2...une obligation inexistante dans la législation.

… et de la mauvaise qualité

Malheureusement, les surfacturations ne sont pas les seuls inconvénients qui rebutent les propriétaires, la mauvaise qualité joue également. Sur le papier, c'est simple: le détecteur de fumée installé doit comporter la mention CE, il doit respecter la norme NF EN 14604 qui a été vérifiée par un laboratoire agréé.

Malheureusement, le marché n'est "pas assaini", estime l'UFC-Que choisir, bien que la Direction générale de la consommation (DGCCRF) ait multiplié les mises en garde contre des appareils "non-conformes" et "dangereux", ces derniers mois. Un plan de contrôle des détecteurs avertisseurs autonomes de fumée (DAAF) en vente sur le marché français a été mis en place par la DGCCRF en 2014. Interrogée par l'AFP, celle-ci a indiqué qu'il était trop tôt pour en connaître le bilan.

Après avoir examiné les performances de 18 appareils en vente dans de grandes enseignes de bricolage, l'UFC-Que Choisir a jugé "problématiques" un tiers d'entre eux, et a demandé le retrait de trois détecteurs. Ces trois là "se sont avérés non conformes car n'ayant pas réussi à détecter des feux de bois et/ou de literie, ou s'étant déclenchés trop tardivement par rapport à un niveau d'opacité des fumées déjà très élevé".

Jouer le jeu des lobbies?

Autre facteur pour expliquer la désaffection des Français pour les détecteurs : ils ont l'impression de jouer le jeu des lobbies.

"Indéniablement oui, il y a eu un gros rôle des lobbies", nous explique Cédric Musso, directeur de l'action politique à l'UFC-Que Choisir. D'autant que la bataille a fait rage entre les différents fabricants de détecteurs de fumée, de monoxyde, … pour que ce soit leur équipement qui soit pris en compte dans la loi.

D'autant que les associations de consommateurs ont accepté ce jeu des lobbies si cette obligation d'équipement était accompagnée d'une vaste campagne de sensibilisation. "A quoi ça sert de savoir que votre logement brûle si vous n'avez pas les bons réflexes pour sortir en vie?", s'interroge Cédric Musso. Pourtant, bien que prévue dans la loi, cette campagne de sensibilisation est pour l'instant inexistante. 

Mais le directeur de l'action politique à l'UFC-Que Choisir rappelle que malgré tout, cette loi est partie d'un constat simple : la multiplication des incendies domestiques. "Un Français sur trois sera victime d'un incendie dans sa vie" et chaque année les incendies font 800 morts et 3.000 blessés, a rappelé Sylvia Pinel, ministre du Logement. 80% de ces décès sont dus à une intoxication par la fumée et la majorité a lieu la nuit quand les victimes dorment.

Donc finalement mettre une vingtaine d'euros pour un appareil assez peu contraignant au quotidien et qui peut, éventuellement, sauver une vie un jour, cela peut valoir le coup.

Diane Lacaze avec agences