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Fiscalité : Pour sauver la croissance, ne touchez à rien !

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En dix ans, 305 lois, 110 ordonnances, 1 200 textes réglementaires auront modifié les règles fiscales : 1 337 articles du CGI auront été créés, 647 abrogés et 8 386 modifications auront touché les articles du Code.

S’il y avait un championnat du monde de la créativité fiscale, le gouvernement d’Edouard Philippe aurait peu de chances de louper la première marche du podium. Car après un début de quinquennat marqué par la baisse spectaculaire de quelques impôts (sur les revenus du capital, sur la fortune, sur l’habitation), il ne passe pas une semaine sans qu’un membre du gouvernement ou de la majorité lance une nouvelle idée d’augmentation ou de modification d’impôt, la plupart du temps au nom de la justice fiscale.

Rien que ces derniers jours, les propositions se sont multipliées : Un ISF vert, un ISF pour ressusciter la niche fiscale PME, la mise sous condition de ressources des niches fiscales, et pourquoi pas la taxation des plus-values lors de la vente de sa résidence principale ? Et on citera pour mémoire, les suggestions de nouvelles ressources pour financer les infrastructures, de redevance audiovisuelle qui serait payée même par ceux qui ne possèdent pas de téléviseur, de surveillance accrue des transactions sur les sites comme leboncoin.fr ou AirBn'B au nom de la lutte contre la fraude fiscale, ou de nouvelle réforme des droits de succession.

Ce faisant, le gouvernement d’Edouard Philippe est fidèle à cette longue tradition française de créativité et d’instabilité fiscale, dans un pays ou les élus considèrent trop souvent qu’il suffit de voter une nouvelle loi et un nouvel impôt pour résoudre un problème. Résultat : selon les calculs de l’ancienne directrice de la législation fiscale Véronique Bied Cherreton publiés par la revue Etudes, le Parlement adopte chaque année plus de 200 dispositions fiscales qui modifient plus de 800 articles du Code général des impôts, soit un sixième du Code. 3500 à 4000 amendements sont déposés chaque année par les parlementaires. En dix ans, 305 lois, 110 ordonnances, 1 200 textes réglementaires auront modifié les règles fiscales : 1 337 articles du CGI auront été créés, 647 abrogés et 8 386 modifications auront touché les articles du Code.

Soit une agitation fiscale très supérieure à celle de nos grands voisins. La Cour des Comptes a constaté par exemple qu'en France l'impôt sur les sociétés avait été modifié quarante fois de 2004 à 2009, deux fois plus qu’en Allemagne !

Et même si beaucoup des dernières propositions du gouvernement ne se concrétiseront pas, elles produisent sur les ménages et les entreprises un sentiment d’insécurité financière et stratégique qui coûte cher en croissance et détruit l’efficacité de toute mesure fiscale avant même qu’elle ne soit prise.

Les consommateurs ? Le résultat du baromètre BFM Business-Aviva-Odoxa est édifiant: quand on demande à ceux qui vont bénéficier de la prime exceptionnelle que les entreprises vont leur verser à l’incitation d’Emmanuel macron, seule une minorité de bénéficiaires potentiels la dépensera (41%). 30% des Français ont l’intention de la laisser sur le compte-courant, et ils sont aussi nombreux à vouloir placer cet argent sur un compte qui rapporte, Livret A, assurance-vie, PEA etc… un réflexe conditionné par des années de mauvaises surprises fiscales.

Le pire ? L'incertitude fiscale 

Les ménages qui veulent investir ? Chaque année, les enquêtes réalisées par les professionnels de l’immobilier indiquent que le principal frein à l’investissement dans la pierre est « la variation fréquente de la législation fiscale et l'insécurité juridique entraînée par la rétroactivité de certaines mesures fiscales ». 

Le fléchage de l’épargne vers les entreprises ? Comme le montre une récente étude de l’association 2° Investing Initiative, le système d’orientation par la fiscalité de l’épargne vers l’investissement est inefficace, victime de dispositions trop nombreuses et parfois incohérentes à force d’être sédimentées au fil des années. Et la loi Pacte va encore changer la donne, mais avec quelle crédibilité sur la durée de vie des mesures annoncées ?

Quant aux entreprises, rien n’est pire pour elle que l’incertitude fiscale. Selon l'OCDE, l'impossibilité d'avoir une vision stable du régime fiscal et social vient en tête des raisons avancées par les étrangers pour renoncer à un investissement en France. Et c’est encore pire de prendre une décision avec l’épée de Damoclès de la rétroactivité au dessus de la tête. « Quand on bâtit un plan stratégique sur 5 ou 10 ans, on peut s’adapter à une fiscalité élevée, pas à une fiscalité instable » assure Patrick Dixneuf, le directeur général d’Aviva France.

L’enquête menée il y a quelques années par le cabinet TAJ auprès de 450 chefs d'entreprise indique ainsi que 6 patrons sur 10 préfèrent des règles lisibles et stables sur la durée d’un quinquennat à une baisse d'impôts ! Et pour 78 % des 1 600 entrepreneurs interrogés par l'association "Parrainer la Croissance" avant l’élection présidentielle de 2012, la première décision que devrait prendre un gouvernement pour relancer l'emploi et l'économie serait de garantir un cadre réglementaire et fiscal immuable sur cinq ans.

A ce niveau de défiance fiscale, la meilleure garantie de faire un tabac pour un prochain candidat à l’élection présidentielle ne sera pas de promettre de tout changer, mais de ne toucher à rien…