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Gilles Bonan (Roche Bobois), le "French art de vivre"

Gilles Bonan dirige Roche Bobois depuis dix ans.

Gilles Bonan dirige Roche Bobois depuis dix ans. - Crédit: Roche Bobois

Entré en bourse en juillet dernier, Roche Bobois publie un chiffre d’affaires consolidé en hausse de près de 5% sur un an et compte garder le rythme d’une ouverture par mois. Président du directoire depuis dix ans, Gilles Bonan a réussi à imposer sa patte dans cette entreprise familiale. Portrait.

Pile à l’heure, poignée de main chaleureuse, pas alerte et chemise blanche impeccable, Gilles Bonan nous accueille au siège de Roche Bobois, près de la Gare de Lyon. Les bureaux sont au fond d’une petite cour, sous une verrière, en haut d’un petit escalier, au-dessus d’un immense showroom avec différentes salles, différentes ambiances, des meubles colorés et une petite musique de fond. La salle de réunion, vitrée, est complètement épurée. Affable, Gilles Bonan, 51 ans, accuse quand même un peu le coup, puis il rit, quand il prend conscience que cela va faire vingt années qu’il est arrivé chez Roche Bobois. Il semble ne pas les avoir comptées.

« J’ai rencontré François Roche, cofondateur du groupe juste à côté, là », raconte-t-il. « François Roche avait 63 ans et il m’a expliqué qu’il avait cinq enfants qui n’avaient pas forcément vocation à reprendre la boîte ». Lui, était alors dans le secteur automobile. Diplômé de HEC et en droit des affaires, il avait commencé sa carrière par trois ans dans le cabinet d’audit Mazars, puis trois ans chez General Motors, qui était alors le premier constructeur au monde et il ressentait l’envie de voir autre chose et « de sortir du ghetto de la finance ». Avec François Roche, l’entente a été immédiate, « tripale ». À son contact, Gilles Bonan a appris à tout faire dans l’entreprise... Il a acquis cette vision à 360 degrés qu’il recherchait.

« J’ai toujours eu l’impression qu’il était un peu de la famille », commente Christophe Delcourt, designer chez Roche Bobois, qui est devenu un proche. « Gilles Bonan est très humain, très accessible, comme les Roche. Il y a comme une filiation ». L’arrivée dans cette entreprise familiale s’est donc faite le plus naturellement du monde, visiblement sans heurts, et vingt ans plus tard (il tique), Gilles Bonan est président du directoire. Deux des enfants Roche travaillent chez Roche Bobois comme directeur de collection et general manager.

« Il a déringardisé Roche Bobois », T. Sotto

Fils d’un employé de banque et d’une professeur de musique, Gilles Bonan est né en banlieue parisienne, à Saint-Denis (93) et il a grandi à Villeneuve-la-Garenne (92), au sein d’une fratrie de quatre garçons, qui ont tous fait de belles carrières, dans l’entrepreneuriat, la justice ou la médecine. Amateur de décoration, mais sans formation particulière dans ce domaine, il a appris son métier au contact des Roche. « Quand j’ai commencé à collaborer avec eux, se rappelle Christophe Delcourt, Gilles Bonan était toujours un peu en retrait. Mais il s’est fait vraiment une éducation du meuble et aujourd’hui il est dans la partie, force de proposition ».

Posé et souriant, le patron de Roche Bobois se raconte assez facilement et cache sa pudeur derrière des traits d’esprit. « Il a toujours été le gentil mec qu’il est aujourd’hui, marrant et attentionné, mais ça ne l’empêche pas d’être un businessman affuté », explique le journaliste Thomas Sotto, son « plus vieil ami ». Ils se sont connus il y a plus de quarante ans, alors que le grand frère de Thomas Sotto venait prendre des cours de piano chez la maman de Gilles Bonan. « On disait de lui que c’était un nounours, raconte le journaliste, mais un nounours, il ne faut pas lui piquer son miel » ! Il décrit quelqu’un de gourmand, un bon vivant, qui est en même temps exigeant, avec « une détermination, un truc dans le regard, qui se refroidit dans la sphère professionnelle ».

Gilles Bonan « a déringardisé Roche Bobois », assure Thomas Sotto. Aujourd’hui en tous cas, le spécialiste du meuble haut de gamme domine son secteur et il s’exporte, en Europe, bien sûr, mais aussi en Asie et aux États-Unis, qui est son deuxième marché et le premier contributeur au chiffre d’affaires. « Il a fait un travail colossal sur le réseau. C’est vraiment grâce à lui que la boîte existe à l’étranger », acquiesce Christophe Delcourt. En 2018, Roche Bobois a fait 65% de son volume d’affaires hors de France.

Cette expansion, Gilles Bonan a du batailler pour la mener à bien. En insistant d’abord pour remettre de l’ordre chez les franchisés aux États-Unis, qui ne mettaient pas la marque assez en valeur selon lui. Ou pour rester en Allemagne, premier marché européen du meuble, alors que des fonds d’investissements, qui étaient au capital, faisaient pression pour s’en aller. Cela a été possible grâce au soutien des famille fondatrices, salue Gilles Bonan, qui apprécie le sens du « temps long », inhérent aux entreprises familiales, même s’il est conscient de cette « responsabilité supplémentaire » qui lui incombe parce qu’il « représente une famille qui n’est pas la sienne ».

« On consolide plus que jamais »!

Après avoir publié un chiffre d’affaires de 257 millions d’euros et une croissance solide de +4,8%, à taux de change constants, Roche Bobois entame cette nouvelle année en comptant bien garder le rythme d’une ouverture par mois. « On consolide plus que jamais », martèle le dirigeant. Les perspectives sont aussi du côté du B to B (hôtellerie, espaces de coworking…) et du e-commerce. Il y a six mois, Gilles Bonan a introduit le groupe sur Euronext. Pas mécontent que cette période « assez rythmée », soit derrière lui, il est tout de même « content de l’avoir fait ». Ses « respirations », ce sont sa famille, sa fille de huit ans, Honfleur, la guitare classique et une passion pour les vieilles voitures... 

Après près de vingt ans dans la même entreprise, dix ans en tant que patron, Gilles Bonan ne semble pas lassé, au contraire. Le cinquantenaire, plutôt bonhomme, a développé un goût pointu pour l’esthétique, le bois et l’artisanat. « Force tranquille », selon Christophe Delcourt, Gilles Bonan incarne parfaitement le « French art de vivre », porté par sa marque… mais « discrètement », aussi, précise Thomas Sotto, « avec cet air un peu British de ne pas y toucher », il « a su se rendre indispensable à Roche Bobois ».

Pauline Tattevin