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Gilets jaunes: pression sur les entreprises

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Au-delà des pertes de chiffre d'affaires, les entreprises vont devoir lâcher primes et augmentations de salaires.

«Maintenant il faut y aller! » C'est Muriel Pénicaud qui a lancé l'appel à la fin de la semaine dernière sur BFMbusiness: « face à l'urgence sociale absolue, tout le monde doit faire sa part, ça va être le moment des négociations salariales, que les grandes entreprises montrent l'exemple, il y en a beaucoup qui sont prêtes à le faire, qui le disent, et il y a des branches qui ont fait l'accompagnement des salaires dans les entreprises, d'autres moins. Je sais qu'elles sont prêtes à le faire, il faut le faire ». Déclaration qui sème le désarroi dans les rangs patronaux. Les grandes entreprises sont évidemment prêtes à un geste, selon les informations de BFMbusiness, certains des grands patrons du CAC 40 étaient lundi dernier autour de Bruno Le Maire : Benoit Potier (Air Liquide), Alexandre Bompart (Carrefour), Thomas Buberl (Axa), ou encore les patrons de Valéo et Vinci, pour tenter d'élaborer des solutions qui n'abîment pas la compétitivité du pays. Mais pour les autres, la question est beaucoup plus complexe.

«P... je ne comprends rien»

L'ancien président de Croissance Plus et co-fondateur de l'ETI Devoteam, l'a écrit clairement sur Twitter: « l'année dernière selon le gouvernement les entreprises étaient responsables de la perte de compétitivité de l'éco française du fait d'une politique salariale trop laxiste. Cette année c'est le contraire il faut lacher du lest. P... je comprends rien. Qui peut m'expliquer ? » Même commentaire du patron d'Orientis, Sylvain Orebi: « je ne suis absolument pas d'accord avec cette idée que les entreprises doivent régler la note en fin de course pour des erreurs de management politique. J'ai été associé à la loi PACTE, on avait de grands espoirs de simplification pour retrouver des marges de manœuvre, ce n'est pas du tout ce qui était prévu ». Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du MEDEF, est lui aussi monté au créneau, dès vendredi dernier : « les entreprises sont en train de devenir les boucs émissaires de la révolte fiscale, c'est le sapeur Camember (qui bouchait les trous qu'il venait de creuser pour en creuser d'autres), je supprime un impôt pour les ménages et comme je ne réduis pas les dépenses publiques, je me tourne vers qui? Vers les entreprises. Qu'est-ce qui va se passer si on se tourne vers les entreprises pour augmenter les impôts ? il y aura malheureusement le chômage qui va repartir à la hausse, c'est ce qui se passe depuis 30 ans dans ce pays ».

Concrètement, l'idée qui semble aujourd'hui faire à peu près consensus c'est celle d'une prime exceptionnelle qui ne serait soumise à aucun impôt ni à aucune cotisation sociale. « Dans les conditions dans lesquelles nous sommes il ne peut plus y avoir de bonne solution » commente l'économiste Olivier Babeau, « celle-là est la moins mauvaise: si elle n'est pas obligatoire, elle n'affaiblit pas les entreprises, elle ne touche pas non plus à la compétitivité du fait de son caractère exceptionnel ». « Attention toutefois », précise François Ecalle, spécialiste de finances publiques, « elle n'est pas forcément neutre pour le budget de l'état, il peut y avoir des effets d'aubaine, avec des entreprises qui passent en primes défiscalisées des sommes qui auraient été versées de toutes façons en fin d'année ». Bercy, conscient de ce risque a déjà prévenu que la prime serait plafonnée, sans doute autour de 1000€.

IS, heures sup, prime mobilité

Le gouvernement pourrait-il exiger plus? Notamment une hausse du SMIC? Muriel Pénicaud l'écartait vendredi: « nous sommes très soucieux de la trésorerie des petites entreprises en ce moment, il ne faut rien faire qui les fragiliserait dans cette période, on sait que ça détruit des emplois, donc ce n'est pas la bonne méthode », mais le Premier ministre avait été plus ambigu, se disant ouvert à « toute réflexion qui ne pénaliserait pas excessivement la compétitivité »

Au-delà d'une prime défiscalisée, que peut-il se passer? Report de la baisse de l'impôt sur les sociétés ? « L'idée a le mérite de ne toucher, par définition, que les entreprises qui vont bien et paient cet impôt sur les bénéfices, mais il enverrait un signal très négatif à l'international » commente un expert. Avancer la mise en place des heures supplémentaires subventionnées? La mesure fait consensus, mais elle est coûteuse pour des finances publiques déjà soumises à rude épreuve, et dans le climat économique très dégradé, rien n'indique que les heures supplémentaires seront légion. Reste le considérable chantier des primes transport et mobilité. Là un autre acteur entre dans le jeu: les collectivités locales qui perçoivent aujourd'hui la prime transport versées par les entreprises de plus de 50 salariés, elles n'ont pas l'intention de se laisser dépouiller et le gouvernement a redécouvert les vertus des corps intermédiaires pour faire face à l'urgence sociale. Le MEDEF est « prêt à une concertation pour aider les 5 millions de salariés qui ne sont pas couverts par une prime transports » mais la CPME prévient qu'il faut que ce soit fait sur la base du volontariat « parce que la situation des entreprises ne permet pas de la généraliser ». Or, pour la CFDT, cette prime doit être obligatoire.

La CFDT qui veut d'ailleurs profiter de la situation pour « des mesures structurelles de soutien aux bas salaires ». « La vraie solution » ajoute Laurent Berger, « c'est comment on répartit mieux les richesses à travers les politiques de rémunération dans les entreprises et les branches et comment on a une fiscalité beaucoup plus juste qui fait que les hauts revenus contribuent davantage au bien commun » Une question qui dépasse largement les questions immédiates de la fin décembre. « On ne va pas détricoter tout ce qu'on a fait depuis 18 mois » disait Emmanuel Macron mercredi dernier, semblant, pour l'instant, mettre des limites aux concessions possibles.