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Les montages offshore de Jean-Marie Messier

Jean-Marie Messier avec sa compagne Christel Delaval à New York

Jean-Marie Messier avec sa compagne Christel Delaval à New York - -

Troisième et dernier volet de l'enquête sur l'ancien patron de Vivendi. En créant sa banque d'affaires, J2M a mis en place une structure complexe, où les contrats avec ses clients seraient conclus avec une branche située hors de France.

La banque d'affaires, ça ne paye plus. C'est ce qu'on se dit lorsqu'on entend Jean-Marie Messier déclarer ses revenus lors de son procès.

En 2010, devant le tribunal de grande instance de Paris, le banquier d'affaires dit gagner 25.000 euros par mois. A l'automne 2013, devant la cour d'appel (qui l'a condamné ce lundi 19 mai), l'ancien patron de Vivendi porte la somme à 30.000 euros par mois, et ajoute une partie variable en fonction des résultats de sa banque d'affaires, qu'il chiffre à un million d'euros en 2012.

Des chiffres surprenants, car, à en croire, la presse, sa banque aurait décroché moult contrats (Natixis, Icade, BPCE, Veolia, Maurel & Prom...) se chiffrant à chaque fois en millions d'euros. La presse cite aussi régulièrement sa participation à des deals prestigieux, en particulier depuis l'arrivée d'Erik Maris en 2010. La banque aurait ainsi conseillé Publicis dans le rachat de Digitas et Business Interactif, le fonds Tiger dans de la vente d'Allociné, Goldman Sachs et KKR dans leur sortie de PagesJaunes...

Paradis fiscaux

L'explication de ce mystère réside peut être dans les montages complexes utilisés par la banque d'affaires de J2M.

D'abord, sa participation n'est pas détenue en direct, mais via une cascade de holdings. Ainsi, en 2007, le capital de sa banque d'affaires était détenu à 65% par la société britannique Villiers Services Ltd, elle-même détenue par CJM International Non-Grantor Trust, une holding immatriculée au Delaware, le paradis fiscal interne des Etats-Unis.

De son côté, son ancien associé Eric Martineau-Fortin détenait sa participation dans la banque via des holdings immatriculées aux îles Vierges britanniques, en Grande-Bretagne, ou en Belgique, cette dernière étant détenue par une holding située à Guernesey.

Quant à son associé actuel Erik Maris, les actes déposés au greffe anglais stipulent depuis 2011 qu'il est devenu citoyen britannique. Interrogé, l'intéressé assure qu'il est toujours citoyen français, et qu'il s'agit d'"une erreur matérielle"...

Une branche française peu florissante

Mais ce n'est pas tout. La banque d'affaires de J2M est en réalité composée de trois branches différentes: une première française, une seconde britannique, et une troisième américaine, immatriculée elle-aussi au Delaware. Ces trois branches sont des sociétés soeurs: elles sont toutes détenues par J2M et ses associés.

Etrangement, les branches étrangères se portent bien mieux que la branche française. Ainsi, la branche américaine aurait réalisé un chiffre d'affaires de 14,15 millions de dollars en 2005, et gagné "au moins" 12 millions de dollars en 2006, selon les déclarations faites à la justice américaine par Fatine Layt, l'ancienne associée de J2M partie fâchée.

Quant à la branche britannique, elle a réalisé 14 millions d'euros de bénéfice net en 2011, sur un chiffre d'affaires de 21 millions d'euros, permettant de verser à J2M 3 millions d'euros de dividendes, indiquent ses comptes. Toutefois, ces résultats ont été divisés par deux environ l'année suivante.

Des résultats bien meilleurs que ceux de la branche française: au mieux, son chiffre d'affaires a atteint 3,3 millions d'euros, sa marge nette n'a jamais dépassé 6%, et elle n'a jamais distribué de dividendes... (cf. ci-contre)

Le mystère s'explique

Pourtant, une recherche sur LinkedIn indique que l'essentiel des 25 salariés est basé à Paris. Et les comptes de la branche londonnienne montre qu'elle n'employait qu'un seul salarié en 2012, et même zéro l'année précédente...

Surtout, les deals remportés par J2M rapportés par la presse sont en large majorité des transactions franco-françaises. "Tous les mandats concernent des clients français", avait même déclaré Fatine Layt devant le tribunal de commerce de Paris.

Comment expliquer ce mystère? Il semble que les contrats conclus avec les clients ne sont pas signés avec la branche française, mais avec la branche américaine, puis avec la branche britannique. "Il n'est pas contesté que les mandats étaient pris par la branche américaine", indique le jugement du tribunal de commerce.

Ceci a été confirmé en plusieurs autres occasions. Ainsi, le pétrolier Maurel & Prom a contracté avec la branche américaine, qui l'a ensuite attaqué en justice. Et le contrat avec les Caisses d'Epagne sur Natixis en 2006 aurait été conclu avec la branche britannique.

Devant le tribunal de commerce, J2M s'est justifié ainsi: "la branche américaine est chargée de la prospection des clients, et la société française de l'exécution des travaux".

Surtout, le montage mis en place est tel que la rentabilité de la branche française est plafonnée. En effet, cette branche reçoit seulement "une rémunération correspondant à ses charges, plus une marge de 10%", a expliqué J2M au tribunal de commerce.

Messier gagne en justice

Lors du procès, Jean-Marie Messier a expliqué que Fatine Layt avait elle-même signé la convention entre les branches américaines et françaises, et donc était parfaitement d'accord avec. Cet argument sera retenu par le tribunal de commerce de Paris, qui déboutera Fatine Layt le 2 décembre 2008. Un jugement confirmé en appel le 3 décembre 2009.

Selon les juges consulaires, "M. Messier, résidant alors à New York, était l'interlocuteur principal de ses clients, et la nationalité de ces clients importe peu".

Interrogés, ni Eric Martineau-Fortin, ni Fatine Layt n'ont répondu. De son côté, Jean-Marie Messier nous a répondu, par l'intermédiaire de son avocat: "la justice n'a accordé aucun crédit aux allégations de cette associée congédiée. Cette personne s'est purement et simplement désistée de sa plainte américaine. Quant aux actions et plaintes faites en France, son ex-associée les a toutes perdues. Sous couvert d'actualité d'une entreprise créée dans des circonstances difficiles en 2003, et qui a en 10 ans acquis la confiance de nombreux clients et une reconnaissance de son excellence et de son professionnalisme, vous vous polarisez essentiellement sur des ragots infirmés par la justice et remontant à plus de sept ans".

Le titre de l'encadré ici

|||Les résultats de la branche française

Chiffre d'affaires (en millions d'euros)
2004: 0,8
2005: 1,7
2006: 2,2
2007: 1,7
2008: 2
2009: 2,3
2010: 3,3
2011: 1,8

Marge nette
2004: -11%
2005: +6%
2006: +6%
2007: -5%
2008: +3%
2009: -1%
2010: +0,1%
2011: +3%

Source: comptes sociaux de Messier Partners SAS

Jamal Henni