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Jérôme Kerviel va se battre pour échapper à la prison

Jérôme Kerviel, l'ancien trader de la Société générale poursuivi pour une perte de trading record, va se battre pour échapper à une peine de prison et persiste à dire que ses supérieurs connaissaient ses positions sur les marchés financiers. Son procès s'

Jérôme Kerviel, l'ancien trader de la Société générale poursuivi pour une perte de trading record, va se battre pour échapper à une peine de prison et persiste à dire que ses supérieurs connaissaient ses positions sur les marchés financiers. Son procès s' - -

par Lucien Libert et Matthieu Protard PARIS - Jérôme Kerviel, l'ancien trader de la Société générale poursuivi pour une perte de trading record, va...

par Lucien Libert et Matthieu Protard

PARIS (Reuters) - Jérôme Kerviel, l'ancien trader de la Société générale poursuivi pour une perte de trading record, va se battre pour échapper à une peine de prison et persiste à dire que ses supérieurs connaissaient ses positions sur les marchés financiers.

Alors que son procès s'ouvre le 8 juin devant le Tribunal correctionnel de Paris, Jérôme Kerviel se défend d'avoir usurpé des identifiants pour s'introduire dans les systèmes informatiques de la banque française. Son procès doit durer jusqu'au 23 juin.

"Clairement, en ce qui me concerne, je ne cesserai de marteler que mes supérieurs avaient connaissance de mes agissements", a déclaré Jérôme Kerviel dans une interview accordée à Reuters à l'occasion de la parution de son livre "L'Engrenage. Mémoires d'un trader", mercredi aux éditions Flammarion.

"J'ai agi au vu et au su de tout le monde, avec l'accord tacite de mes supérieurs. On sait que l'objectif était de faire rentrer un maximum d'argent", poursuit-il.

Une version contestée par Jean Veil, avocat de la Société générale. "Lui peut dire ça mais le parquet et le juge d'instruction disent le contraire. Lui-même a avoué dès le début de l'enquête avoir agi seul et en cachette", a-t-il dit samedi à Reuters.

Poursuivi pour "faux, usage de faux, abus de confiance et intrusion frauduleuse dans un système de traitement automatisé des données", Jérôme Kerviel, âgé de 33 ans, encourt jusqu'à cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende.

Il lui est reproché d'avoir accumulé jusqu'à 50 milliards d'euros de positions non autorisées sur des contrats à terme sur des indices européens, qui se sont soldées par une perte de 4,9 milliards en janvier 2008.

La Société générale, qui est partie civile au procès, a toujours nié avoir eu connaissance de ses positions et lui impute la responsabilité exclusive de ce qui est devenu "l'affaire Kerviel".

"Je n'ai usurpé aucun identifiant", soutient l'ancien trader, aujourd'hui salarié d'une société de conseil en informatique.

"La seule chose que j'ai faite, c'est d'avoir inséré des données, des transactions sans réalité économique dans un système informatique avec les droits que la Société générale m'avait donnés (...) C'était totalement grossier, visible quotidiennement et contrôlé quotidiennement", insiste-t-il.

A la suite de l'enquête de la Commission bancaire, la Socgen a écopé d'une amende de quatre millions d'euros pour défaut de contrôle.

"LAVER MON NOM"

Jérôme Kerviel, qui avait été qualifié de "terroriste" par Daniel Bouton, l'ancien P-DG de la Socgen, explique que son livre va lui permettre de présenter sa version des faits.

"Depuis le début de cette affaire, il y a eu beaucoup de choses qui ont été dites, écrites qui sont totalement fausses", indique l'ancien trader. "C'est bien de rétablir un peu la vérité."

Prié de dire dans quel état d'esprit il abordera son procès, il se veut confiant. "Ça fait deux ans que je me bats contre la Société générale pour prouver la connaissance qu'ils avaient de mes positions", raconte Jérôme Kerviel. "Je suis confiant parce que je sais qu'il y a de nouveaux éléments qui prouve ce que je dis."

"Quasiment rien n'a été exploré pendant l'instruction. D'autres éléments vont sortir à l'audience", promet son avocat Me Olivier Metzner, se refusant toutefois à donner plus de détails. "Ma priorité c'est que Jérôme n'aille pas en prison et de faire reconnaître qu'il n'a pas abusé de la confiance de la banque."

"Je me battrai jusqu'au bout pour éviter cette peine", assure Jérôme Kerviel, qui a été détenu 38 jours en 2008. "Un des gros objectifs également est de laver mon nom qui a été souillé pendant deux ans par la banque et par d'autres personnes."

L'"affaire Kerviel", révélée en janvier 2008, a été présentée comme la plus importante perte de trading de l'histoire de la finance mondiale.

Mais elle a depuis été relativisée par l'exacerbation de la crise financière qui a suivi la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en septembre de la même année et la révélation d'autres scandales, comme celui de l'Américain Bernard Madoff ou, plus récemment, la plainte déposée par la Securities and Exchange Commission aux Etats-Unis contre Goldman Sachs.

Interrogé sur l'enquête visant Goldman Sachs, Jérôme Kerviel s'est refusé à tout commentaire.

"Je constate qu'à la différence de la Société générale, Goldman Sachs reste solidaire du travail qui a été demandé à cet employé", tient-il toutefois à souligner en faisant allusion à Fabrice Tourre, le jeune trader français nommé dans la plainte de la SEC.

"PAS DE RÈGLES" DANS LES SALLES DE MARCHÉ

Il explique aussi avoir "coupé complètement les ponts" avec ses anciens collègues traders : "D'abord parce que je ne veux pas qu'on puisse dire par la suite qu'il y a eu concertation entre eux et moi."

"Au-delà de ça, j'ai été très, très déçu de voir dans le cadre de l'instruction que ces mêmes personnes ne disaient pas exactement quelle était la réalité dans les salles de marché et qu'au contraire, elles avaient négocié de substantielles indemnités avec la Société générale", peste-t-il.

Interrogé sur les règles en vigueur au sein des salles de marché, Jérôme Kerviel ne mâche pas ses mots: "Il n'y a pas de règles. La seule règle qui existe dans les salles de marché, c'est de faire un maximum d'argent."

Il considère aussi que la révélation de la perte de trading en janvier 2008 a permis à la Socgen de passer plus discrètement dans ses comptes une perte d'environ deux milliards d'euros liée à la crise du crédit immobilier aux Etats-Unis.

"Je n'ai pas pu m'empêcher de me faire cette réflexion-là, notamment au début de l'affaire, dans la mesure où deux mois plus tôt, la communication de la Société générale, à travers son dirigeant, était: 'au pire du pire, on perdra 200 millions d'euros mais c'est vraiment un scénario catastrophe', et deux mois après c'était multiplié par dix", confie-t-il.

L'affaire Kerviel a joué un rôle capital dans le remaniement en profondeur de la direction de la Socgen, dont le point culminant a été la démission de Daniel Bouton de son poste de président en avril 2009.

La banque française a également décidé en début d'année de centraliser à Paris l'ensemble de ses actifs toxiques, qui s'élevaient à 35,5 milliards d'euros à fin 2009.

La Socgen est aussi visée aux Etats-Unis par une plainte par des actionnaires américains qui l'accusent d'avoir dissimulé les pertes massives subies en raison de l'affaire Kerviel ainsi que son exposition aux "subprimes", et d'avoir laissé certains dirigeants commettre des délits d'initiés.

Avec Sudip Kar-Gupta, édité par Marc Angrand