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Gabriella Cortese (Antik Batik) : "On a recommencé à sourire"

Gabriella Cortese a créé Antik Batik en 1992.

Gabriella Cortese a créé Antik Batik en 1992. - Crédit : Antik Batik

Après un redressement judiciaire et des années difficiles, la créatrice d’Antik Batik redéploie avec passion sa marque bohème-chic, sur internet et à travers des concept stores. Après celui du Marais, un deuxième doit ouvrir ses portes à Saint Germain-des-Prés ce mois d’avril. Portrait.

De la petite rue du troisième arrondissement de Paris, on ne devine pas vraiment ce qui se trame au coeur de l’« Atelier » d’Antik Batik. Passé la porte, on entre dans une jolie boutique, où des robes et des blouses sont élégamment présentées sur des portants espacés, comme cela se fait de plus en plus. Derrière une deuxième porte, c’est une explosion de couleurs chaudes, avec des céramiques rouges, des sacs à mains à franges, des dessins de femmes accrochés aux murs fleuris, avec les mêmes imprimés que ceux des banquettes, qui ont été imaginés par la maîtresse des lieux (cf. photo).

Retardée par la circulation, Gabriella Cortese s’excuse platement. Très élégante en pull bleu et pantalon blanc évasé, pas maquillée, elle accepte de nous faire le récit de sa renaissance. « Ce qu’il y a de très intéressant quand on se met en discussion, que l’égo en prend un coup, explique-t-elle avec son accent italien, c’est qu’on fait les choses comme on les sent, avec la fraîcheur du début ».

La première fois que Gabriella Cortese a créé Antik Batik, c’était au début des années 90. Au détour d’un voyage en Indonésie, la jeune fille de bonne famille turinoise, étudiante à la Sorbonne et danseuse au Crazy Horse la nuit, a eu un coup de foudre pour des paréos. De retour en France, elle a montré ses croquis à des contacts dans des rédactions parisiennes. Avec deux autres amis, ils ont mis chacun deux mille francs sur la table, et, de présentation en salon, cela a pris.

Remise à plat 

Les vêtements Antik Batik, brodés à la main pour la plupart en Inde, sont rapidement devenus une référence de la mode hippie-chic. Mais la croissance a été trop rapide... « On a grandi vite et on a mal piloté », raconte Gabriela Cortese. Résultat : en 2016, Antik Batik a été placé en redressement judiciaire. Cinq ans plus tôt, en 2011, la créatrice avait perdu son mari et père de son fils, l’acteur Marc Rioufol.

Après ces années terribles, elle a décidé de tout remettre à plat pour faire repartir sa marque : Fermeture des boutiques pas rentables, redéploiement des réseaux multi-marques… « C’est très dur, témoigne-t-elle, parce que vous êtes seule et qu’on vous met des peaux de banane par terre, c’est un monde sauvage… Mais c’est bien aussi, ajoute t-elle, ces moments de solitude, parce que ce sont des moments de grande réflexion et qu’il n’y a pas d’espace pour la perte de temps, donc vous allez droit au but ». « La nécessité apprend la vertu, dit-elle encore. On apprend à faire avec peu ».

La créatrice d’Antik Batik travaille beaucoup, « jour et nuit ». Elle a réduit ses équipes à une dizaine de personnes et travaille à « faire savoir son savoir-faire ». Elle a notamment veillé à bien s’entourer.

« Main de fer dans un gant de velours »

« Il faut du tempérament pour se relever de tout ça », estime Catherine Mac Garry. Après avoir travaillé plusieurs années pour le magazine Elle, elle a rejoint Gabriella Cortese il y a un an pour l’aider à redéployer sa marque. Elle décrit « une femme admirable », qui « ne se plaint jamais », une « guerrière », « capitaine de navire », une « main de fer dans un gant de velours »…

« Elle a un côté très sphynx », confirme Marie Perron, sa belle-soeur, qui est illustratrice. C’est elle qui a fait les dessins qui sont accrochés aux murs du « boudoir ». Elle a aussi inventé une vitrine, intitulée « la dolce vita rocks », qui représente bien, d’après elle, Gabriella Cortese, en ce qu’elle est : « un peu punk et en même temps très exigeante ».

Marie Perron se rappelle de la première fois qu’elle a rencontré la créatrice d’Antik Batik, dans une soirée branchée, il y a seize ans, puis à l’inauguration d’une boutique de la marque, rue de Turenne, à Paris : elle s’en souvient comme d’un moment peu commun dans cet univers de la mode, « hyper généreux », avec des plats de lasagnes et du bon vin italien qui circulaient entre les convives… Elle est comme ça, Gabriella Cortese, d'après sa belle-soeur, « à la fois très business, très battante et mamma italienne »…

Mamma, elle l’est d’abord pour son fils Nicola, douze ans, qu’elle a emmené tout petit dans ses voyages en Inde. À l’époque, elle y allait à chaque fois pour des séjours d’un mois et demi. Aujourd’hui, elle part une dizaine de jours, quatre à cinq fois par an. Antik Batik travaille avec une vingtaine d’usines dans le monde, notamment en Inde, un pays qu’elle a appris à connaître parfaitement.

« Une marque éthique avant qu'elle ne le sache »

C’est d’ailleurs pour cela que Gabriella Cortese a été invitée à accompagner Emmanuel Macron, l’an passé, pour son voyage officiel là-bas. Elle lui a alors conseillé la marche à suivre pour développer les relations économiques: « Je lui ai dit, allez-y avec le coeur et revenez-y chaque année! », explique-t-elle. Elle alerte : « Nous, les occidentaux, on a tendance à arriver comme des conquérants, sauf qu’en Inde, il y a des très pauvres, mais aussi des très riches qui font venir des stars comme Beyoncé pour leurs spectacles »!

Gabriella Cortese insiste aussi sur le fait qu’il faut prendre son temps pour y établir de bonnes relations. Pas du tout langue de bois, alors que beaucoup misent sur le Made in France, elle assume parfaitement de produire en Inde et de proposer des pièces à « des prix potables », avec des broderies sur lesquelles les artisans peuvent passer « jusqu’à quarante heures ».

« La marque a été éthique bien avant qu’elle ne le sache », poursuit Gabriella Cortese, qui a fait installer l’air conditionné dans les usines partenaires et qui veille à ce que le personnel soit respecté. Elle part d’un principe simple, qu’elle explique aux chefs d’entreprises sur place : Pour que la qualité de la marque perdure et qu’elle continue de travailler avec eux, il faut que le personnel, qui est habitué à produire ses vêtements, reste. Elle plaide aussi pour que certains artisans soient protégés par l’Unesco.

« On a retrouvé le sourire »

Avec ses partenaires indiens et l’équipe d’Antik Batik, elle semble en tous cas optimiste. « On a retrouvé le sourire », explique t-elle, en associant le geste à la parole. A 54 ans, Gabriella Cortese « s’amuse ». Selon Catherine Mac Garry, elle n'a « jamais perdu le fil rouge de sa marque », qu'elle modernise. 

Certes, il lui semble plus difficile d’entreprendre aujourd’hui qu’il y a trente ans, à cause des « contrôles plus nombreux et de la difficulté à trouver des clients multi marques »… Sans compter que « quand on est créative, on n’est pas femme d’argent », affirme Gabriella Cortese, qui a appris la gestion « sur le tas ».

Quand elle ne travaille pas, elle s’accorde des vrais « moments off ». Tous les ans, elle part notamment se ressourcer à la montagne, persuadée de l’importance de savoir « se mettre au vert ».

Et les efforts finissent par payer puisqu’aujourd’hui, explique-t-elle, Antik Batik dépasse ses objectifs. Le but de Gabriella Cortese, c’est surtout de bien imprimer son univers, sa marque de fabrique... « Les choses belles, assure t-elle, arrivent, parce qu’on est différents ».