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Face aux taxes de Trump sur le vin, la viticulture française en péril

Entre août 2018 et juillet 2019, les volumes d'exportations de vin français (hors spiritueux) s'étaient déjà contractés de 4%.

Entre août 2018 et juillet 2019, les volumes d'exportations de vin français (hors spiritueux) s'étaient déjà contractés de 4%. - Pixabay

Depuis le 18 octobre 2019, l'administration Trump surtaxe les vins de moins de 14 degrés français, espagnols et allemands de 25% en représailles au traitement préférentiel que l'UE accorderait, selon elle, au constructeur aéronautique Airbus.

"C'est comme si la foudre nous était tombée dessus"… Depuis près de quatre mois, les viticulteurs français sont en souffrance. Ils doivent composer avec des taxes douanières imposées par l'administration Trump sur leurs vins infligées en représailles au traitement préférentiel que l'Union accorderait selon elle au constructeur aéronautique Airbus.

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L'essor des vins français stoppé net

A part la Champagne, toutes les régions viticoles françaises sont aujourd'hui touchées. Cela a stoppé net l'envolée des vins français sur leur premier marché à l'exportation, en particulier celle des rosés.

Selon la Fédération des exportateurs de vins & spiritueux de France (FEVS), "l’impact de cette taxation", pouvait à fin 2019, déjà être "chiffré à plusieurs dizaines de millions d’euros (…) qu’il s’agisse de commandes annulées ou différées, ou encore de la prise en charge, totale ou partielle, des surcoûts engendrés".

Il faut dire que les Etats-Unis constituent "le premier marché d'exportation en valeur des vins français", rappellent dans un communiqué Louis Fabrice Latour, vice-Président de la FEVS et Bernard Farges, Président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC) et que ce marché a généré plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires pour la France en 2018.

"Ce marché est irremplaçable pour notre filière, il a un impact majeur sur le chiffre d’affaires et, plus encore, sur la marge réalisée par les entreprises exportatrices", arguait fin janvier Louis Fabrice Latour devant les députés.

"Certains importateurs qui attendaient des vins pour les fêtes de fin d'année ont dû payer un transport par avion à la dernière minute pour tenter d'échapper à la taxe, qui s'est appliquée à partir du 17 octobre à minuit", raconte Gabrielle de Magliane, importatrice et distributrice, qui a des entrepôts au Texas et à Los Angeles.

Elle-même a "arrêté immédiatement toutes les commandes", explique-t-elle à l'AFP au salon WineParis-Vinexpo, qui se tient cette semaine à Paris.

Importateurs, distributeurs... Compte tenu du nombre d'intermédiaires, une surtaxe de 25% équivaut à une hausse de 60% à 70% en magasin, estime Michel Chapoutier, grand négociant et producteur de la vallée du Rhône.

Peur sur l'emploi américain

"Si demain les taxes américaines devaient passer à 100%", comme la rumeur a couru en janvier-février en rétorsion à la taxe numérique française, "c'est bien simple, je mets la clé sous le paillasson", prévient le Québecois Serge Doré, importateur et distributeur (Serge Doré sélections) installé à New York.

"Une taxe à 100% ferait perdre beaucoup d'argent et d'emplois aux États-Unis. On parle de 800.000 emplois en moins aux États-Unis, ce qui devrait faire réfléchir le gouvernement avant d'appliquer de nouvelles taxes en pleine année électorale", tente-t-il de se rassurer.

Le ministre français de l'agriculture Didier Guillaume a affirmé pour sa part lundi 10 février, lors de l'inauguration du salon parisien, qu'il n'y aurait pas de taxe à 100%, se déclarant solidaire des viticulteurs français "100% victimes".

Néanmoins, quand la profession viticole réclame un fonds de compensation de 300 millions d'euros, il renvoie à Bruxelles: "Nous demandons une aide compensatoire à l'Europe et une aide pour financer les promotions de vins français à l'étranger".

La taxe de 25% est d'autant plus difficile à digérer pour les viticulteurs que le marché américain est complexe à pénétrer. Il demande beaucoup d'investissements marketing pour s'adapter aux régulations différentes d'un État américain à l'autre: certains dépendent d'un monopole pour l'achat de l'alcool, d'autres sont plus libéraux.

Limiter la casse

Serge Doré essaie de passer entre les gouttes. Aux uns, il propose des Côtes-du-Rhône à plus de 14 degrés d'alcool, afin de ne pas être impacté par la taxe. "J'ai 12.000 bouteilles en 'stand-by', les acheteurs attendent la mi-février pour être sûr qu'il n'y aura pas de taxe supplémentaire".

Avec les autres, il négocie un partage du surcoût entre producteur, importateur et distributeur, pour éviter l'explosion du prix final pour le consommateur. Selon lui, l'État de Pennsylvanie a ainsi compensé une partie de la hausse de taxe sur un millier de caisses.

Gérard Bertrand, viticulteur du Languedoc et gros exportateur de rosé aux États-Unis, a de son côté adopté la même stratégie. Sa filiale d'importation américaine a pour l'instant absorbé le prix de la taxe, pour "ne pas perdre de part de marché", dit-il à l'AFP.

Pour Pascaline Lepeltier, meilleure sommelière du monde l'an dernier, qui travaille à New York, il est impossible d'augmenter les prix de 10 à 20 euros la bouteille, d'autant qu'il y a maintenant d'excellents vins partout.

Thorsten Hartmann, analyste spécialisé dans les taxes douanières de l'institut britannique IWSR, a aussi prévenu les viticulteurs français lors d'une table ronde durant le salon: "Vous n'êtes pas irremplaçables aux yeux du consommateur américain."

Développer l'œnotourisme

Une solution évoquée: développer l'œnotourisme. Si les Américains ne peuvent plus boire de vins français chez eux, ils pourraient venir en vacances pour en déguster. "Mais alors il faudrait développer les infrastructures, car lorsque j'emmène un groupe d'Américains à Saumur, j'ai du mal à trouver des transports en commun", nuance Pascaline Lepeltier.

Entre août 2018 et juillet 2019, les volumes d'exportations de vin français (hors spiritueux) s'étaient déjà contractés de 4%, selon le ministère de l'Agriculture et de l'alimentation.

J.C-H avec AFP