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Linky: le compteur électrique intelligent qui fait peur aux Français

La fronde contre le compteur Linky s'intensifie. Après le dépôt d'un amendement au Sénat, 5000 personnes lancent une action collective dans 22 tribunaux de grande instance. Un appel à la mobilisation nationale a été lancé pour le 5 mai. Pourquoi tant de haine pour cet objet connecté?

Dans une époque hyper-connectée où la presque totalité de la population a accès à Internet, est membre d’un réseau social, dispose d’appareils géolocalisés et se prépare à accueillir des véhicules autonomes, les compteurs électriques Linky d’Enedis (ex-ERDF) sont de plus en plus perçus avec défiance. Récemment, un installateur a été violemment agressé par un couple alors qu’il installait un compteur sur la voie publique. Une fake news s’est aussi répandu sur un incendie provoqué par un compteur Linky qui aurait fait un mort.

En mars dernier, un amendement a été déposé par des sénateurs pour accorder aux usagers la possibilité de refuser l'installation des compteurs Linky. Désormais, l’affaire prend un virage juridique. Un collectif d’opposants composé de 5000 personnes a saisi 22 tribunaux de grande instance dans toutes les régions de France. Pour rejoindre cette class action, chacun a déboursé 48 euros pour régler les frais des quatre avocats. Parmi eux, Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement. Hormis l’épisode des Google Glass, aucun objet de la tech n’a jamais provoqué une telle virulence. Pourquoi tant de haine?

Anticiper les pics de consommation

Les raisons de la fronde sont nombreuses. Elles reposent sur l’utilisation des données personnelles et les risques de piratage, l’exposition aux ondes électromagnétiques, l’obligation d’utiliser cet équipement et les risques de voir à terme la facture de consommation grimper pour financer ce projet. Autant de craintes qui provoquent un rejet brutal de cet appareil par des Français de toutes catégories et de toutes les régions de France.

Pourtant, ce système a pour but de mieux gérer la consommation d’énergie en apportant une information plus précise. Le compteur Linky vise en effet à équilibrer les besoins en fonction des usages avec une mesure de la consommation à la demi-heure pour prévoir les pics de consommation. Il ne nécessitera plus le déplacement d’un technicien pour relever les compteurs ou pour changer la puissance en fonction des usages.

La consommation à facturer sera transmise en temps réel aux fournisseurs. Une manière d’éviter aussi les fraudes possibles avec les compteurs analogiques. Sur YouTube, on trouve encore des vidéos qui expliquent les méthodes comme celle de l'aimant qui permet de bloquer discrètement un compteur électrique.

Quant à la diffusion d’ondes, l’ANFR (Agence nationale des fréquences) et de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) estiment qu’elle est inférieure aux équipements électroniques et numériques classiques (téléviseurs, box, smartphones, PC…).

Un rappel à l'ordre de la CNIL

Concernant les données, Xavier Caïtucoli, patron de Direct Energie, a réitéré ce week-end sur France Inter que "Linky n’est pas Facebook". Selon ce responsable, les données sur les consommations "à la demi-heure ne permettent pas d'avoir des renseignements d'ordre privé". La CNIL a épinglé Direct Energie en mars dernier pour son manque de clarté sur la collecte de données. Les choses ont été modifiées pour se mettre en conformité avec la RGPD (réglementation générale sur les données privées) qui entrera en vigueur le 25 mai. La transmission des données, qui ne peuvent être conservées plus d’un an, à des tiers ne pourra se faire qu’avec l’accord explicite des consommateurs.

Le piratage ne peut évidemment être exclu comme pour n’importe quel autre opérateur numérique. Dans ce cas, le risque est de permettre à des cambrioleurs de savoir à quel moment ils peuvent opérer. Sur ce point Enedis rétorque que les données sont anonymisées et chiffrées. Et pour éviter qu’elles soient utilisées après une cyberattaque, Enedis assure qu’en cas d’intrusion, elles seront effacées.

Un modèle inspiré des géants de la tech

Enfin, les opposants craignent surtout que leur facture d’électricité s’alourdisse pour amortir les coûts d’installation et de maintenance des compteurs numériques. Enedis estime que pour installer 35 millions de compteurs d’ici 2021, le montant de l’opération s’élèvera à 5 milliards d’euros. La société avancera les frais, mais pourrait à terme se rembourser en faisant grimper les tarifs en fonction de la consommation. Un peu comme Uber ou Chauffeur Privé qui augmentent leurs prix en tenant compte de la demande et du nombre de chauffeurs disponibles.

Mais comme pour les VTC, chaque fournisseur d’énergie (EDF, Direct Energie, Engie…) aura ses propres règles qu’il faudra étudier de près pour choisir celui qui convient, signale le site Selectra. Mais comme dans les télécoms, il sera possible de passer de l’un à l’autre. Le site Jechange.fr explique même la marche à suivre et propose un comparatif des différents services.

Une chaîne humaine anti-Linky dans le Vercors

C’est d’ailleurs ce que défend Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis qui explique que Linky va créer "des offres tarifaires illimitées adaptées aux besoins de chaque consommateur". Même l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) estime que le compteur pourra aider "à mieux gérer [la] consommation et à réaliser des économies sur [la] facture". Comment? Non pas en baissant les tarifs mais en faisant prendre conscience par une information en temps réel des usages de chaque consommateur.

Pour les anti-Linky, rien n’y fait. Ils se mobilisent partout où ils le peuvent pour rejeter cet équipement. Les groupes Facebook sont de plus en plus nombreux et sur YouTube, les membres du collectif Stop Linky 24 a publié un clip qui sur un slam déclame "Linky le maléfique, flique et intoxique".

Le 5 mai prochain, Stop Linky 88 appelle les collectifs et associations à se mobiliser avec des manifestations, des marches et des actions anti-Linky dans toute la France. Ils réclament l'abandon de ce projet. Info Linky Sud Ouest Lyonnais appelle les Français à créer une chaîne humaine de contestation dans le Vercors. Il attend 5000 personnes et pour les mobiliser, le collectif a lancé un site avec pour mot d’ordre la préservation de "ce qu'il reste de vivant sur cette planète, ce qui reste d'humain en nous et de libre dans nos vies". Un argument difficilement défendable devant les juges, mais qui illustre la défiance envers cet appareil connecté.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco