BFM Business
Energie

Ecosia, ce moteur de recherche écolo qui plante des arbres grâce à vos clics

Moteur de recherche Ecosia

Moteur de recherche Ecosia - -

Fondé en 2009 par l’allemand Christian Kroll, le moteur de recherche Ecosia réinvestit 80% de ses bénéfices dans la plantation d’arbres.

"1 million d’arbres pour le Brésil". C'est l'engagement qu'avait pris en juillet dernier le responsable d’Ecosia France, Ferdinand Richter, à la suite des incendies survenus en Amazonie. Cette initiative avait fait passer le moteur de recherche Ecosia en tête des applications de l'App Store dans la journée du 29 août, devant Snapchat, Instagram ou encore WhatsApp, comme le rapportaient à l'époque Les Echos. En deux semaines, l'application Ecosia était ainsi passée de 20.000 à 250.000 téléchargements par jour. Une montée en flèche qui a amené Ferdinand Richter à faire la promesse sur les réseaux sociaux de planter deux millions d’arbres supplémentaires dans les six mois à venir.

Mais comment fonctionne ce moteur de recherche? Et d’où est née cette idée? L'histoire débute il y a dix ans. Marqué par les dégâts de la déforestation au Brésil, l’allemand Christian Kroll décide en 2009 de lancer un projet capable de sauvegarder les écosystèmes les plus fragiles de la planète, en commençant en premier lieu par la restauration des sols. Pour toucher un maximum de personnes, il a l'idée d'associer aux recherches des internautes la plantation d'arbres. C’est ainsi que le moteur de recherche Ecosia voit le jour en Allemagne.

1 arbre planté pour 45 recherches

Séduit par la démarche, Ferdinand Richter, ancien coach professionnel pour de grands groupes industriels, décide en 2016 de rencontrer Christian Kroll. Son but: collaborer avec lui pour répandre le concept d'Ecosia sur le sol français. Un succès puisque la version française d'Ecosia a dépassé sa grande soeur allemande, avec pas moins d’1,5 million d’utilisateurs par semaine et 3 millions par mois selon les données du groupe. "Le moteur de recherche est un outil qui génère de l’argent, qui nous permet ensuite d’acheter des arbres et de les planter dans les zones en sécheresse", détaille Ferdinand Richter. A chaque clic, les utilisateurs contribuent au financement et il faut 45 recherches pour générer assez d'argent afin de planter un arbre. 

L'objectif d'Ecosia est d'arriver à planter un milliard d’arbres d’ici à 2020. Un chiffre qui parait colossal, même si l’entreprise assure en avoir déjà planté 68 millions. Pour gagner la confiance des internautes, Ecosia promet une "totale transparence" sur ses activités. Tous les rapports financiers détaillés et les reçus de plantations d'arbres sont ainsi accessibles sur son site ici.

Depuis janvier, les revenus d’Ecosia France ont augmenté de 40%. La société indique avoir engrangé en juillet dernier près d’1,6 million d’euros. Sur ce montant, plus de 800.000 euros auraient été dépensés dans les plantations, au Sud de l’Ethiopie en l’occurrence. Le reste des revenus a servi à couvrir les charges d’exploitation (salaires, hébergement...) et de publicité (qui représente 5% du chiffre d'affaires selon Ecosia). Une partie des revenus sert aussi à alimenter une réserve en vue de futurs investissements. Avec son modèle, Eciosia promet de réinjecter 80% de ses bénéfices dans des projets de plantations.

Selon Ferdinand Richter, la plantation d'un arbre coûte en moyenne 20 centimes d'euro. Mais ce montant peut grandement varier. "Cela dépend de l’espèce, de l’état des sols, du pays... Beaucoup de facteurs entrent en compte et font varier les prix. Nous pouvons aussi réaliser des économies d’échelles conséquentes, comme avec notre plus grosse commande qui s’élevait à 5 millions d’arbres. A ce stade, les prix sont plus intéressants", confie Ferdinand Richter. 

Des plantations réalisées par des associations locales

Pour Ecosia, l’argent est vu "comme un moyen et non comme une fin en soi". En ce qui concerne les arbres, "il ne s’agit pas d'en planter à l’infini. Mais pour l’instant, c’est le moyen le plus efficace que nous ayons trouvé pour faire renaître la biodiversité là où elle a été détruite", explique Ferdinand Richter. "Quand vous plantez un arbre, ses racines font renaître toutes sortes d’espèces vivantes", souligne-t-il. En outre, les arbres ont un autre atout. Ils stockent du carbone et compensent les rejets de CO2 liés à l’activité humaine afin de mieux réguler le climat.

Pour l'heure, Ecosia développe ses activités de plantation dans une quinzaine de pays dont le Sénégal, le Pérou, Madagascar, l’Indonésie, le Brésil ou encore le Burkina Faso. "Au départ nous avons démarré en collaborant avec l’association WWF, très reconnue dans le milieu. Mais en raison de sa taille, il était difficile d’avoir une visibilité détaillée sur l’allocation des fonds. On ne pouvait pas savoir s’ils étaient alloués dans un projet précis, dans un pays en particulier ou au financement des bureaux à Paris", détaille Ferdinand Richter. 

Pour cette raison, Ecosia France s'est tourné vers des acteurs locaux et des associations de plus petite taille. C'est le cas de "Instituto Espinhaço", une association brésilienne qui développe son activité dans les plantations depuis plusieurs décennies, de "Regua Itpa", qui agit dans la lutte contre les incendies, ou encore de la "Gunun Lester Foundation", un projet initié par la population autochtone de Borneo. "C’est un moyen pour nous de suivre de près les transferts de fonds destinés à nos partenaires, et de pouvoir les réévaluer selon les besoins. Un suivi impossible à mettre en place dans un organisme de trop grande envergure", estime Ferdinand Richter.

Un suivi assuré par des équipes sur place et par satellite 

Sur place, les travaux sont contrôlés par une équipe interne à la société Ecosia. Parmi eux, des experts en agro-écologie, des spécialistes de l’agro-foresterie (culture associant la production forestière à une production agricole) et de plus en plus de scientifiques. Une façon pour la société de mesurer la plus-value environnementale générée par les travaux qu'elle finance. "Nos projets prennent de l’ampleur. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi", indique Ferdinand Richter. Le dernier partenariat en date concerne Jane Goodall, primatologue britannique réputée qui a consacré une grande partie de sa vie à l’étude des chimpanzés, avec qui Ferdinand Richter collabore dans la protection de ces primates en Ouganda.

Selon lui, un service de géolocalisation permettrait de vérifier l’efficacité des activités d’Ecosia: "de cette façon nous pouvons repérer les parcelles à reboiser, et nous avons également accès à la surveillance satellite qui vérifie la température des sols". Une zone reboisée entraîne en effet une diminution de la température, tandis qu'une zone en désertification la fera grimper. "C’est un excellent moyen de contrôler l’efficacité des plantations, et de surveiller les projets à grande échelle", juge Ferdinand Richter.

"L'impact des plantations pour les populations et le climat sont probablement très bénéfiques. Mais quantifier l’impact réel demande de suivre des pratiques éprouvées", prévient Gerald Maradan, expert en compensation carbone et fondateur d'EcoAct. "Les projets sont très éclatés, il ne me semble pas possible qu’une analyse satellite monitore toutes les parcelles", estime-t-il. Par ailleurs, il précise qu'il faut environ 7 ans à un arbre avant qu'il puisse effectivement absorber du CO2. Si l'arbre ne survit pas au-delà, ils n'auront pas eu l'effet escompté. L'efficacité des plantations est donc relativement difficile à mesurer. "Les quantités de CO2 effectivement séquestrées sont consignées dans des registres internationaux et font l’objet de certificats officiels", ajoute-t-il.

Selon l'expert d'EcoAct, il est nécessaire de quantifier l'impact climat des activités d'Ecosia. "Si l'efficacité des plantations pouvait être attestée par un organisme extérieur - CDM par exemple développé par l'ONU, cela confirmerait la place d'Ecosia en tant qu'acteur influent en matière de compensation CO2". Malgré tout, Gerald Maradan ne remet pas en cause le coeur du projet: "la plantation d’arbres est clairement une solution pour retirer du CO2 de l’atmosphère".

Développer aussi l'économie locale

Outre l'aspect environnemental, Ecosia souhaite aussi avoir un impact sociétal. Les plantations peuvent également contribuer à créer une économie locale à partir de zéro. Ecosia évoque notamment le combat contre la pauvreté des femmes en Ghinée grâce à la culture du baobab. "Certains pays sont totalement dépendants de l’agro-foresterie. En Indonésie par exemple, la plupart des forets reboisées sont presque entièrement comestibles. Parce qu’il est nécessaire pour que l’homme respecte la nature qu’elle réponde aussi à ses besoins", affirme Ferdinand Richter. 

C'est le cas également de la Colombie, où Ecosia France prévoit de développer l'agro-foresterie en partenariat avec "Pur projet", qui agit dans la préservation des terres et l'agriculture durable. Au Brésil, "la moitié du temps est consacrée à planter des arbres, la seconde moitié à la prévention dans les écoles contre les feux de forêts", détaille Ferdinand Richter. L’arbre s’avère selon lui un bon outil pour familiariser et sensibiliser les enfants à la nature, dès le plus jeune âge. "Il ne suffit pas de planter des arbres pour améliorer le bien-être sur Terre. Il est nécessaire d’acquérir une réelle conscience écologique pour que nos projets aient du sens".

La société travaille actuellement avec de nouveaux partenaires engagés dans cette même démarche: des groupes influents tels que Maisons du Monde, le média en ligne Brut ou encore des influenceurs du web comme Enjoy Phoenix. Le responsable du pôle France d’Ecosia peut compter sur l'appui du fondateur Christian Kroll. Lui même ancien chef d’entreprise, il lui a donné carte blanche pour développer Ecosia sur le territoire français.

Une neutralité carbone également affichée par Google

"il ne s’agit pas de remplacer Google, mais d’offrir une alternative responsable", reconnaît Ferdinand Richter. Reste que le géant américain cherche lui aussi à développer une démarche environnementale en faveur du développement durable. En août dernier, Google avait par exemple annoncé que les expéditions de la totalité de ses produits physiques (Google Home, thermostats Nest...) seront neutres en carbone à partir de 2020. Par ailleurs, le moteur de recherche assure afficher une neutralité carbone depuis plus de 10 ans en ce qui concerne la consommation énergétique liée au fonctionnement de l'entreprise. 

"C’est une excellente démarche que Google vise la neutralité carbone, mais elle ne doit pas être un prétexte pour ne pas s’interroger sur un modèle économique", rétorque Ferdinand Richter. "Il faut aller plus loin", juge-t-il. De son côté, Gerald Maradan souligne que "pour être neutre en carbone, il ne suffit pas de bien compenser. Il faut aussi réduire massivement ses émissions". 

Gaëlle Ohan-Tchelebian