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Fibre : seulement 23% des PME équipées, la faute à Orange ?

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Alors que le régulateur pourrait contraindre encore un peu plus l’opérateur historique à s’ouvrir, les « alternatifs » saisissent une nouvelle fois l’Autorité de la concurrence. Et de demander la scission d'Orange.

23%. C’est le très faible taux d’équipement en fibre optique des entreprises de 1 à 249 salariés en France, selon une enquête menée en mai dernier par l’Ifop pour Covage. Une performance encore trop faible, et encore plus si on considère les TPE de 1 à 5 salariés où ce taux ne dépasse pas les 20%.

Car on le sait, la fibre optique constitue l’épine dorsale de la transformation numérique des entreprises, afin d’accéder notamment au cloud, à la téléphonie IP, à l’échange de fichiers lourds, à la fluidité et donc à la compétitivité.

Pourquoi un taux si bas alors que la couverture ne cesse de progresser et que les abonnements grand public connaissent une croissance rapide ? Manque d’information ou offre peu adapté au B2B ?

Force est de constater que contrairement au marché des télécoms grand public où la concurrence fait rage, celui des télécoms pour les entreprises (B2B) semble figé depuis des décennies. Orange Business Services, filiale d’Orange, détient une part de marché d’environ 65/70% grâce à son historique et son empreinte territoriale, suivi par SFR Business qui revendique environ 20% du marché. Pour les autres opérateurs, il faut se partager les miettes.

Un gâteau à 10 milliards

Le gâteau est pourtant imposant : le marché B2B des télécoms est évalué à 10,6 milliards d’euros (chiffre de 2017) mais il échappe en grande partie aux « petits » à cause, pour certains acteurs, des conditions et des tarifs « de gros » imposés par Orange à ses clients opérateurs qui souhaitent emprunter son réseau, étape quasi-obligatoire même pour ceux qui déploient leurs propres réseaux.

Certes, les opérateurs nationaux comme Bouygues Telecom et SFR multiplient les initiatives à coups de rachats d’opérateurs spécialisés. Les « petits » acteurs montent en puissance. Mais ça ne suffit pas.

En 2017/2018, l’Arcep, le régulateur des télécoms a ainsi mis en place un certain nombre de mesures pour animer la concurrence en contraignant Orange via des offres dédiées pensées pour les PME (tarifs abordables, garantie de rétablissement mais fibre mutualisée) et en faisant émerger un troisième acteur national : Kosc. Cette régulation considérée comme « a minima » par la concurrence n’a pas eu les effets escomptés.

En effet, dans son dernier rapport sur l’Internet fixe qui doit fixer le cadre de la régulation pour la période 2020-2023, l’Arcep change de ton et souligne à nouveau que « le marché BtoB de la fibre optique n’est pas suffisamment concurrentiel ».

Elle propose une régulation encore plus contraignante, en termes d’accès à son réseau, d’offres afin de permettre aux opérateurs alternatifs d’être bien plus concurrentiels. « L’Autorité s’interroge aujourd’hui sur les garanties supplémentaires de non-discrimination qu’il serait nécessaire d’imposer à Orange. En particulier, compte tenu des parts de marché d’Orange notamment sur le cuivre dans un contexte de bascule du cuivre vers la fibre, l’Autorité s’interroge sur la nécessité d’analyser des modes d’action anti discrimination plus structurels ».

Changement de ton face à Orange

« Nous avons attendu près de 3 ans cette lecture honnête du marché B2B en particulier malgré quelques commentaires que nous ferons lors de notre réponse à cette consultation. Hélas, nous avons le sentiment d'avoir perdu 3 ans car plusieurs essais du régulateur pour ouvrir plus d'espace de marché aux opérateurs alternatifs ont échoué ou prennent trop de temps et le souhait du régulateur de remettre le paquet sur la régulation d'Orange et peut être d'autres opérateurs d'infrastructures comme les RIP, sorte de nouveaux monopoles locaux, est une très bonne chose que nous soutenons », commente David Marciano, Président AOTA, une association qui regroupe 47 opérateurs alternatifs locaux ou régionaux.

Preuve du changement de ton de l’Arcep, qui visiblement commence à perdre patience face à Orange, l’Autorité a demandé l’ouverture d’une concertation auprès du Médiateur des entreprises, sur « les offres et la fiabilité des fournisseurs de services ». Cette concertation qui a eu lieu fin 2018 a abordé notamment cette question de la concurrence sur le réseau fibre optique et en particulier, l’accès au réseau d’Orange. La première réunion, dans le cadre de cette médiation de filière, a réuni, tous les acteurs (grands opérateurs, alternatifs, virtuels, intégrateurs) ayant accepté de participer aux échanges.

Reste que pour la concurrence, il faut aller plus loin. En 2018, l’AOTA saisissait l’Autorité de la concurrence en demandant la séparation fonctionnelle d’Orange en deux entités distinctes : le réseau et le volet commercial. L’arme ultime. Cette séparation a déjà été appliquée pour EDF ou encore la SNCF. Mais dans les télécoms, seul le Royaume-Uni a osé passer à l’acte.

Bombe atomique

Pourquoi séparer Orange ? La concurrence estime qu’Orange ne les informe pas de la disponibilité d’offres dans certaines zones, réservant ces informations à ses propres équipes commerciales, ce qui leurs permet d’avoir un temps d’avance sur les alternatifs. Par ailleurs, grâce à son empreinte et son poids, la concurrence ne serait pas en mesure de proposer des offres compétitives face à Orange.

« Nous estimons simplement qu’Orange empêche à la concurrence de s’exercer sur le marché Entreprise et multiplie les actions pour freiner la pénétration commerciale de ses concurrents », expliquait alors David Marciano de l'AOTA.

En janvier, l’Autorité a n’a pas donné suite à cette saisine mais l’AOTA a annoncé une nouvelle procédure, pour les mêmes raisons estimant que l'opérateur historique jouit de son quasi-monopole sur le marché B2B pour imposer des pratiques anti-concurrentielles. 

Et du côté de l'Arcep, la séparation fonctionnelle n'est plus tabou. « Nous ne voulons pas démanteler l'opérateur. Mais l'idée serait d'obliger Orange, sur le marché des entreprises, à séparer très fortement les entités en charge de la vente en gros de celles en charge de la vente au détail », déclarait son président à la Tribune. 

Bref, les lignes bougent sur le marché B2B des télécoms, mais elles bougent très lentement.

Olivier CHICHEPORTICHE