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Pourquoi l'accord entre Canal Plus et beIN Sports est rejeté

Canal Plus s'est placée dans un corner

Canal Plus s'est placée dans un corner - AFP

"Le gendarme de la concurrence a rendu son verdict au sujet de la commercialisation de la chaîne sportive par la filiale de Vivendi."

L'opération Caliméro de Vincent Bolloré a échoué. Le discours alarmiste tenu depuis des mois par le nouveau patron de Canal Plus n'a pas ému l'Autorité de la concurrence, qui a rejeté ce jeudi 9 juin le projet d'accord entre Canal Plus et beIN Sports.

Lors d'un point presse jeudi, son président Bruno Lasserre a démonté méthodiquement les arguments avancés par la chaîne cryptée.

"Au début, cet accord avec beIN Sports aurait coûté à Canal Plus. Ce n'est pas lui qui aurait restauré les finances de Canal Plus. Ce n'était pas une planche de salut", a-t-il expliqué. 

Quant à la fermeture de Canal Plus évoquée par Vincent Bolloré, "nous n'y croyons pas beaucoup", a rétorqué le gendarme de la concurrence. 

"Canal Plus est largement rentable"

Les lourdes pertes de la chaîne Canal Plus? "Si l'on additionne la chaîne Canal Plus et le bouquet CanalSat, l'ensemble est largement rentable, et dégage un excédent brut d'exploitation respectable. Il serait fallacieux de séparer les deux, car la force du groupe est justement de combiner édition de chaîne et distribution. Isoler les pertes de l'un ou de l'autre n'a pas grand sens". . . 

Le recul des résultats de Canal Plus? Certes, "la dégradation de la situation financière de Canal Plus est incontestable. Il est dû à l'inflation des droits sportifs, à l'érosion du parc d'abonnés, et à la perte de publicité sur les tranches en clair. Mais l'érosion de la base d'abonnés est lente et peut être redressée. Il n'y a pas d'effondrement"..Et même après cette érosion, la filiale de Vivendi conserve encore 55% du marché de la télévision payante en volume, et 77% en valeur.

L'apparition d'un nouvel acteur, SFR, dans les droits sportifs? "L'achat des droits du football anglais par SFR est certes important, mais reste isolé et secondaire", a estimé Bruno Lasserre, pour qui le marché des droits sportifs reste "dominé par Canal Plus, et proche d'un duopole avec beIN Sports".

Concession sur concession

Rappelons que Canal Plus souhaitait commercialiser en exclusivité beIN Sports. Mais cela est interdit par les obligations imposées en 2012 à la chaîne cryptée par le gendarme de la concurrence. En février, Canal Plus avait donc demandé à l'anti-trust de lever cette interdiction. Les négociations se sont avérées laborieuses. Au fur et à mesure, la chaîne présidée par Vincent Bolloré a dû faire concession sur concession. 

En particulier, elle a dû reculer sur le principe même de l'exclusivité. À l'origine, elle voulait être la seule à commercialiser beIN Sports, sur le même modèle que les autres chaînes distribuées en exclusivité par CanalSat (Eurosport...). En pratique, pour regarder beIN Sports, le téléspectateur aurait désormais été obligé de s'abonner aussi à CanalSat ou Canal Plus. Mais le gendarme de la concurrence s'y est opposé: "j'ai dit à Vincent Bolloré que cela était non négociable. C'aurait été une vente forcée inacceptable", a expliqué Bruno Lasserre. La chaîne cryptée a donc dû reculer sur ce point, et permettre que l'on puisse continuer à s'abonner à beIN Sports en solo. 

Perches tendues

Mais cela n'a pas suffi à l'Autorité de la concurrence, qui a demandé des concessions supplémentaires. D'abord, que les spectateurs qui regardent beIN Sports sur leur ordinateur ou leur téléviseur connecté (offre beIN Sports Connect en over-the-top) puissent continuer à s'abonner directement auprès de la chaîne qatarie, sans passer par Canal Plus. Ensuite, que la chaîne sportive puisse être vendue en gros aux distributeurs concurrents de Canal Plus (Orange, SFR Numericable, Free). "L'Autorité de la concurrence était prête à un 'oui mais'. Mais ces perches n'ont pas été saisies. Canal Plus n'a pas dit oui. Et donc un accord n'a pas été trouvé", a constaté Bruno Lasserre.

Donner un feu vert posait aussi un problème juridique: en effet, les conditions pour lever cette interdictions n'étaient pas réunies. "Nous serions alors fragiles juridiquement", a expliqué Bruno Lasserre.

Canal Plus dans un corner

La balle est donc maintenant dans le camp de Canal Plus, qui se retrouve dans une situation difficile, ayant martelé durant des mois que cet accord était indispensable à sa survie. La bourse réagissait mal, faisant reculer l'action Vivendi de près de 2% jeudi. 

Dans l'immédiat, la filiale de Vivendi a publié un communiqué succint, "prenant acte de la décision de l’Autorité de la Concurrence. Le groupe Canal Plus devra donc travailler sur d’autres solutions pour faire cesser les pertes des chaînes françaises Canal Plus". Ce qui laisse entendre que la chaîne ne contestera pas en justice le veto du gendarme de la concurrence. 

Interrogée par l'Opinion, la chaîne répondait: "C’est une mauvaise idée qui se transforme en bonne économie". En effet, cet accord était très coûteux: il prévoyait que Canal Plus verse près de 400 millions d'euros par an à beIN Sports, soit au total 2 milliards d'euros. 

Jamal Henni