BFM Business
Culture loisirs

EXCLUSIF- le financement du CNC contesté à Bruxelles

La taxe de 2% prélevée sur les DVD et la VoD a rapporté 32 millions d'euros en 2012

La taxe de 2% prélevée sur les DVD et la VoD a rapporté 32 millions d'euros en 2012 - -

Une plainte a été déposée auprès de la Commission européenne. La taxe sur les DVD et la vidéo-à-la-demande serait illégale. Cette taxe alimente le budget du Centre national du cinéma.

Nouveau coup de butoir contre le CNC (Centre national du cinéma). Un mystérieux plaignant non identifié conteste à Bruxelles le financement de l'établissement public.

Ce plaignant s'en prend à une des taxes qui alimente le budget du CNC, budget qui lui permet ensuite de subventionner les films. Il s'agit de la taxe sur la vidéo, qui est prélevée sur la vente et la location de DVD, ainsi que sur les services de vidéo-à-la-demande (VoD).

Elle s'élève à 2% du chiffre d'affaires, sauf pour le porno où le taux est de 10%. Elle est acquittée par les vidéo-clubs, les grandes surfaces, les sites de VoD..., et a rapporté 31 millions d'euros en 2012.

Taxes illégales en droit européen

En 2011, une plainte similaire avait été déposée à Bruxelles contre une autre taxe qui alimente le CNC: celle prélevée sur les opérateurs télécoms.

Les deux plaintes reposent apparemment sur les mêmes arguments, purement formels. Ces taxes seraient illégales en droit européen, car la France ne les a pas notifiées correctement auprès de la commission de Bruxelles.

Certes, Paris a bien, initialement, obtenu un feu vert de Bruxelles pour instaurer ces taxes. Mais, selon les plaignants, la France a ensuite substantiellement modifié ces taxes, et aurait donc dû demander un nouveau feu vert, ce qui n'a pas été fait. "La modification d’une aide existante la transforme en aide nouvelle, et doit être notifiée sous peine d’illégalité", rappelle d'ailleurs un rapport de l'Inspection des finances sur le CNC.

Trois arguments

Précisément, trois éléments sont contestés. D'abord, ces taxes étaient à l'origine collectées par Bercy, qui a transmis cette tâche au CNC en 2010. Or ce changement n'a pas été notifié à Bruxelles.

Ensuite, le gouvernement a effectué plusieurs ponctions dans les caisses du CNC pour alimenter le budget général de l'Etat. Ces ponctions n'ont pas non plus été notifiées à Bruxelles, et, selon les plaignants, elles détournent les taxes de leur objet initial, qui est de subventionner des films.

Enfin, le produit de ces taxes a fortement augmenté. La taxe sur la vidéo rapporte aujourd'hui trois fois plus qu'en 2000.

Explosion des recettes

Mais le cas le plus spectaculaire est la taxe sur les opérateurs télécoms. Lorsque le gouvernement français l'a notifiée à Bruxelles, il prévoyait que cette taxe rapporterait 6,5 à 16,5 millions d'euros par an. Finalement, elle a rapporté 207 millions d'euros en 2011, et 164 millions d'euros en 2012.

Là encore, cela serait illégal en droit européen. "Une augmentation du budget initial d’un régime d’aides existant qui excède 20% est considéré comme Bruxelles comme une modification de l’aide existante", rappelle le rapport de l'Inspection des finances.

Interrogé par l'Inspection, le CNC estimait que ces hausses "ne seraient pas critiquables au regard du droit communautaire". Argument de l'établissement public: "le surcroit de recettes constaté n’a pas donné lieu à une augmentation des aides accordées dans les mêmes proportions, notamment en raison de la politique de mise en réserve".

Autrement dit, si les recettes du CNC ont bien explosé, l'essentiel de cet argent n'a pas été utilisé pour donner plus de subventions aux films, mais pour d'autres aides (numérisation de salles et de films), qui ont bien été notifiés.

Plusieurs précédents

Ces procédures dureront plusieurs années. Mais si la commission donne raison aux plaignants, alors les conséquences seront fâcheuses pour Paris, qui devra alors rembourser les taxes perçues.

Il existe plusieurs précédents. En 2007, le tribunal administratif de Bordeaux a ordonné le remboursement à quelques plaignants de la taxe sur la vidéo, car le gouvernement français n'avait pas notifié à Bruxelles une modification de la taxe intervenue en 2003. Puis en 2011, TF1 s'est fait rembourser 30 millions d'euros, car Paris avait mal notifié cinq ans plus tôt l'ensemble des taxes qui alimentent le CNC...

Interrogée, la porte-parole du commissaire européen à la concurrence Joaquin Almunia "confirme que la Commission a récemment reçu une plainte sur une modification alléguée de la taxe, et est en train de l'examiner". Elle refuse toutefois de dévoiler l'identité du plaignant. Juridiquement,le plaignant doit être une société qui paye la taxe, ou bien une organisation regroupant des redevables. Interrogés, TF1, M6 et le SEVN (syndicat des éditeurs vidéo) ont assuré ne pas être les plaignants.

De son côté, le CNC indique "avoir entendu parler de la plainte par la commission, mais n'avoir aucun détail", tandis que le ministère de la culture n'a pas répondu.

Jamal Henni