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Ikea ouvre à Paris : un tournant décisif pour la marque

Ikea prévoit d'investir 400 millions d'euros en France ces trois prochaines années pour implanter de nouveaux sites .

Ikea prévoit d'investir 400 millions d'euros en France ces trois prochaines années pour implanter de nouveaux sites . - -

Le géant suédois du mobilier a enclenché ce lundi un virage stratégique en ouvrant un 34e magasin en plein cœur de la capitale. Une petite révolution qu’il se devait d’opérer.

« Paris, tu l’aimes ou tu la kit ». Il y a moins d’une semaine commençait à fleurir une série de panneaux publicitaires sur les Abribus parisiens pour annoncer l’ouverture prochaine d’un magasin Ikea d’un nouveau genre. Un magasin du genre : intramuros. Ce jour est désormais arrivé et l’inauguration a eu lieu ce lundi 6 mai au matin.

Plus petit, pas de parcours client obligatoire, 1 500 produits disponibles à emporter et « une offre de restauration repensée », comme le précise sa directrice Annie Bétreau. Un Ikea nouvelle génération a donc vu le jour. Pourquoi nouveau ? Parce qu’une fois n’est pas coutume, il a été conçu par et pour répondre aux besoins des parisiens qui pourront y faire du yoga, apprendre à cuisiner sans déchets, ou encore se faire masser...

Une petite révolution pour le groupe et une 34e enseigne hexagonale qui rompt avec les coutumes du géant suédois. Lequel s’avère nettement plus habitué au fait d’implanter ses grandes boîtes bleues de 20 000 mètres carrés en périphérie des agglomérations du monde entier.

400 millions d’euros

Ce lundi 6 mai, Walter Kadnar, le directeur des activités du groupe suédois d'ameublement en France, s’est exprimé à l’occasion de l'inauguration de ce premier magasin intramuros situé dans le quartier de la Madeleine à Paris. Il a indiqué que la firme suédoise prévoyait d'investir pas moins de 400 millions d'euros en France ces trois prochaines années pour implanter de nouveaux sites et proposer, dans le même temps, de nouveaux services en centre-ville pour améliorer l’offre multicanale.

Et si le roi scandinave du meuble en kit s’est plié en quatre pour répondre aux attentes d’une clientèle parisienne, ce n’est pas seulement parce qu’il envisage de recréer du lien avec les urbains qui ne possèdent pas de voiture, mais davantage parce qu’il y est obligé.

Revoir ses fondamentaux

Il faut dire que le géant mondial de l’ameublement aux 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an est aujourd’hui confronté à quelques ralentissements. Ces dernières années, face à l’essor du e-commerce et de la vente d’occasion, il s’est vu dans l’obligation de réviser ses fondamentaux. Surtout qu’entre le roi du meuble en kit et le numérique, il y a un gouffre. Un gouffre que la firme scandinave tente donc aujourd’hui tant bien que mal de limiter.

Résultat : moins d’une année après le décès de son fondateur Ingvar Kamprad, le groupe a lancé en novembre 2018 un grand plan de transformation. Le but : supprimer 7 500 postes partout dans le monde (soit environ 5% de ses effectifs) et recruter de nouveaux profils plus à même de répondre aux enjeux du numérique. Jesper Brodin, le PDG d’Ingka group, la maison mère du réseau de magasins, avait d’ailleurs admis à l’époque que « la transformation du paysage de la distribution est d’une ampleur et d’une rapidité que nous n’avons jamais vues auparavant ». D’où l’ambition du groupe d’ouvrir un nouveau type de magasins dans trente métropoles, en plus de ses points de vente périphériques habituels, et de renforcer son offre digitale.

Le problème tient également au fait que ce qui fonctionnait jusqu’à présent se révèle nettement moins efficace aujourd’hui. Le parcours client imposé n’enchante plus les promeneurs qui manquent de temps pour visiter tous les rayons, estiment les spécialistes du secteur. En outre, s’ils apprécient toujours ce design nordique épuré à prix mini, ils tolèrent de moins en moins le fait de retrouver ces mêmes meubles dans leur entourage.

« Moins rentable »

En France, une première vague de restructurations doit donner lieu à la suppression de 74 postes en magasin (33 seront créés au niveau du siège social). Mais d’autres suppressions (par centaines cette fois) devraient être opérées. Pour autant, tout n’est pas si sombre. La croissance du groupe a, certes, freiné quelque peu, elle se poursuit néanmoins. Preuve en est, le modèle continue de fonctionner puisque la firme suédoise a augmenté de 3% son chiffre d’affaires en France en 2018 à 2,8 milliards d’euros. Aussi, conviendrait-il seulement pour Ikea de rattraper son retard sur le volet numérique pour sauver les meubles.

Un point de vue que partage Bernard Demeure, directeur associé et consultant au sein du cabinet de conseil Oliver Wyman. « Il est clair qu’Ikea est moins rentable qu’auparavant, mais il a les moyens de réaliser la transformation nécessaire », pointe le spécialiste. « Pendant très longtemps, les ténors de la grande distribution ont affiné leurs concepts éprouvés. Ils doivent maintenant se transformer. Si l’on observe les grands acteurs du retail maintenant et qu’on les regarde de nouveau dans dix ans, ils n’auront plus rien de comparable. De nouveaux modèles apparaissent. Les façons de faire du commerce se diversifient et faire un copié-collé de ce qui existe déjà ne suffira pas ».

Aussi, Ikea, comme les autres, est donc en passe d’enclencher un tournant « phygital » qui se situe à mi-chemin entre une réinvention de l’offre au sein des magasins physiques et d'une stratégie multicanale où le digital s’inscrit dans la continuité de l’offre traditionnelle. Dans le cas du géant suédois, l’ambition est limpide : il est question de diversifier l’expérience client pour augmenter les ventes et renouer avec une croissance plus offensive. Et si la firme scandinave a choisi Paris, c’est aussi parce que la France incarne aujourd’hui son troisième marché dans le monde après l’Allemagne et les Etats-Unis.

Julie COHEN-HEURTON