BFM Business
Culture loisirs

Films à la télévision: le CSA joue les pères la pudeur

"Les Kaïra", film autorisé pour tous publics en salles, doit être déconseillé aux moins de 12 ans à la télévision, affirme le CSA

"Les Kaïra", film autorisé pour tous publics en salles, doit être déconseillé aux moins de 12 ans à la télévision, affirme le CSA - Gaumont

Le gendarme de l'audiovisuel applique aux films diffusés à la télévision une classification plus restrictive que celle utilisée lors de la sortie en salles.

La classification des films en salles fait l'objet d'un vif débat. Moins discutée, la classification des films à la télévision est tout aussi problématique. Elle prend la forme d'un petit pictogramme en bas à droite de l'écran qui indique un âge. Par exemple, un pictogramme "-10" signifie que le film est déconseillé aux moins de 10 ans. 

Le choix de cet âge est effectué par la chaîne. Toutefois, un contrôle après diffusion du film est effectué par le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel). Si ce dernier estime que la chaîne a été trop laxiste, alors il peut lui taper sur les doigts, sous la forme d'un courrier, ou, plus rarement, sous la forme d'une sanction. Il a ainsi adressé des mises en garde à Ciné Cinéma ou Antenne Réunion.

Particulièrement prude

Ce qui est surprenant, c'est que le gendarme de l'audiovisuel est plus sévère que pour la sortie en salles. Il exige que l'âge minimal soit plus élevé que celui du visa pour la sortie en salles. Une rigueur parfaitement assumée par le CSA, qui s'en explique dans son rapport annuel (cf. encadré ci-dessous).

Le régulateur apparaît même souvent comme particulièrement prude. On trouve ainsi plusieurs films autorisés en salles pour tous publics, mais dont le CSA exige qu'ils soient déconseillés aux moins de 12 ans à la télévision. Ce qui a une conséquence importante: le film doit alors être diffusé après 22h (les chaînes ont toutefois quatre dérogations par an pour diffuser à 20h30 un film déconseillé aux moins de 12 ans).

C'est ce qui est arrivé aux Kaïra de Franck Gastambide, que le CSA déconseille aux moins de 12 ans "compte tenu de la crudité du langage, de la présence de plusieurs scènes à caractère sexuel et de l’évocation de l’univers de la pornographie". De même, pour le teen movie américain Supergrave, produit par Judd Apatow, en raison de "scènes et propos à connotation sexuelle", dixit le CSA. Ou encore Polisse de Maïwenn, car il parle "pédophilie, inceste, mariage forcé et prostitution". Idem pour le polar 7h58 ce samedi là, de Sidney Lumet, en raison de "scènes de violence, qui se déroulent dans un cadre familial". Ou encore le film d'espionnage Mensonges d'Etat de Ridley Scott, en raison de "scènes de torture". Ou bien le film de guerre Les messagers du vent, de John Woo, à cause de "scènes de combats très réalistes". Même punition pour le Serpent, d'Eric Barbier, au prétexte du "climat angoissant, des scènes de violence et de l'implication d'enfants mis en danger". Ou encore le thriller Harry, un ami qui vous veut du bien, de Dominik Moll, au prétexte de "scènes et situations angoissantes".

Quant au Smoking avec Jackie Chan, il doit être déconseillé aux moins de 10 ans, en raison de "nombreuses scènes de violence". Et l'Ennemi intime, le documentaire de Patrick Rotman sur la guerre d'Algérie, ne devrait pas être vu en dessous de 16 ans pour ses "récits de torture et images difficiles"...

Sans tenir compte de l'évolution de moeurs

Mais ce n'est pas tout. Lorsque le film a été interdit en salles aux moins de 12 ans, cela ne suffit pas au CSA qui exige parfois qu'il soit déconseillé aux moins de 16 ans, ce qui, en pratique, interdit toute diffusion avant 22h30. Une telle punition a été appliquée à Drive, de Nicolas Winding Refn, à cause de "scènes de grande violence". Ou à Intimité, de Patrice Chéreau, coupable de contenir des "scènes à caractère sexuel très réalistes". Ou encore à deux films de David Cronenberg: A history of violence et Les promesses de l'ombre, au motif de "scènes de grande violence". Même punition pour C'est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux, en raison de "multiples scènes d'extrême violence". 

On trouve aussi des cas où le gendarme de l'audiovisuel ordonne d'appliquer une vieille interdiction en salles, sans tenir compte de l'évolution des moeurs. Ainsi, il exige que 1900 de Bernard Bertolucci soit déconseillé aux moins de 16 ans comme lors de sa sortie en salles... il y a 20 ans! Il estime que Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg ou Guet apens (1973) de Sam Peckinpah, interdits aux moins de 12 ans lors de leur sortie en salles, doivent le rester. De même, les Oiseaux d'Alfred Hitchcok, doivent rester déconseillés aux moins de 12 ans. Quant à l'Empire des sens de Nagisa Oshima, interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en salles en 1976, le CSA estime qu'une diffusion à 22h30 reste "inappropriée au regard de nombreuses scènes à caractère pornographique et de grande violence".

Boulets rouges

Cette politique du CSA est vertement critiquée par les professionnels. "Sous un gouvernement de droite comme celui de Giscard, je voyais à 20h30 à la télévision des films comme Délivrance, Taxi driver [interdits en salles aux moins de 12 ans], les Chiens de paille ou Portier de nuit [interdits en salles aux moins de 16 ans]. Il y avait juste un petit carré blanc. A l'époque, la télé prenait les gens pour des adultes. Des millions des gens les ont vus. La France s'en est très bien portée...", racontait le réalisateur Gaspard Noé, lors des rencontres cinématographiques de Dijon.

Florence Gastaud, déléguée générale de la société des Auteurs réalisateurs producteurs, ajoutait: "Normalement, plus une société avance, et plus les esprits s'ouvrent. Or le CSA met aujourd'hui en moins de 16 ans un film qu'il mettait en moins de 12 ans il y a dix ans. C'est un renfermement total. On voit une forme de néo-obscurantisme arriver avec le classement du CSA qui est extrêmement dérangeant".

Le réalisateur Hervé Bérard ajoutait: "On ne sait pas qui décide au CSA, il n'y a pas de représentant de la profession". Et concluait: "Le CSA est l'organisme de censure en France, puisqu'il provoque l'auto-censure partout. Le CSA ne contrôle pas les émissions avant diffusion, mais vous avez des ennuis si vous n'êtes pas sage. Donc les directeurs de chaînes se demandent du matin au soir ce que va dire le CSA, si le CSA va les emmerder..."

Les justifications du CSA

"Le CSA veille à ce que la classification attribuée aux films lors de leur sortie en salle soit renforcée par les chaînes de télévision lors de la diffusion de l’oeuvre à la télévision, lorsque cela est nécessaire, comme le prévoit l’article 2 de la recommandation du 7 juin 2005 sur la classification des programmes et la signalétique jeunesse. Cela se justifie par la nécessaire prise en compte du contexte de visionnage, différent au cinéma et à la télévision, et par la portée de chacune de ces mesures de classification. Dans le cas d’une projection en salle, le téléspectateur effectue la démarche de se rendre au cinéma, alors qu’une diffusion à la télévision accroît le risque d’exposition des mineurs à des programmes qui ne leur sont pas adaptés, ce qui peut justifier un éventuel renforcement de la classification. Par ailleurs, alors que le visa pris par le ministre de la culture conditionne le droit d’accès des mineurs aux salles de projection et qu’il peut énoncer une interdiction d’accès, la signalétique apposée par les chaînes consiste simplement à déconseiller certains programmes et à adapter l’horaire de diffusion à leur contenu, mesure moins contraignante par ses effets et qui peut donc justifier une classification plus protectrice du jeune public".

Source: rapport annuel 2007 du CSA

La classification du CSA

Films tous publics en salles et déconseillés aux -12 ans par le CSA Polisse de Maïwenn* Mensonges d'Etat de Ridley Scott Les Kaïra de Franck Gastambide Supergrave de Greg Mottola Les chevaliers du vent de John Woo* Anaconda de Luis Llosa Le serpent d'Eric Barbier* 7h58 ce samedi là de Sidney Lumet Harry un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll Black book de Paul Verhoeven Le chacal de Michael Caton-Jones Feu de glace de Chen Kaige Pluie d'enfer de Michael Salomon

Films interdits aux -12 ans en salles et déconseillés aux -16 ans par le CSA
Drive de Nicolas Winding Refn
Hannibal de Ridley Scott
Apocalypto de Mel Gibson
Intimité de Patrice Chéreau
Les promesses de l'ombre de David Cronenberg*
A history of violence de David Cronenberg
La peur au ventre de Wayne Kramer*
C'est arrivé près de chez vous de Rémy Delvaux
Silent hill de Christophe Gans
30 jours de nuit de David Slade
Destination finale 3 de James Wong
Extremities de Robert M. Young
La revanche des morts vivants de Peter B. Harsone et Pat Aubin

*visa en salles assorti d'un avertissement

Sources: CSA, CNC

Jamal Henni